Non catégorisé
Cotonou, le 15 février 2008
Plusieurs chevauchées de zems dans la journée pour se rendre d’un point à un autre. Claude découvre avec ahurissement le phénomène ! Il y a des moments où je me sens en grand danger, lorsqu’en particulier le soir les gens sortent du travail. Mais rappelons, qu’ici il n’y a pas de taxis urbains qui fonctionnent à la course, ni de moyens de transport en commun. Donc pas le choix en attendant que l’on résolve le problème de la voiture.
Le matin, le transitaire maritime, dont j’attends le devis pour la livraison du matériel depuis deux jours, m’annonce que, de toute façon, avant le 19 ou le 20 février il ne sera pas possible de le récupérer, alors que le navire a accosté le 12. Question de paperasses paraît-il. Cela me paraît incroyable. Ce retard va modifier encore une fois notre planning, en laissant trois jours consécutifs peut-être utilisables pour le repos et le tourisme. Enfin, je l’espère. Ici, en Afrique encore plus qu’ailleurs, je suis contrainte d’attendre, d’attendre encore, moi qui ai horreur de ça !
Dans l’après-midi, nous sommes reçus par le Directeur de Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères en charge de la Francophonie, bel homme mince et fin, vêtu d’un somptueux boubou jaune clair. Je ne regrette pas d’avoir embêté Claude en lui demandant de troquer son t-shirt rouge, son pantalon de randonnée et ses sandales, pour ce rendez-vous, très officiel, sous l’effigie du Président de la République béninoise !
Je réédite mon discours sur la nécessité d’un partenariat du Ministère avec notre activité, sur les liens naturels que nous avons dans le domaine de la Francophonie, sur les attentes qui sont les nôtres pour le futur, et dans l’immédiat, compte tenu de nos grosses difficultés logistiques. Une communication interministérielle en Conseil des Ministres est en cours. Le Ministère de la Jeunesse ne semble rien avoir fait pour l’activer, c’est le moins que l’on puisse dire ! Que donneront à terme toutes ces démarches ? Seront-elles de nature à nous faciliter la vie dans les semaines à venir ? Permettront-elles à la Fédération Béninoise de trouver de nouveaux appuis ? Je ne maîtrise pas suffisamment l’ensemble des codes et des modes de fonctionnement de ce pays pour en avoir une quelconque idée, mais mes amis béninois paraissent confiants.
Après-midi dans deux écoles secondaires, où le Scrabble se pratique comme activité ludo-éducative. Ce sont des collèges catholiques. La vétusté des classes est frappante et me rappelle les écoles de mon enfance, il y a maintenant 50 ans ! Les élèves sont en uniforme beige, si bien que de loin on croirait rentrer dans une cargaison militaire. Partout des slogans moraux indiquent en grosses lettres qu’il ne faut pas faire ceci ou cela, et d’autres, au sens plus religieux exposent des maximes. Tout dans cette école, l’architecture, l’affichage des slogans, les élèves me rappellent très fortement la Chine populaire. Les élèves sont très nombreux par classe. Plus d’une cinquantaine à mon avis dans cette classe de filles du dernier lycée visité. Photo réglementaire, moi près de la sœur en blanc ! J’en connais beaucoup que cela va amuser !
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Chaque point de l’ordre du jour est consacré à un aspect de notre planning, une manifestation, une animation, une formation prévues. Je m’efforce de faire le point de ce qui a déjà été accompli, de ce qui reste à faire, de vérifier que les choses sont bien entre les mains de quelqu’un, et qu’elles ne seront pas improvisées. Rien pour nous que du normal, que les Béninois vivent comme de la suspicion ou de l’ingérence de ma part. J’évoque aussi des aspects qui n’avaient jamais été abordés jusque là : la question de la contribution financière de la FISF aux opérations promotionnelles prévues par la fédération béninoise, la question de la prise en charge des hébergements, des modes de transport, des frais de repas de nos accompagnants. Autant de points qui nous paraissent évidents et qui, je le sens bien ici, sont des points qui fâchent, qui fâchent en tous les cas lorsque j’affirme que n’ayant aucun budget pour tout cela, il n’est pas question que l’on compte sur moi pour tout !
J’ai maintenant compris plusieurs choses :
Les ambitions des Béninois pour ce Rallye dépassent très largement les moyens quasiment inexistants dont ils disposent, et sans doute comptaient-ils implicitement sur la générosité de la FISF pour maintenir tout de même un tel programme. Mieux vaut évoquer les questions financières avant qu’après, au risque de décevoir ou de se fâcher. J’explique que nous comptions sur leur prise en charge des opérations sur place, ainsi que de toute la logistique qu’ils avaient promise et qui leur avait été promise, et que je ne peux en aucun cas modifier mon budget en tenant compte des défaillances qu’ils rencontrent. Je sens que j’agace mes interlocuteurs, que je les déçois. Je sens aussi que ma volonté de tout vérifier, issue il est vrai du manque de fiabilité que j’ai vécu de leur part cette semaine, les irrite, comme si je me mêlais de ce qui ne me regarde pas. Je maintiens que responsable de l’opération, je suis aussi responsable de son succès, et qu’il m’appartient donc de vérifier en amont que les dispositions ont été prises en conséquence. Les réponses bien peu précises, « nous nous débrouillons », « oui, oui, cela a été fait », ne me rassurent pas beaucoup !
Ok, j’accorde donc ma confiance. J’espère que mes inquiétudes sur l’organisation sont effectivement injustifiées.
Enfin, la question de la communication médiatique nous divise. J’affirme avec fermeté qu’il est hors de question de donner quelque contribution financière que ce soit à des journalistes pour que l’évènement soit couvert, comme cela est monnaie courante ici. J’explique les raisons déontologiques de cette position. Je sens bien que je ne suis pas comprise, et que l’on me ressent comme d’une rigidité idiote. Si les journalistes ne couvrent qu’un évènement pour lequel ils sont payés, je plains les pauvres Béninois ! Où est alors la liberté de la presse ?
C’est un peu tendus que, finalement, bien tard, nous nous séparons. Pour ma part, je suis épuisée. Heureusement que les trois jours suivants seront des jours de farniente à la plage.
Cotonou, le 18 février 2008
Ce devait être une pleine journée de tourisme au départ de Grand Popo. Mais le démarrage est dur et gâche un peu l’ambiance.
Cybercafé qui ne fonctionne pas, situation difficile au Togo où plusieurs personnes semblent contester la légitimité de mon correspondant, et surtout annonce par le transitaire que, malgré la demande d’exonération douanière faite au Ministère, il faut encore payer 600 000 FCFA de taxes pour sortir ces foutues marchandises du port ! Une exonération totale demanderait 4 semaines. Impossible de laisser ainsi le matériel bloqué, et nous avec à Cotonou.
Sur ce, après m’être énervée contre le cyber qui fait payer ses prestations à l’heure pour un matériel qui ne fonctionne pas, je me rends compte que j’y ai laissé mon portable. Marche arrière et retour au cyber. Quelqu’un s’en est emparé après mon départ, bien sûr. Il faut le retrouver. Tout le monde parle en fon ... L’emprunteur finit par revenir, d’on ne sait où, je ne sais comment. Au total nous aurons ainsi perdu trois heures !
Nouveau départ en fin de matinée pour notre balade. C’est d’abord la route des esclaves, au départ de Ouidah, qui est jalonnée de monuments retraçant la terrible épopée de millions d’hommes de femmes et d’enfants, achetés par les américains à des chefs de tribu africains. Histoires horribles d’êtres humains enchaînés, enfermés des jours dans le noir pour les habituer au terrible voyage, sur des bateaux où ils sont entassés les uns contre les autres dans des soutes abjectes. Celui qui est trop fatigué ou malade est systématiquement jeté à la mer et donné en pâture aux requins.
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Ce qui m’étonne encore davantage, c’est que personne dans la fédération béninoise ne semble les connaître ! Il faut dire qu’il n’existe aucun fichier central des licenciés, aucun outil permettant avec fiabilité de répertorier qui joue et où. Tout est à faire dans ce domaine, alors que la structure en Ligues existe bel et bien. Ce point sera probablement inscrit comme point majeur dans les objectifs que le Rallye fixera à la Fédération Béninoise.
Cotonou, le 14 février 2008
Ce matin, rendez-vous à l’Ambassade de France avec le conseiller culturel. Notre activité les intéresse bien sûr, mais de là à débloquer des moyens ! Nous laissons tout de même notre liste de doléances, pudiquement intitulée « difficultés techniques » et nous devons attendre, attendre encore, une éventuelle intervention pouvant nous faciliter les choses du point de vue logistique. Dans le cadre des projets du service culturel, se construit une école pilote qui va être inaugurée prochainement par Bernard Kouchner, et dans laquelle nous pouvons instaurer un club scolaire et profiter peut-être d’un peu de médiatisation. L’ambassade est par ailleurs en partenariat avec la Directrice adjointe du cabinet du Ministère de la Jeunesse, hiérarchique par rapport à la Directrice des Loisirs. Peut-être, de ce côté-là des perspectives d’aide…
Notre après-midi remonte le moral à tout le monde. Spontanément hier un jeune de la Maison de la Francophonie m’avait interpellée en m’appelant « Madame Scrabble » ! Il souhaite apprendre à jouer. Je lui donne rendez-vous pour aujourd’hui, et le vois arriver avec une bonne dizaine d’autres jeunes. Par bonheur, les animateurs de la fédération béninoise, acceptent de venir et nous pouvons commencer une vraie séance d’initiation. Je suis frappée de l’intérêt de l’auditoire, de sa concentration. C’est, depuis que je suis ici, la première fois que je suis plongée dans le vrai cœur de notre sujet : le Scrabble, avec ce que ce jeu comporte de passion, de plaisir. Alors, oubliées les tracasseries administratives ! Jouons et apprenons à jouer !
Claude Tharin arrive à 21 heures comme prévu. Nous sommes nombreux pour l’accueillir lui et ses deux énormes valises ! Il va falloir qu’il prenne le train en route, et je comprends que ce ne sera pas évident pour lui !
Cotonou, le 12 février 2008
Les difficultés administratives sont immenses, et se révèlent pleinement aujourd’hui.
Le navire a 48 heures de retard. À la limite, cela n’est encore pas très grave, sauf que l’on nous demande encore 4 jours supplémentaires pour la livraison des marchandises, qui elle, est bien prévue à la Maison de la Francophonie. Nous ne sommes donc pas prêts de commencer notre tournée. Il va falloir occuper les jours qui viennent à autre chose, et en particulier à faire un peu de tourisme pour combler les trous.

Le rendez-vous déjà prévu pour hier et reporté à ce matin 8 heures, avec le Ministre lui-même, n’est pas possible. Nous sommes tous sur notre 31 dans les bureaux du Ministère à l’heure dite, et déconfits, nous devons partir sans l’avoir rencontré. Le sentiment de tous est que si nous pouvions passer par-dessus les obstacles que nous mettent les cadres du Ministère, si nous pouvions avoir directement accès au plus haut niveau, nous serions compris et tout serait bien plus simple. Nous devons nous contenter d’accepter que l’on nous rappelle plus tard… Veut-on nous avoir à l’usure ? Dans quel objectif ?
Le rendez-vous suivant avec le représentant de la Francophonie n’est pas très calé non plus. Nous arrivons dans les locaux, et ne sommes pas vraiment attendus. Monsieur Ahanhanzo-Glele aura cependant la gentillesse de nous recevoir, et nous lui expliquons nos difficultés concernant le matériel en particulier. Il se met en colère contre le Ministère de la Jeunesse, appelle le Ministre qui doit le rappeler, promet de nous appeler à nouveau, ce qu’à cette heure, presque 19 heures il n’a peut-être toujours pas fait.
Notre rendez vous ce soir à 16 heures avec le conseiller d’action et de coopération culturelle de l’Ambassade de France, n’est pas non plus confirmé. Décrochant mon téléphone pour le joindre personnellement, il semble ignorer qui nous sommes, alors que depuis tant de mois la FISF envoie des dossiers et des relances et que la Fédération Béninoise prévoit les rencontres. Mais où suis-je ? Il semblerait que tout le monde se ligue contre nous, ou quoi ?
Ce qui m’inquiète profondément, c’est que cela risque de se produire dans les autres pays africains aussi. Des jours et des jours d’attente perdus à espérer que l’on nous reçoive, que l’on tienne ses engagements, que… Si cela se déroule ainsi dans tous les pays, je crains la mission impossible. Par mission, j’entends non pas les tournées mais les rencontres avec les officiels destinées à consolider les fédérations et à leur apporter le soutien dont elles ont besoin.
La Maison de la Francophonie a en revanche tenu ses promesses en mettant un bureau à notre disposition et en m’autorisant à utiliser la connexion Internet. Mais même là, les choses ne sont simples pour personne. Nous nous attablons au restaurant croyant que le repas nous était offert. Pas du tout ! Il ne s’agissait que des boissons ! C’est comme si les gens ne se comprenaient pas. Comme si les paroles n’étaient pas entendues. Comme si les désirs prenaient le pas sur les réalités. J’ai bien du mal à naviguer dans ce système.

La sieste de cet après midi me retape de cette matinée de galère, nonobstant la coupure d’électricité de plusieurs heures qui immobilise mon ventilateur !
Cotonou, le 11 février 2008 (suite)
Rencontre hier avec le Directeur départemental du Ministère de la jeunesse et des sports. J’explique notre action. Pas grand-chose ne nous est proposé en retour, si ce n’est une démultiplication possible, grâce à son intermédiaire, d’une action dans les diverses régions du Bénin. Un journaliste me pose quelques questions. Je reste sur ma faim, bien incapable de dire ce que ce type de visite peut apporter à notre cause.

La première visite au cybercafé n’est guère concluante. Je retrouve sur ma boite mail les dossiers que j’avais laissés à Paris et que ma fille m’a adressés, mais impossible de les télécharger sur ma clef. La connexion est effroyablement lente. Ce type de difficulté technique est monnaie fréquente en Afrique, où tout existe bel et bien, mais où rien ne fonctionne parfaitement. Il en va de même dans les maisons avec l’eau et l’électricité, avec les téléphones portables qui ne captent pas les réseaux… Il faut de la patience et de la philosophie, et c’est déjà une première leçon, nous qui sommes tellement habitués aux prouesses techniques que nous ne les voyons même plus.
Pressentant l’arrivée de trois mois de féculents et de bière, qui ne sauraient être acceptables compte tenu de ma ligne, nous nous mettons à la recherche de légumes et d’ingrédients pour faire des salades. L’occasion de se rendre dans les supermarchés… Il n’existe qu’une seule grande surface, mais elle est plus ou moins fermée. Les boutiques n’ont pas toujours ce que l’on recherche, même des produits élémentaires comme du sel. De nombreux marchands ambulants vendent dans les rues des petites quantités d’oignons ou de tomates, ou de choses improbables. Ici n’existe pas la grande distribution apparemment comme j’ai pu la voir dans les grandes villes d’Afrique Australe.
Cette recherche est l’occasion de s’imprégner de cette ville. Cotonou grouille sous une chaleur humide. Ses maisons en béton basses ne sont souvent pas terminées, laissant sans doute ainsi la possibilité de les rehausser au gré de l’agrandissement de la famille. Elles ne sont la plupart du temps pas peintes. Parfois une d’entre elles surprend, avec sa peinture pimpante et son style un peu pompeux. Sans doute quelqu’un de riche.


La mer est là, à quelques kilomètres, avec son Atlantique fougueux, mais il n’est pas évident d’en sentir l’influence. L’influence de la lagune qui coupe la ville en deux est plus nette : moiteur et lourdeur de l’atmosphère. Il ne doit pas être facile de vivre tous les jours à Cotonou, d’y travailler, d’y habiter.
Le soir me permet une balade au marché artisanal, toujours accompagnée de mes nombreux gardes du corps qui ne me quittent pas d’une semelle ! Je ne résiste pas à la tentation d’un boubou béninois bleu qui ravit mes amis scrabbleurs ! Ces amis, amis d’amis, et représentants de la fédération béninoise, se retrouvent à la maison pour une réunion et une partie de Scrabble. Je fais à la va-vite une salade de tomates avec le peu que j’ai et que nous grignoterons comme nous le pouvons, sans assiettes pour tous, sans couverts non plus. Il est plus de minuit quand nous nous séparons.