Abomey, le 28 février

Après une bonne nuit bien fraîche et, pour une fois, un petit déj avec pain frais et beurre, Claude et moi partons visiter les palais des rois d’Abomey. Nous trouvons deux zems, très prudents, qui nous conduisent en pleine campagne à travers des chemins sablonneux, avant de s’arrêter sur une place qui devance un bâtiment orné de bas-reliefs : le palais du roi.

A notre plus grande surprise, ici, nul guichet de vente de billets, nul touriste non plus, juste quelques femmes qui passent par là, courbées sous leurs fardeaux de bois et des bambins en haillons qui demandent des bics. Une vieillarde, s’adressant aux zems, indique que nous ne pouvons visiter le palais que si nous avons rendez-vous et que, pour obtenir ce rendez-vous, nous devons le demander au Ministre en personne ! Après maintes négociations, et faisant semblant de rebrousser chemin, on nous propose de revenir sur nos pas : la femme du roi a la clef et peut nous faire visiter !!

Nous ne tardons guère à comprendre notre méprise, à l’aide du guide du Routard que je n’avais pas pris soin de bien consulter avant notre déplacement. Nous ne sommes pas au musée des palais des rois d’Abomey, mais devant le palais d’un roi encore en exercice ! Car les rois ici, bien que nous soyons dans une république démocratique, existent toujours, même si leur pouvoir est désormais réduit à assurer le respect de la tradition.

Le musée, le vrai, est passionnant. Deux palais sont conservés dans lesquels on peut voir des objets de toute beauté et comprendre (si cela est vraiment possible pour nous !) cette époque royale qui dura du 17ème au début du 20ème siècle. Des rois puissants et rivaux se partageaient ce royaume que l’on appelait autrefois le Dahomey. Ils vendaient leurs propres esclaves aux blancs dès que ceux-ci sont apparus, moyennant des canons et autres babioles exposées au musée. On peut voir leurs trônes, leurs tombeaux, leurs armes, leurs vêtements et tenter d’approcher leur culture barbare, où sans cesse des histoires de décapitation alternent avec des histoires d’éventration, de construction de murs avec du sang humain, ou autres horreurs. Le premier ministre du Roi cumulait d’ailleurs sa fonction avec celle de bourreau ! Caractéristique de ce royaume : à la guerre il y avait des femmes, les amazones, choisies pour leur force physique et leur courage. Elles combattaient les ennemis avec hargne, déchirant les gorges avec leurs dents, les éventrant à coups d’ongles, etc…

Les bas-reliefs sont beaux, et les toiles rapportées sur tissu racontent des histoires colorées dans lesquelles, comme dans les bandes dessinées, chaque carré a sa signification. Les salles rectangulaires de pierre rouge se succèdent, et débouchent sur des cours ou des patios, dont chacun était réservé à un usage bien précis. Des manguiers permettent de trouver un peu d’ombre. Ici, plus au nord, la chaleur est encore pire qu’à Cotonou.

Le dernier roi du Dahomey, Benhazin, a combattu avec force contre le colonialisme français, avant d’être déporté en Algérie. Le français, blanc sur tous ces dessins naïfs, est présenté comme l’ennemi suprême. On lui tranche le cou, on le pend, on lui ouvre les entrailles, etc..

Cette ère n’a pas pris fin il y a très longtemps, puisque l’occupation française date de 1900. Or, quand on entend ces histoires, on a vraiment le sentiment qu’il s’agit d’une époque moyenâgeuse.

Notre balade se termine vers 11 heures car notre véhicule arrive pour que nous continuions nos visites officielles. Ce matin encore, un maire nous attend. Cette fois-ci nous parviendrons à le voir. Il faut dire que c’est un ancien scrabbleur !

Puis visite d’une école
où jouent une vingtaine d’élèves à un 10 coups. Enfin, traditionnelle visite au cybercafé où une vingtaine de mails m’attendent chaque jour. La connexion est épouvantable et il me faut 1h30 pour faire ce qui demanderait 20 minutes.

Il est presque 15 heures, sous un cagnard effroyable, quand nous regagnons notre hôtel pour une sieste bien méritée et réparatrice. Je n’aurais pas eu le temps d’avaler quoi que ce soit de la journée.

En soirée est « programmée » une émission de radio, qui, sur intervention du Maire, est devenue émission de télévision locale. Longue attente dans le couloir archi vétuste d’un immeuble un peu glauque. Finalement, l’émission n’aura lieu que demain. Lever donc à 6 heures, car le programme de la journée est encore extrêmement chargé.

Ce soir Claude et moi nous offrons une bouteille de rosé que l’on a pris soin ce matin de faire mettre au frais. Il n’est pas mauvais du tout …

Cotonou, le 25 février

Galérissime journée … C’est le jour où je craque.

Le but est d’organiser la logistique pour les semaines à venir. Il faut acheminer 500 kg vers le Cameroun, 200 kg environ vers le Togo, 800 kg vers le Burkina et 1200 jusqu’à Bamako par voie aérienne ou terrestre.

Pour cela, je dois obtenir des devis des diverses solutions possibles : location de camionnette sans chauffeur, bus par lignes régulières, location avec chauffeur, transporteur, etc.. Il me faut tout dans la journée pour pouvoir organiser les choses très vite à Cotonou avant que nous ne partions pour les provinces béninoises et le Togo à partir de mardi.

La question des laisser-passer est également à régler dans la journée. Il nous faut un maximum de documents permettant qu’aux frontières aucune taxe ne nous soit réclamée. Nous avons déjà assez payé aux douanes béninoises et voulons éviter que les douanes des autres pays s’y mettent à leur tour.

Enfin, il faut envisager l’arrivée prochaine du navire Hansa Riga, prévue pour le 5 mars et qui nous apporte 250 ODS 5, 14 ordinateurs et 100 Marabout.

Se fixer de tels objectifs, qui paraissent réalisables en une journée chez nous, est complètement fou dans une ville comme Cotonou. La circulation y est difficile. Les rues ne sont absolument pas identifiées. Les réponses à nos demandes ne seront jamais immédiates, je le sais.

Maison de la Francophonie. Deux visites dans la journée pour obtenir le laisser-passer que nous a promis l’OIF.
Ambassade du Togo. Deux visites également, mais après m’avoir demandé de faire une demande écrite, ce dont je m’acquitte de façon manuscrite, immédiatement. Non, cela ne va pas !  On me demande que ce soit tapé à la machine. Il faudra revenir.
Air Cameroun. Le devis est facile à obtenir, mais nous devrons encore nous y prendre à deux fois.
Société de transit maritime du Hansa Riga. Ce ne sont pas eux qui s’occupent de la sortie du port. Autre société de transit. La personne n’est pas là avant 15 heures. Nous devons recommencer à courir après ce fameux document d’exonération que nous attendons maintenant depuis 12 jours du Ministère des Finances. C’est un cauchemar ou quoi ?
Location Avis. Les prix sont exorbitants.
Location de camionnette. On aura la réponse en soirée.
Transfert par bus. Il faut attendre le soir pour avoir un devis. On nous rappelle.

16 heures. Personne ne nous a rappelé. Rien n’est vraiment consolidé. Aucune décision ne peut être prise, et je craque. Colère mêlée à la fatigue et au découragement. Je pleure un bon coup. J’ai si chaud… Je gueule aussi, contre personne et tout le monde à la fois. Cela me fait du bien.

Quand arrive le soir, j’ai à peu près tout de même les éléments nécessaires à établir un nouveau budget tenant compte des solutions les plus économiques. Par rapport au transfert par avion dont nous avons fait établir le coût, nous pouvons nous en sortir avec la moitié moins. Quant au transport des personnes au niveau international, il faudra se contenter de la voiture de Prince, qui n’est pas dans un état formidable, mais bon. La clef ne cesse de tomber. Le moteur cale tout le temps dès qu’il y a la clim. Les sièges arrière sont défoncés. Mais il faudra faire avec, car cela coûte moitié moins cher qu’une location Avis.

Pendant cette journée si difficile, Claude entame la première tournée dans les écoles avec remise du matériel. J’avais évoqué que ce soir nous allions dîner au Novotel où se trouve une piscine. Il n’a pas déjeuné dans cette perspective. Pour ma part, je suis épuisée. Je veux finir le budget avant la fin de la journée et me mets immédiatement à sa rédaction au retour à la maison. Claude est déçu. Il a faim. Première petite scène entre nous… Rien de bien grave.

Cotonou, le 26 février

Nous devons retourner à Porto Novo pour remettre du matériel aux premières écoles. Et là, bel étonnement. Tout a l’air parfaitement organisé.

La voiture, une BMW, conduite par un certain Rocky
, est en très bon état et arrive à l’heure, chargée déjà du matériel nécessaire. Les ligues ont reçu un document prévenant du jour de notre arrivée et rendant compte des activités de boulot et de tourisme prévues pour notre visite. Des reçus sont rédigés avec la liste du matériel qui sera remis à chaque établissement. Chaque personne effectuant la visite porte un magnifique badge avec l’inscription de son nom sous celui de la Fédération Béninoise de Scrabble.

Je crois que mes amis béninois veulent maintenant nous faire la démonstration qu’ils sont capables d’une bonne organisation dès qu’ils ne sont plus dépendants des divers ministères, dès qu’ils sont sur leur terrain. Tant mieux !

Nous sommes reçus par deux directeurs d’établissement. Petit speech. Photos. Remerciements. Tout se passe à merveille.

Cette journée nous permet par ailleurs la visite du musée ethnographique, situé dans une jolie bâtisse coloniale, et très intéressante. Une petite heure où nous pouvons oublier que nous ne cessons pas de bosser, où nous pouvons nous croire touristes. Les rites vaudous sont expliqués depuis la naissance jusqu’à la mort à travers les grandes étapes de la vie. Chaque masque, chaque objet fétiche a sa signification symbolique. Puis, petite balade dans  un jardin botanique un peu à l’abandon, où les plantes tropicales avoisinent souvent des bouteilles vides et des carcasses de vieux pneus. Quel dommage ! Un avant-goût de ce que doit être la nature dans le reste du pays, nature qui nous manque à Claude et moi.

Il va falloir maintenant imposer que notre programme
, qui ne prévoit aucun week-end pendant trois semaines au moins, qui démarre à 8 heures chaque matin, inclue aussi ce type de pause. Si nous effectuons ces tournées régionales pour les 10 jours à venir, si nous avons accepté de supprimer les 8 jours de tourisme prévus au Bénin, et quelques uns des jours prévus au Togo, cela est déjà bien. Mais le rythme d’enfer, et le fait de passer à côté de tout ce que nous pouvons voir, est maintenant terminé. Il faudra sans doute à chaque journée le rappeler à nos interlocuteurs, avides de profiter au maximum de notre présence.

Abomey, le 27 février

Ce matin à 8 heures arrive à la maison notre équipe d’accompagnateurs, et nous apprenons qu’il est à nouveau prévu de revenir ce soir sur Cotonou, bien que notre tournée commence à nous amener vers le Nord. Je dois apparaître comme quelqu’un de bien ennuyeux et compliqué, mais je refuse de revenir le soir. Il faut presque trois heures de voiture aller et autant au retour, tout cela pour venir dormir dans une maison qui ressemble plus à une étuve qu’autre chose. Le programme est ainsi fait que les frais de déplacement ne sont pas économisés, puisque c’est nous qui les prenons en charge, sans doute !

Nous prenons donc à la hâte quelques effets pour pouvoir dormir à Abomey deux nuits consécutives.

Beaucoup de route au cours de cette journée. Nous sommes 5 dans la voiture et j’ai la chance d’être assise à l’avant. Rocky, le chauffeur, roule vite, un peu trop à mon goût, et s’arme de son klaxon tout le temps pour prévenir les motos surchargées de son arrivée. Je  ne suis pas aussi rassurée qu’avec Prince.

Nous nous rendons d’abord dans l’école de Ségbé
, construite par l’ambassade de France en pleine campagne, et qui devrait prochainement être inaugurée par Bernard Kouchner. Jolis petits    bâtiments blancs, tout neufs, dont les murs à la chaux sont décorés de dessins naïfs : une carte du monde, un corps humain détaillé en diverses parties, etc.. Le Maire qui devait nous faire visiter le lieu n’est pas là. Nous commençons à avoir l’habitude de ce genre de choses, les maires n’ayant pas l’air d’être très présents auprès de leurs administrés. Nous nous contentons donc de son Directeur technique. Cette école devrait servir de cadre à un premier partenariat entre les services culturels de l’ambassade de France et la fédération béninoise. Affaire à suivre. Du matériel de Scrabble devrait être apporté à la bibliothèque et un club mis en place.

Nous visiterons deux autres écoles en chemin
. Nous devenons de vrais pros de ce type de petite cérémonie de remise du matériel. Il faut espérer que derrière cette action, bien accueillie par les directeurs d’établissement bien sûr, des animateurs prendront sérieusement le relais pour faire vivre le Scrabble auprès des enseignants et des élèves. Dans le deuxième collège visité, nous avons l’agréable surprise de voir sur le tableau noir des exercices de Scrabble que Claude avait introduits à la formation de formateurs de ce week-end. Ceci est de bon augure !

La route est relativement monotone jusqu’à Abomey du point de vue des paysages. La campagne est assez plate, parsemée de palmiers à huile, de manguiers, d’acacias et d’eucalyptus. Tout au long du trajet on observe des petits marchés dans une atmosphère poussiéreuse et brûlante, mais paisible. Les villages se succèdent, avec leurs échoppes bric à brac aux noms souvent religieux : « Dieu est roi », pour une épicerie par exemple ou un magasin de pièces détachées !

Les Béninoises sont belles. Je ne crois pas l’avoir déjà dit. Elles sont en général très minces, élancées, et marchent avec ce port de tête caractéristique des femmes habituées à porter des plateaux en équilibre. Elles sont vêtues de jupes colorées qui donnent à la foule un air joyeux.

Sur le chemin, nos hôtes nous permettent de visiter une petite bibliothèque de campagne, un peu dégarnie, mais bien ombragée et émouvante. Puis la résidence d’un ancien notable du début du siècle, avec ses divers bâtiments, qui sentent fortement l’urine et sont envahis de chauves-souris. Mais l’ensemble a un certain charme. Des cours intérieures abritent de beaux arbres. Ce genre de site n’est pas sur les guides et seuls des habitants de la région peuvent vous les faire découvrir.

Pour l’anecdote signalons que cet homme avait avec lui pas moins de 60 femmes ! On entend souvent des horreurs sur la condition des femmes dans l’ancien temps et dans la vie traditionnelle. Des épouses qui se faisaient enterrer vivantes avec leur roi par exemple ! La polygamie, si elle a tendance à ne pas résister à la vie moderne, et si elle est interdite par la loi, reste encore pratique courante ici.

Nous parvenons à Abomey en soirée dans un motel très confortable où Claude et moi trouvons des chambres assez peu onéreuses et climatisées. La route est très fatigante même si nous ne faisons pas d’activités physiques. La moindre petite balade sous le soleil est harassante. A 16 heures, nous nous sentons déjà terriblement sales et l’espoir d’une douche ne nous quitte plus jusqu’au soir.

Ici, enfin, à la tombée de la nuit dans le jardin du motel, on peut entendre les sonorités de l’Afrique, les grillons, les cris d’oiseaux inhabituels. Il y a de l’air, presque frais. C’est calme ! Après presque trois semaines de Cotonou, il était temps. Nos nuits s’annoncent royales dans nos chambres climatisées !

Seule ombre au tableau, la télévision annonce de graves troubles au Cameroun qui nous inquiètent puisque nous devons nous y rendre dans 15 jours. Les images de Douala et de Yaoundé, désertes, les rues jonchées de pneus que font brûler les manifestants, ne sont guère encourageantes. La situation scrabblesque n’est déjà pas très sereine et simple au Cameroun, mais le pays en état de siège, c’est un peu beaucoup pour nous ! On ne va tout de même pas mourir pour le Scrabble, non ? Le discours du Président en soirée n’est pas rassurant. Il préfère parler de « manipulateurs » qui agiteraient des jeunes et des délinquants, plutôt que d’évoquer les revendications du pays. Ce genre de discours, on en a l’habitude … Nous allons suivre l’évolution de la situation dans les prochains jours, et sommes tous deux d’accord pour annuler cette partie du voyage s’il le faut.

Cotonou, le 29 février

Un jour qui n’existe que tous les quatre ans, et c’est tant mieux !

Debout 6 heures. Nous avons rendez-vous avec une télévision locale à Bohicon, que nous avons longuement attendue la veille. Là, simulacre de remise du matériel dans la rue et interview sur le trottoir. Bon, passons !

Le programme d’aujourd’hui prévoit d’aller à Savé. Il faut deux bonnes heures pour s’y rendre depuis Abomey. Au fur et à mesure que l’on s’approche le paysage prend du relief et apparaissent de gros blocs de granit arrondis qui forment des collines. Nous sommes dans la région des Collines, précisément.

A Savé existe un club. Le président de la Ligue régionale qui couvre cette commune n’a pas pris la peine de nous accompagner.

Rendez-vous avec un directeur d’école, au demeurant charmant. Aucun contact préalable n’a jamais été pris avec lui. Rendez-vous avec un Maire, absent comme d’habitude … Nous sommes reçus par un adjoint. C’est aussi la première fois que la mairie est contactée. Mais que faisons-nous là ? Le travail du Rallye des Mots ou la promotion locale à la place de la Fédération béninoise, du président de la ligue régionale ?

Programme touristique enfin ! On nous propose de gravir une de ces collines pour aller voir une grotte. Ni Claude ni moi ne nous sentons le courage sous une telle chaleur de crapahuter pendant une demi-heure ! Nous choisissons d’aller voir un musée de masques. Il est fermé.

Nous rentrons alors sur Cotonou où nous arriverons à 17 heures, après une très courte pause déjeuner, où je n’ai le courage d’avaler que quelques cacahuètes, devant la tête de poisson que l’on a servie à Claude ! J’ai bien fait de m’abstenir !

Tous ces kilomètres avalés en une journée, tout cet argent dépensé en essence que nous prenons en charge (la voiture fait 20 litres au 100 !), toute cette énergie, pour rien ou pas grand-chose, c'est-à-dire pour faire le travail qu’un club aurait dû faire sans nous depuis longtemps et bien avant notre arrivée. Nous ne sommes ici même plus au niveau d’une ligue, mais bien d’un club isolé. Je me rends compte qu’on nous demande de faire un boulot de promotion qui ne dépend pas de nous mais des responsables de clubs et surtout des présidents de ligues régionales. Je comprends bien que le club de Savé ait envie de profiter de notre présence au Bénin, mais si l’on raisonne ainsi, il nous faudrait plusieurs années pour faire le boulot dans toutes les bourgades d’Afrique francophone !

La semaine prochaine, 5 jours sont  à nouveau prévus de visites des régions, et nous devons encore faire en sens inverse le long trajet qui nous mène à Savé. Un bref coup d’œil porté à la carte, comparé à l’expérience que nous venons de faire et qui me permet de me rendre compte des distances, me montre que toute la semaine prochaine sera encore une semaine de route, avec quelques arrêts pour des rendez-vous qui risquent de ne pas être honorés. Une longue semaine qui nous oblige à quitter le Togo, et à revenir à Cotonou à deux reprises, ce week-end et le week-end prochain. Une semaine qui nous prive de la visite de ce pays que l’on annonce comme l’un des plus beaux d’Afrique de l’Ouest.

Ma décision est facile à prendre. Nous laisserons cette tournée régionale aux membres de la  fédération béninoise car le job leur incombe désormais que nous avons remis le matériel. Nous ne sommes pas là pour le livrer nous-mêmes au fin fond du pays. Nous économisons ainsi du temps, de la force et de l’argent.

J’en parle à Claude qui propose que nous en discutions ce soir avec le bureau de la fédé béninoise à Cotonou. La « discussion » n’est pas, à mes yeux, possible. Le bureau, c'est-à-dire le vice-président, ne sera pas d’accord. Il faut argumenter notre départ et l’imposer.

Nous avons déjà beaucoup donné au Bénin. Nous sommes restés 3 semaines au lieu de 8 jours. Durant ces trois semaines, nous n’avons pris qu’un seul week-end à Grand-Popo, quelques heures un dimanche après-midi après la formation pour le village lacustre, et deux heures hier matin pour visiter les palais des rois d’Abomey. Ce voyage ne peut pas être un bagne au service des fédérations africaines et moins encore une manière pour elles de nous faire faire un travail qui ne nous appartient pas et qui vient, sur le terrain, combler leurs carences.

Seul le vice-président de la fédé béninoise est présent à la réunion. Tollé évidemment devant ce que je dis ! Je ne tiens pas mes engagements. C’est vrai, mais eux non plus ne les ont pas tenus. J’ai bien accepté ces tournées régionales à mon arrivée parce que je pensais que c’était une façon sympathique de voyager et de voir du pays, sans me rendre compte de ce qu’on allait m’y faire faire. L’expérience d’une semaine me permet d’ajuster. Le bilan que j’en tire me permet de faire marche arrière. D’ailleurs, rien n’est perdu. Cette tournée promotionnelle peut se faire sans nous, au nom de la fédération béninoise et sous l’égide du Rallye des Mots qui a fourni le matériel. Nous avons déjà visité 4 régions : Atlantique littoral, Ouémé plateau, Mono Couffo et Zou/Collines. Sur les 6 prévues ce n’est pas mal.

Claude n’est pas d’accord et ne me soutient pas vraiment devant le bureau. Nous nous engueulons.
Face aux accusations faciles et quasiment insultantes à mon égard, (je suis colonialiste et méprisante pour la fédération béninoise), je ne me sens pas défendue. Claude cherche une conciliation que je sais par définition impossible.

Des tas d’exemples me sont donnés pour expliquer cette accusation de colonialisme. J’ai travaillé toute la semaine dernière avec Olivier, Eugène et Modeste, pour organiser la tournée internationale sans en rendre compte au vice-président au jour le jour. Là, j’ai pris seule des décisions (qui de mon point de vue ne concernent en rien la fédération béninoise) : modes de transport du matériel par exemple. J’ai imposé la présence de certains à cette tournée, au mépris de la volonté du bureau, qui pensait bien y désigner des représentants officiels, destinés à être présentés aux autres pays comme des leaders de la région. Tout le travail que j’ai effectué depuis trois semaines, avec les bénévoles qui se présentaient chaque matin pour m’aider, m’est reproché comme un travail dont j’aurais dû rendre compte.

J’ai fait en réalité mon boulot du Rallye, le boulot pour lequel m’a mandatée la FISF, sans en référer et ni me soumettre à la volonté de la fédération béninoise ! Non, le Rallye des Mots, dans la globalité du projet qui concerne 7 pays, n’est pas votre affaire, chers amis béninois ! Quand bien même il vous concernerait, puisque vous voulez jouer un rôle prépondérant dans la région, je n’adhère pas aux modes de fonctionnement de votre fédération qui, à mes yeux, relèvent d’une idéologie quasiment stalinienne. Je ne les approuve pas, refuse de les cautionner, car les licenciés et surtout les bénévoles en souffrent terriblement !

Je m’endors certaine aussi d’avoir défendu correctement les intérêts de la FISF en prenant cette décision de quitter le Bénin demain. Même au prix d’un accrochage avec Claude, et d’un conflit avec la tête de la fédération béninoise.