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Natitingou, le 2 avril
Encore 6 ou 7 heures de route, je ne sais plus très bien. La terre se désertifie et l’on sent bien que l’on s’approche du Sahel. Des petites mosquées bien proprettes trônent au milieu des villages, dont l’habitat en banco, terre cuite très rouge, se groupe en tout petites unités de 3 ou 4 maisonnettes, rondes aux toits de chaume le plus souvent, ceintes d’un paravent de paille ou de branchages. Au centre, la réserve de bois et parfois quelques poules, une chèvre ou un cochon. Autour, des enfants nombreux et nus, souvent très sales, qui nous saluent. Les premiers vrais baobabs font leur apparition. Nous sommes vraiment dans un autre Bénin.
Nous atteignons notre hôtel en milieu d’après-midi. J’ai choisi un hôtel avec piscine et chambre climatisée, car décrire la chaleur qu’il commence à faire maintenant que nous sommes dans le nord est mission impossible. L’air, la terre, tout brûle. Intuitivement je dirais qu’il fait presque 40°. Modeste et Prince se retrouvent donc chez les riches ! Un peu sur la pointe des pieds au début, mais très vite ils sont à l’aise. Ni l’un ni l’autre ne sait nager et ils jouent comme des petits enfants dans l’eau.
Le soir, dîner dans une de ces adresses incroyables, que seul le Guide du Routard est capable de dénicher ! Au sommet de l’une des collines qui entourent Natitingou, collines desséchées, désertiques, un « tata somba », fait bar restaurant. Un tata somba est un petit fortin de terre dans lequel vit traditionnellement la famille du peuple somba. Au rez-de-chaussée se trouve la cuisine dans laquelle on pénètre par une toute petite porte. Les ouvertures sont quasiment inexistantes et il règne une grande obscurité dans cette terre sombre. Un conduit phonique permet aux femmes qui vivent en bas de prévenir les hommes qui se tiennent au premier niveau sur la terrasse du fort quand un ennemi approche. On accède à ce premier niveau par un escalier taillé directement dans le bois, dont les marches ne permettent que de poser la pointe du pied. Tout autour de la terrasse, se trouvent les « chambres », dans des huttes rondes sans fenêtre surmontées d’un cône de chaume, où l’on ne peut pénétrer qu’accroupi et en marche arrière. De l’extérieur et de loin on ne voit aucun angle dans cette construction. Cela tient du fort en plastique qu’affectionnent les petits garçons, mais aussi de la termitière !
Au-dessus du fort, une autre terrasse permet de diner en plein air, avec un panorama sur la ville. Modeste et Prince se confient ce soir là, et le diner est plein d’émotions. Ils racontent leur enfance difficile, sans mère pour l’un comme pour l’autre, fruits de grossesses non désirées, les relations épouvantables avec les marâtres rejetantes, la faim quand on quitte la maison, les kilomètres qu’il faut faire à pied chaque jour pour se rendre à l’université. Ni l’un ni l’autre n’ont le souvenir d’avoir un jour reçu un cadeau d’anniversaire. Tous les deux sont adeptes du riz brûlé des fonds de casserole, nourriture qu’on leur réservait en dernier, après que les enfants légitimes aient été servis. Il y a des larmes dans l’air qu’on essuie furtivement dans l’obscurité de la nuit chaude.
Nous sommes très bien ensemble.
Nous partagerons la même chambre, eux deux dans un grand lit, moi dans un petit lit séparé. Je m’endors en pensant à mes petits-enfants, si chéris, si aimés. Je voudrais qu’ils sachent quelle est leur chance. C’est le message essentiel que j’ai à leur transmettre.
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Le soir, dîner dans une de ces adresses incroyables, que seul le Guide du Routard est capable de dénicher ! Au sommet de l’une des collines qui entourent Natitingou, collines desséchées, désertiques, un « tata somba », fait bar restaurant. Un tata somba est un petit fortin de terre dans lequel vit traditionnellement la famille du peuple somba. Au rez-de-chaussée se trouve la cuisine dans laquelle on pénètre par une toute petite porte. Les ouvertures sont quasiment inexistantes et il règne une grande obscurité dans cette terre sombre. Un conduit phonique permet aux femmes qui vivent en bas de prévenir les hommes qui se tiennent au premier niveau sur la terrasse du fort quand un ennemi approche. On accède à ce premier niveau par un escalier taillé directement dans le bois, dont les marches ne permettent que de poser la pointe du pied. Tout autour de la terrasse, se trouvent les « chambres », dans des huttes rondes sans fenêtre surmontées d’un cône de chaume, où l’on ne peut pénétrer qu’accroupi et en marche arrière. De l’extérieur et de loin on ne voit aucun angle dans cette construction. Cela tient du fort en plastique qu’affectionnent les petits garçons, mais aussi de la termitière !
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Au-dessus du fort, une autre terrasse permet de diner en plein air, avec un panorama sur la ville. Modeste et Prince se confient ce soir là, et le diner est plein d’émotions. Ils racontent leur enfance difficile, sans mère pour l’un comme pour l’autre, fruits de grossesses non désirées, les relations épouvantables avec les marâtres rejetantes, la faim quand on quitte la maison, les kilomètres qu’il faut faire à pied chaque jour pour se rendre à l’université. Ni l’un ni l’autre n’ont le souvenir d’avoir un jour reçu un cadeau d’anniversaire. Tous les deux sont adeptes du riz brûlé des fonds de casserole, nourriture qu’on leur réservait en dernier, après que les enfants légitimes aient été servis. Il y a des larmes dans l’air qu’on essuie furtivement dans l’obscurité de la nuit chaude.
Nous sommes très bien ensemble.
Nous partagerons la même chambre, eux deux dans un grand lit, moi dans un petit lit séparé. Je m’endors en pensant à mes petits-enfants, si chéris, si aimés. Je voudrais qu’ils sachent quelle est leur chance. C’est le message essentiel que j’ai à leur transmettre.
Douala, le 17 mars
C’était une journée marathon, marathon de la promotion du Scrabble, avec deux collèges visités ce matin, prêts à accueillir des clubs scolaires et à proposer aux enseignants des outils pédagogiques scrabblesques, puis une attente auprès du Délégué à la Présidence de la République qui n’a finalement pas pu nous recevoir pour cause de visite impromptue du Premier Ministre, et enfin une heure d’émission radio. Nous courons d’un rendez-vous à l’autre, mais toujours en voiture, ce qui est confortable surtout quand elle est climatisée comme celle de Martial. Lorsque j’en sors, mes lunettes glacées s’embuent immédiatement sous l’effet de la chaleur, torride à certaines heures de la journée.
Mes amis camerounais mettent les bouchées doubles, voire triples, maintenant qu’ils se sentent sur un nouveau départ. Ils voudraient tout embrasser d’un coup et font preuve de beaucoup d’enthousiasme et d’optimisme. C’est un vrai plaisir pour moi de travailler dans une ambiance si positive, avec des gens qui y croient et qui sont si avides de tout apprendre et de tout entreprendre. J’ai le sentiment que mes conseils dans tous les domaines sont vraiment attendus et entendus. Georges en particulier ne rate pas une occasion de m’observer et de noter comment je m’y prends, pour expliquer, pour convaincre, pour animer, etc. C’est très gratifiant et encourageant, si bien que les journées les plus longues me paraissent finalement bien courtes.
Le Directeur du lycée français de Douala que nous rencontrons en premier, ne paraît pas très convaincu de l’introduction du Scrabble dans les activités scolaires. Il veut bien essayer… C’est un français, et comme tous les français il doute, n’y croit pas beaucoup ! A l’inverse, la Directrice du collège Chevreul, Sœur Gertrude, nous remercie chaleureusement d’avoir choisi son établissement pour y implanter les activités de Scrabble, estime que c’est Dieu qui nous a mis sur son chemin et nous offre une collation et des Coca Cola qu’elle bénit pour nous ! Je vois là toute la différence entre deux cultures : la nôtre, celle de la surabondance, qui génère des attitudes blasées, et celle de l’Afrique, où tout est opportunité à saisir, tout ce qui se présente est une chance à ne pas laisser échapper.
Nous avons tout de même eu le temps d’une salade à midi et d’une bière au bord du fleuve dans une guinguette très sympa, avec vue imprenable sur l’estuaire du port de Douala. Cette ville est immense, bien plus grande que Cotonou ou Lomé, avec ses trois millions d’habitants. Le centre ville est assez délimité avec une volonté de modernisme qui date un peu et surtout, qui n’est pas du tout entretenue. Douala n’est pas comme Lomé en bordure de mer, et il faut faire quelques kilomètres au nord ou au sud pour aller sur l’Atlantique. Au sud surtout, les plages sont paraît-il magnifiques, mais je n’aurai sans doute pas le temps de m’y rendre. J’ai bien profité du balnéaire au Togo, et fais plutôt le choix de visiter la partie ouest du pays, la plus traditionnelle, la plus culturelle aussi au point de vue ethnique, et la plus montagneuse donc fraîche.
L’émission radio est marrante à faire, car nous sommes 4 à être interviewés en même temps : Micky le futur président, Jojo le futur Secrétaire général, et Martial Junior le futur directeur de la communication. Le présentateur un peu frimeur nous fait parler entre deux tubes africains sur lesquels l’homme à la régie se trémousse inlassablement ! Le lieu est vétuste mais bien équipé. Nous parlons à tour de rôle du dernier tournoi comme s’il s’était agi d’un évènement sportif de grande importance. On pourrait s’y croire ! Les dix dernières minutes sont consacrées à un jeu sur les finales. Le Président gagne. L’honneur est sauf !
La ville grouille toute la journée. La circulation n’est pas particulièrement malodorante, mais épouvantablement non réglementée. Personne ne respecte les feux rouges. Si on les respecte, me dit-on, inutile de croire que l’on va avancer ! Les trous dans la chaussée obligent les voitures à réaliser de véritables slaloms. Les motos se faufilent partout et n’importe comment, y compris à contresens. Une charrette de vendeur de bananes peut inopinément se retrouver face à votre véhicule sur une voie à sens unique ! Impressionnant et très dangereux. J’ai eu peur aujourd’hui en voiture. C’est comme si la vie humaine n’avait pas de prix. La Mercédès dans laquelle je circule frôle les jambes des motocyclistes qui ne s’en offusquent nullement. Dans les virages, on est à quelques centimètres de quelqu’un qui est assis là sur le trottoir ou en pleine chaussée, et ne bouge pas en voyant le véhicule arriver sur lui ! Je ne sais pas combien de morts par an il doit il y avoir dans cette ville, mais c’est sûrement considérable. Les Camerounais ne semblent avoir aucune conscience des dangers de la circulation routière.
Finalement, je suis assez contente de partir demain en bus pour Yaoundé avec toute la délégation ! Les routes camerounaises ne m’attirent pas beaucoup ! En revanche, du point de vue de la sécurité politique, Douala ne porte pas de signes visibles des évènements récents qui ont tout de même fait une centaine de morts. La ville s’écoule sans problèmes. La présence policière et de l’armée ne se font pas sentir du tout. Comme si rien ne s’était passé.
Enfin, pour rassurer tous ceux qui estimaient que je ne reviendrai probablement pas vivante d’Afrique, je peux assurer que ceux qui m’entourent ici comme ailleurs prennent grand soin de moi. Jamais un seul instant je ne me suis sentie en insécurité. Le seul fait de me balader avec des autochtones suffit à me faire parfaitement respecter. On me regarde un peu avec curiosité, mais personne ne m’aborde. Ma sacoche avec mon ordinateur est toujours étroitement surveillée, si bien qu’elle ne me crée aucun souci.
Alors, heureuse ? Ben oui ma foi, ça ne va pas mal !
Mes amis camerounais mettent les bouchées doubles, voire triples, maintenant qu’ils se sentent sur un nouveau départ. Ils voudraient tout embrasser d’un coup et font preuve de beaucoup d’enthousiasme et d’optimisme. C’est un vrai plaisir pour moi de travailler dans une ambiance si positive, avec des gens qui y croient et qui sont si avides de tout apprendre et de tout entreprendre. J’ai le sentiment que mes conseils dans tous les domaines sont vraiment attendus et entendus. Georges en particulier ne rate pas une occasion de m’observer et de noter comment je m’y prends, pour expliquer, pour convaincre, pour animer, etc. C’est très gratifiant et encourageant, si bien que les journées les plus longues me paraissent finalement bien courtes.
Le Directeur du lycée français de Douala que nous rencontrons en premier, ne paraît pas très convaincu de l’introduction du Scrabble dans les activités scolaires. Il veut bien essayer… C’est un français, et comme tous les français il doute, n’y croit pas beaucoup ! A l’inverse, la Directrice du collège Chevreul, Sœur Gertrude, nous remercie chaleureusement d’avoir choisi son établissement pour y implanter les activités de Scrabble, estime que c’est Dieu qui nous a mis sur son chemin et nous offre une collation et des Coca Cola qu’elle bénit pour nous ! Je vois là toute la différence entre deux cultures : la nôtre, celle de la surabondance, qui génère des attitudes blasées, et celle de l’Afrique, où tout est opportunité à saisir, tout ce qui se présente est une chance à ne pas laisser échapper.
Nous avons tout de même eu le temps d’une salade à midi et d’une bière au bord du fleuve dans une guinguette très sympa, avec vue imprenable sur l’estuaire du port de Douala. Cette ville est immense, bien plus grande que Cotonou ou Lomé, avec ses trois millions d’habitants. Le centre ville est assez délimité avec une volonté de modernisme qui date un peu et surtout, qui n’est pas du tout entretenue. Douala n’est pas comme Lomé en bordure de mer, et il faut faire quelques kilomètres au nord ou au sud pour aller sur l’Atlantique. Au sud surtout, les plages sont paraît-il magnifiques, mais je n’aurai sans doute pas le temps de m’y rendre. J’ai bien profité du balnéaire au Togo, et fais plutôt le choix de visiter la partie ouest du pays, la plus traditionnelle, la plus culturelle aussi au point de vue ethnique, et la plus montagneuse donc fraîche.
L’émission radio est marrante à faire, car nous sommes 4 à être interviewés en même temps : Micky le futur président, Jojo le futur Secrétaire général, et Martial Junior le futur directeur de la communication. Le présentateur un peu frimeur nous fait parler entre deux tubes africains sur lesquels l’homme à la régie se trémousse inlassablement ! Le lieu est vétuste mais bien équipé. Nous parlons à tour de rôle du dernier tournoi comme s’il s’était agi d’un évènement sportif de grande importance. On pourrait s’y croire ! Les dix dernières minutes sont consacrées à un jeu sur les finales. Le Président gagne. L’honneur est sauf !
La ville grouille toute la journée. La circulation n’est pas particulièrement malodorante, mais épouvantablement non réglementée. Personne ne respecte les feux rouges. Si on les respecte, me dit-on, inutile de croire que l’on va avancer ! Les trous dans la chaussée obligent les voitures à réaliser de véritables slaloms. Les motos se faufilent partout et n’importe comment, y compris à contresens. Une charrette de vendeur de bananes peut inopinément se retrouver face à votre véhicule sur une voie à sens unique ! Impressionnant et très dangereux. J’ai eu peur aujourd’hui en voiture. C’est comme si la vie humaine n’avait pas de prix. La Mercédès dans laquelle je circule frôle les jambes des motocyclistes qui ne s’en offusquent nullement. Dans les virages, on est à quelques centimètres de quelqu’un qui est assis là sur le trottoir ou en pleine chaussée, et ne bouge pas en voyant le véhicule arriver sur lui ! Je ne sais pas combien de morts par an il doit il y avoir dans cette ville, mais c’est sûrement considérable. Les Camerounais ne semblent avoir aucune conscience des dangers de la circulation routière.
Finalement, je suis assez contente de partir demain en bus pour Yaoundé avec toute la délégation ! Les routes camerounaises ne m’attirent pas beaucoup ! En revanche, du point de vue de la sécurité politique, Douala ne porte pas de signes visibles des évènements récents qui ont tout de même fait une centaine de morts. La ville s’écoule sans problèmes. La présence policière et de l’armée ne se font pas sentir du tout. Comme si rien ne s’était passé.
Enfin, pour rassurer tous ceux qui estimaient que je ne reviendrai probablement pas vivante d’Afrique, je peux assurer que ceux qui m’entourent ici comme ailleurs prennent grand soin de moi. Jamais un seul instant je ne me suis sentie en insécurité. Le seul fait de me balader avec des autochtones suffit à me faire parfaitement respecter. On me regarde un peu avec curiosité, mais personne ne m’aborde. Ma sacoche avec mon ordinateur est toujours étroitement surveillée, si bien qu’elle ne me crée aucun souci.
Alors, heureuse ? Ben oui ma foi, ça ne va pas mal !
Yaoundé, le 18 mars
Le voyage en bus jusqu’à Yaoundé est très rigolo ! Le bus ne part pas à une heure précise, si bien que personne ne semble stressé. Il ne démarre qu’une fois plein. La gare routière est envahie de monde qui attend et de petits marchands ambulants qui vendent tout et n’importe quoi. Le voyage dure plus de trois heures, à vive allure, toutes fenêtres ouvertes car ce n’est pas climatisé. Nous sommes une équipe d’une dizaine de scrabbleurs et la majorité continue de porter leurs t-shirts Orange. Une véritable équipe sportive reconnue en tant que telle sur son passage !
Cet esprit d’équipe est très fort ici, et je crois qu’il n’est pas étranger à la victoire du Sénégal aux championnats du monde. C’est une véritable force que les Africains ont en eux. L’esprit de compétition aussi est remarquable. En début de tournoi les meilleurs joueurs affirment tout haut « Je vais gagner ! ». Les parties libres sont observées avec beaucoup d’enthousiasme de la part des spectateurs, qui soutiennent l’un ou l’autre des joueurs, s’exclament dès que l’un d’eux réussit un joli coup, se moquent de ceux qui ratent quelque chose. Ici pas de fausse pudeur ou de fausse modestie. On joue pour gagner. On n’est pas dans un match de foot, mais ce n’est pas loin ! Je prédis qu’à Dakar l’ambiance sera extrêmement chaude ! Dans tous les sens du terme d’ailleurs...
Pendant presque tout le trajet l’équipe fait des tirages à partir de Vocabble grâce à mon ordi. Le logiciel est programmé sur les nouveaux mots ODS 5, et tout le monde cherche passionnément et avec beaucoup de concentration. Pour ma part, après quelques minutes de ce petit jeu, j’abandonne pour me plonger dans la contemplation du paysage qui n’intéresse personne.
C’est un paysage très vallonné, couvert de forêt équatoriale magnifique. Malheureusement, en maints endroits des coupes l’ont dévasté et la nature offre aux regards d’horribles cicatrices. Mais il faut comprendre, n’est-ce pas, que les peuples n’aient pas grand souci de l’écologie quand ils n’ont que la nature à se mettre sous la dent, quand il n’y a pas d’autres moyens de gagner sa vie.
Les maisons dans les villages sont ici très différentes. Il n’y a que très peu de béton et la grande majorité des constructions est réalisée en planches de bois. C’est que du bois, effectivement il n’en manque pas. Les arbres sont étonnants, très hauts et leurs troncs couverts de lianes. A travers ma fenêtre, je rêve d’aller me balader dans cette végétation si dense et où chaque plante est pour nous étonnante.
A chaque halte nous sommes assaillis par des vendeurs ambulants qui courent après le bus pour nous ravitailler : manioc dans des feuilles, brochettes, chips de plantain, eau et sodas, etc. Il est bien noté dans le bus qu’il est interdit d’y manger, mais une vendeuse de sandwichs parcourt sans problèmes le couloir central et beaucoup de passagers achètent.
Le plus drôle du voyage sera ce bonimenteur de plantes médicinales qui vient faire son show dans le couloir central pendant plus d’une demi heure ! Ses produits miracle soignent tout : des troubles de l’érection au cholestérol, des hémorroïdes externes aux règles douloureuses, de l’énurésie nocturne à la mauvaise haleine, des vers intestinaux au paludisme ! Il décrit à grands gestes les détails de chaque maladie, et ses explications sur les maladies du rectum sont particulièrement croustillantes ! L’attention des passagers est soutenue, mais il ne vendra que très peu le pauvre. A mon avis, les 3 acheteurs du bus étaient d’ailleurs des complices !
Nous parvenons ainsi à Yaoundé en début d’après-midi. La ville est très différente de tout ce que j’ai vu jusque là, car elle est construite sur 7 collines et que l’on a pris soin de conserver de la végétation entre les maisons. Ce sont ainsi des milliers de petites constructions qui s’étagent sur les contreforts, remplissent les vallées, et entre lesquelles continuent de pousser des arbres en particulier des bananiers. Le centre-ville est très moderne, avec des immeubles en bon état. La voirie n’a plus rien à voir avec celle de Douala, dans le centre du moins. De nombreuses boutiques qui vendent toutes sortes de produits donnent l’impression d’une ville bien achalandée où l’on peut trouver de tout.
Une bonne nouvelle m’attend dès l’arrivée du bus. Olivier a réussi à récupérer la deuxième cargaison de matériel à Douala et est prêt à l’envoyer par fret aérien. Il faut de toute urgence envoyer de l’argent par Western Union, ce qui n’est pas simple. Les banques ferment à 15 heures et les distributeurs automatiques ne délivrent pas une somme suffisante. Nous parvenons avec un taxi à régler le problème en nous déplaçant à toute vitesse à droite à gauche, et le matériel des camerounais arrivera jeudi à Douala ! Pour moi, une véritable victoire, et un soulagement. Ouf ! Un pays de plus !
Dès que la chaleur de la journée est passée, la fraîcheur tombe et c’est un véritable bonheur ! Je passe chez Mamounia, mon hôte, la première nuit où ma peau n’est pas moite, depuis maintenant un mois et demi. J’ai presque la tentation de dormir avec un t-shirt et je ne supporterai pas le ventilateur ! C’est qu’ainsi tout change : l’énergie que l’on a à agir, l’état général toute la journée, le moral aussi.
La maison de Mamounia, une des seules scrabbleuses de compétition camerounaises, est située en périphérie de Yaoundé, sur le sommet d’une colline d’où le panorama est superbe. C’est une vaste maison confortable, malgré les problèmes d’électricité qui affectent le quartier. Mais vivre avec des coupures ou des baisses de tension électrique, est moins inconfortable que de vivre sans eau comme à Douala ! Mamounia, fonctionnaire dans le ministère de la santé, a deux filles : une adorable poupée de 3 ans, appelée Camilla, incroyablement vive et intelligente, et une jeune fille de 18 ans avec laquelle les relations ne semblent pas simples. Une bonne partie de la soirée, alors que je suis dans ma chambre, la belle chambre des invités, j’entends Mamounia hurler contre elle : elle a caché son dernier bulletin car ses résultats n’étaient pas bons !
Pour mon arrivée, Mamounia et les autres femmes de la maison ont préparé un bon dîner, dont profiteront tous les scrabbleurs présents, une bonne dizaine. C’est ainsi en Afrique. S’il y a à manger tout le monde en profite ! Il y a dans la maison une terrasse et une cour aménagées comme un salon, si bien que dès que les scrabbleurs y arrivent ils sortent leur jeu, impatients ! Le virus du Scrabble a piqué ces jeunes Camerounais de façon sévère ! Moi, j’en profite pour prendre une douche bienfaisante. Je me sens bien.
Cet esprit d’équipe est très fort ici, et je crois qu’il n’est pas étranger à la victoire du Sénégal aux championnats du monde. C’est une véritable force que les Africains ont en eux. L’esprit de compétition aussi est remarquable. En début de tournoi les meilleurs joueurs affirment tout haut « Je vais gagner ! ». Les parties libres sont observées avec beaucoup d’enthousiasme de la part des spectateurs, qui soutiennent l’un ou l’autre des joueurs, s’exclament dès que l’un d’eux réussit un joli coup, se moquent de ceux qui ratent quelque chose. Ici pas de fausse pudeur ou de fausse modestie. On joue pour gagner. On n’est pas dans un match de foot, mais ce n’est pas loin ! Je prédis qu’à Dakar l’ambiance sera extrêmement chaude ! Dans tous les sens du terme d’ailleurs...
Pendant presque tout le trajet l’équipe fait des tirages à partir de Vocabble grâce à mon ordi. Le logiciel est programmé sur les nouveaux mots ODS 5, et tout le monde cherche passionnément et avec beaucoup de concentration. Pour ma part, après quelques minutes de ce petit jeu, j’abandonne pour me plonger dans la contemplation du paysage qui n’intéresse personne.
C’est un paysage très vallonné, couvert de forêt équatoriale magnifique. Malheureusement, en maints endroits des coupes l’ont dévasté et la nature offre aux regards d’horribles cicatrices. Mais il faut comprendre, n’est-ce pas, que les peuples n’aient pas grand souci de l’écologie quand ils n’ont que la nature à se mettre sous la dent, quand il n’y a pas d’autres moyens de gagner sa vie.
Les maisons dans les villages sont ici très différentes. Il n’y a que très peu de béton et la grande majorité des constructions est réalisée en planches de bois. C’est que du bois, effectivement il n’en manque pas. Les arbres sont étonnants, très hauts et leurs troncs couverts de lianes. A travers ma fenêtre, je rêve d’aller me balader dans cette végétation si dense et où chaque plante est pour nous étonnante.
A chaque halte nous sommes assaillis par des vendeurs ambulants qui courent après le bus pour nous ravitailler : manioc dans des feuilles, brochettes, chips de plantain, eau et sodas, etc. Il est bien noté dans le bus qu’il est interdit d’y manger, mais une vendeuse de sandwichs parcourt sans problèmes le couloir central et beaucoup de passagers achètent.
Le plus drôle du voyage sera ce bonimenteur de plantes médicinales qui vient faire son show dans le couloir central pendant plus d’une demi heure ! Ses produits miracle soignent tout : des troubles de l’érection au cholestérol, des hémorroïdes externes aux règles douloureuses, de l’énurésie nocturne à la mauvaise haleine, des vers intestinaux au paludisme ! Il décrit à grands gestes les détails de chaque maladie, et ses explications sur les maladies du rectum sont particulièrement croustillantes ! L’attention des passagers est soutenue, mais il ne vendra que très peu le pauvre. A mon avis, les 3 acheteurs du bus étaient d’ailleurs des complices !
Nous parvenons ainsi à Yaoundé en début d’après-midi. La ville est très différente de tout ce que j’ai vu jusque là, car elle est construite sur 7 collines et que l’on a pris soin de conserver de la végétation entre les maisons. Ce sont ainsi des milliers de petites constructions qui s’étagent sur les contreforts, remplissent les vallées, et entre lesquelles continuent de pousser des arbres en particulier des bananiers. Le centre-ville est très moderne, avec des immeubles en bon état. La voirie n’a plus rien à voir avec celle de Douala, dans le centre du moins. De nombreuses boutiques qui vendent toutes sortes de produits donnent l’impression d’une ville bien achalandée où l’on peut trouver de tout.
Une bonne nouvelle m’attend dès l’arrivée du bus. Olivier a réussi à récupérer la deuxième cargaison de matériel à Douala et est prêt à l’envoyer par fret aérien. Il faut de toute urgence envoyer de l’argent par Western Union, ce qui n’est pas simple. Les banques ferment à 15 heures et les distributeurs automatiques ne délivrent pas une somme suffisante. Nous parvenons avec un taxi à régler le problème en nous déplaçant à toute vitesse à droite à gauche, et le matériel des camerounais arrivera jeudi à Douala ! Pour moi, une véritable victoire, et un soulagement. Ouf ! Un pays de plus !
Dès que la chaleur de la journée est passée, la fraîcheur tombe et c’est un véritable bonheur ! Je passe chez Mamounia, mon hôte, la première nuit où ma peau n’est pas moite, depuis maintenant un mois et demi. J’ai presque la tentation de dormir avec un t-shirt et je ne supporterai pas le ventilateur ! C’est qu’ainsi tout change : l’énergie que l’on a à agir, l’état général toute la journée, le moral aussi.
La maison de Mamounia, une des seules scrabbleuses de compétition camerounaises, est située en périphérie de Yaoundé, sur le sommet d’une colline d’où le panorama est superbe. C’est une vaste maison confortable, malgré les problèmes d’électricité qui affectent le quartier. Mais vivre avec des coupures ou des baisses de tension électrique, est moins inconfortable que de vivre sans eau comme à Douala ! Mamounia, fonctionnaire dans le ministère de la santé, a deux filles : une adorable poupée de 3 ans, appelée Camilla, incroyablement vive et intelligente, et une jeune fille de 18 ans avec laquelle les relations ne semblent pas simples. Une bonne partie de la soirée, alors que je suis dans ma chambre, la belle chambre des invités, j’entends Mamounia hurler contre elle : elle a caché son dernier bulletin car ses résultats n’étaient pas bons !
Pour mon arrivée, Mamounia et les autres femmes de la maison ont préparé un bon dîner, dont profiteront tous les scrabbleurs présents, une bonne dizaine. C’est ainsi en Afrique. S’il y a à manger tout le monde en profite ! Il y a dans la maison une terrasse et une cour aménagées comme un salon, si bien que dès que les scrabbleurs y arrivent ils sortent leur jeu, impatients ! Le virus du Scrabble a piqué ces jeunes Camerounais de façon sévère ! Moi, j’en profite pour prendre une douche bienfaisante. Je me sens bien.
Douala, le 16 mars
Nouveau dimanche. En attendant de quitter la maison pour le tournoi duplicate en deux manches organisé aujourd’hui, Martial lave sa Mercedes dans la cour, comme tous les jours. Et même parfois deux fois par jour, me précise t-il !
Hier soir, le dîner que j’offre aux hôtes au restaurant nous permet de faire un peu connaissance. Il me permet aussi une balade dans la ville, la nuit, à travers les ruelles totalement défoncées et obscures, où grouille toute une foule colorée, bien habillée pour la soirée. Typiquement le genre d’endroits où je ne me serais jamais aventurée si j’étais seule ! Pour cela il est très chouette de visiter une ville avec ses habitants.
Douala est une ville festive. Il n’y a pas grand-chose à voir au point de vue touristique, mais l’animation diurne comme nocturne est très importante, et l’on pourrait je crois rester des heures à l’une des nombreuses petites terrasses aux chaises en plastique qui jalonnent les trottoirs. Enfin, trottoir est un grand mot, tant la voirie est dégradée partout. On semble dans ces multiples bars en plein air goûter volontiers à la bière ! Les multiples bouteilles vides sur les tables en témoignent.
Les habitants de la ville estiment que Douala, ville traditionnellement d’opposition a été abandonnée volontairement par le pouvoir politique, situé lui à Yaoundé. La rivalité entre les deux villes semble particulièrement forte. Le pays paraît vraiment scindé en deux. Yaoundé serait une ville très clean. C’est la capitale politique du pays. J’y serai mardi.
Le tournoi, prévu à 9 heures initialement, ne démarrera que vers 11 heures. Ce n’est pourtant pas faute d’énergie déployée, et Georges, que tout le monde appelle ici Jojo, s’active sans arrêt, s’occupant de tout. Et tout est toujours compliqué, car rien n’est vraiment anticipé. C’est que l’anticipation n’est pas toujours possible non plus dans un système de fonctionnement sociétal où tout se décide à la dernière minute, où rien n’est écrit, où un obstacle insurmontable peut arriver à tout moment. Jojo est crevé le pauvre avec cette préparation du Rallye des mots ! Ses copains pronostiquent même qu’il va tomber malade aussitôt que tout sera fini. Allez Jojo, il faut tenir le coup ! Le Rallye est bientôt terminé !
Ils sont 26 participants, regroupés en 13 paires, à jouer le tournoi duplicate. Je choisis de jouer tout en restant très attentive à ce qui va se passer, pour apporter à chaque instant les remarques qui permettent une amélioration du fonctionnement. Pour la première fois, grâce à l’évènement que crée le Rallye des mots, des sponsors soutiennent le tournoi : Orange qui fournit des t-shirts publicitaires que nous revêtons tous (malgré la chaleur !), et une marque de confiserie qui dote l’épreuve de chewing-gums et de pâte à tartiner au chocolat. Pour nous, ces dotations seraient ridicules. Ici, elles font extrêmement plaisir. Les résultats du tournoi de classique d’hier n’ont pas été diffusés, pour s’assurer que les participants reviendraient aujourd’hui pour le tournoi duplicate dont ils sont moins friands.
Moins friands peut-être, mais quel niveau ! La paire que je forme avec un jeune homme n’arrivera que 8ème au classement général après une deuxième partie à -23 ! La première partie est explosive, et RUBIETTE, MANTIQUE, ARMORIAI joker A, et DURATIVE, n’effraient pas grand monde ! On peut affirmer sans problèmes qu’il y a dans l’assemblée plus de 12 personnes qui pourraient être chez nous première ou deuxième série, dont au moins la moitié de la taille de vrais champions. Quand je pense que ces joueurs si motivés, si brillants, n’ont pas la possibilité de se présenter sur la scène internationale, je suis dégoûtée. Quelle injustice !
Il y a assez de jeux pour tous. Mais des jeux très souvent dans un sale état, avec des lettres absolument illisibles, des grilles sur lesquelles les couleurs ont disparu. S’il fallait jouer en individuel, donc avec un jeu chacun, ce ne serait pas possible. Il n’y a pas de tableau mural du tout. Sur du bois clair, quelqu’un note la partie à la craie blanche coup par coup, comme une feuille de route publique, et je suis bien incapable de pouvoir lire quoi que ce soit.
J’interviens à plusieurs reprises pour faire quelques remarques. Papier en l’air, c’est vraiment papier en l’air ! Le ramasseur, que l’on appelle ici ramoneur, ne prend pas les bulletins non levés. Les épellations au tirage et leur répétition sont obligatoires. Les bulletins même en alphanumérique doivent être rédigés horizontalement ou verticalement. Des avertissements devraient être distribués. Les joueurs doivent se placer selon l’ordre de leur classement, et il est interdit de changer de table parce qu’à la table d’à côté la grille est plus belle. Etc. Etc. En fait ces règles ne sont vraiment connues que de ceux qui ont eu la chance de participer à un tournoi dans un pays occidental. Ici, beaucoup les découvrent.
Le gros problème du tournoi viendra du fait que personne ne maîtrise DupliTop 5 que je propose sur mon ordinateur. Jojo commence à vouloir tout faire. C’est ainsi qu’il est Jojo ! Tirage et arbitrage en simultané des 13 tables avec un seul ordinateur, ce sera mission impossible ! La partie est sans cesse interrompue entre les coups. Je me lève alors, raconte quelque chose, et essaie de faire patienter les joueurs. Malheureusement, je ne suis pas à même de l’aider vraiment. Je sais faire fonctionner vaguement DupliTop, mais ne sais pas par exemple revenir en arrière pour annuler un coup, etc. Claude aujourd’hui nous a vraiment manqué !
Il y a toutefois parmi les scrabbleurs des petits génies informatiques qui, par tâtonnements et en se mettant à plusieurs, parviennent à résoudre tous les problèmes au fur et à mesure. Il est fort à parier qu’avec une telle expérience où il s’est jeté à l’eau et où il a tant souffert, Jojo devienne dans le futur un excellent arbitre. En fait, je ne me fais aucun souci sur le fait qu’un logiciel comme celui-là puisse être maîtrisé dans la future fédération par un nombre satisfaisant d’arbitres. Mais aujourd’hui, découvrir en même temps l’arbitrage en duplicate et le logiciel, cela faisait beaucoup !
Personne ne paye de droits de participation. Ceci est général dans tous les pays d’Afrique francophone. Imposer de devoir payer un tournoi est difficile, quand on sait combien de gens ne pourront pas se l’offrir. J’explique tout de même que chez nous, beaucoup de scrabbleurs font aussi des sacrifices financiers pour participer aux compétitions, et que, dans la mesure de leur pouvoir d’achat, il faudrait tout de même demander une contribution ne serait-ce que symbolique. Dans ces conditions, la location des chaises par exemple pourrait au moins être couverte. Aujourd’hui, chacun finance les activités de sa poche, quand il est chevronné et généreux. Mais le moindre centime est très précieux. Il manque de l’argent tout le temps et pour tout.
Je suis la seule à fumer, comme dans les autres pays où je me suis rendue. Non pas sans doute parce que les africains craindraient davantage que nous pour leur santé, mais parce que les cigarettes sont trop chères : 1,50€ le paquet. Voyant que je suis à cours de cigarettes, quelqu’un me fait une surprise : un paquet de Marlboro light arrive sur ma table ! Je suis touchée. La gentillesse des Camerounais est très frappante et surtout, par rapport aux autres pays où je me suis rendue, leur spontanéité chaleureuse. Il y a ici moins de retenue je crois qu’au Togo ou au Bénin. J’éprouve l’impression que les gens sont plus détendus et qu’ils s’expriment plus librement. Peut-être est-ce une conséquence de la culture moins religieuse du pays.
Les joueurs qui sont venus de Yaoundé n’ont pas d’argent pour repartir chez eux. Je propose pour la semaine prochaine de financer un bus charter qui permettra aux joueurs de Douala de participer en nombre à l’assemblée générale. Dans le cas contraire, les élections risquent de se dérouler dans de très mauvaises conditions. Le voyage aller-retour coûte 8000 CFA, une petite fortune, quand on sait que c’est le tiers d’un salaire minimum d’un camerounais, le sixième du salaire moyen. L’équivalent de 200 euros pour un smicard occidental.
Les photos de groupe avec nos t-shirts Orange sont particulièrement réussies ! Je n’ai rien mangé de la journée, comme tout le monde. Je suis la seule à demander où je peux me procurer quelque chose à 13 heures. Personne apparemment ne songe à se ravitailler. Le sandwich au museau que l’on me procure va être partagé en 6 morceaux qui font le bonheur de beaucoup, car j’ai horreur du museau ! Je suis admirative devant la constance des joueurs, leur concentration, alors qu’ils n’ont rien dans le ventre, ni la moindre gorgée d’eau à boire pendant de longues heures sous 35° ! J’offre un pot aux organisateurs en fin de tournoi. Extrêmement mérité.
Moi, je survis aussi, mais ce soir à 18 heures à peine, je suis couchée pour une sieste dont je ne me relèverai que demain matin ! Même pas le courage de voir le résultat des élections municipales.
Hier soir, le dîner que j’offre aux hôtes au restaurant nous permet de faire un peu connaissance. Il me permet aussi une balade dans la ville, la nuit, à travers les ruelles totalement défoncées et obscures, où grouille toute une foule colorée, bien habillée pour la soirée. Typiquement le genre d’endroits où je ne me serais jamais aventurée si j’étais seule ! Pour cela il est très chouette de visiter une ville avec ses habitants.
Douala est une ville festive. Il n’y a pas grand-chose à voir au point de vue touristique, mais l’animation diurne comme nocturne est très importante, et l’on pourrait je crois rester des heures à l’une des nombreuses petites terrasses aux chaises en plastique qui jalonnent les trottoirs. Enfin, trottoir est un grand mot, tant la voirie est dégradée partout. On semble dans ces multiples bars en plein air goûter volontiers à la bière ! Les multiples bouteilles vides sur les tables en témoignent.
Les habitants de la ville estiment que Douala, ville traditionnellement d’opposition a été abandonnée volontairement par le pouvoir politique, situé lui à Yaoundé. La rivalité entre les deux villes semble particulièrement forte. Le pays paraît vraiment scindé en deux. Yaoundé serait une ville très clean. C’est la capitale politique du pays. J’y serai mardi.
Le tournoi, prévu à 9 heures initialement, ne démarrera que vers 11 heures. Ce n’est pourtant pas faute d’énergie déployée, et Georges, que tout le monde appelle ici Jojo, s’active sans arrêt, s’occupant de tout. Et tout est toujours compliqué, car rien n’est vraiment anticipé. C’est que l’anticipation n’est pas toujours possible non plus dans un système de fonctionnement sociétal où tout se décide à la dernière minute, où rien n’est écrit, où un obstacle insurmontable peut arriver à tout moment. Jojo est crevé le pauvre avec cette préparation du Rallye des mots ! Ses copains pronostiquent même qu’il va tomber malade aussitôt que tout sera fini. Allez Jojo, il faut tenir le coup ! Le Rallye est bientôt terminé !
Ils sont 26 participants, regroupés en 13 paires, à jouer le tournoi duplicate. Je choisis de jouer tout en restant très attentive à ce qui va se passer, pour apporter à chaque instant les remarques qui permettent une amélioration du fonctionnement. Pour la première fois, grâce à l’évènement que crée le Rallye des mots, des sponsors soutiennent le tournoi : Orange qui fournit des t-shirts publicitaires que nous revêtons tous (malgré la chaleur !), et une marque de confiserie qui dote l’épreuve de chewing-gums et de pâte à tartiner au chocolat. Pour nous, ces dotations seraient ridicules. Ici, elles font extrêmement plaisir. Les résultats du tournoi de classique d’hier n’ont pas été diffusés, pour s’assurer que les participants reviendraient aujourd’hui pour le tournoi duplicate dont ils sont moins friands.
Moins friands peut-être, mais quel niveau ! La paire que je forme avec un jeune homme n’arrivera que 8ème au classement général après une deuxième partie à -23 ! La première partie est explosive, et RUBIETTE, MANTIQUE, ARMORIAI joker A, et DURATIVE, n’effraient pas grand monde ! On peut affirmer sans problèmes qu’il y a dans l’assemblée plus de 12 personnes qui pourraient être chez nous première ou deuxième série, dont au moins la moitié de la taille de vrais champions. Quand je pense que ces joueurs si motivés, si brillants, n’ont pas la possibilité de se présenter sur la scène internationale, je suis dégoûtée. Quelle injustice !
Il y a assez de jeux pour tous. Mais des jeux très souvent dans un sale état, avec des lettres absolument illisibles, des grilles sur lesquelles les couleurs ont disparu. S’il fallait jouer en individuel, donc avec un jeu chacun, ce ne serait pas possible. Il n’y a pas de tableau mural du tout. Sur du bois clair, quelqu’un note la partie à la craie blanche coup par coup, comme une feuille de route publique, et je suis bien incapable de pouvoir lire quoi que ce soit.
J’interviens à plusieurs reprises pour faire quelques remarques. Papier en l’air, c’est vraiment papier en l’air ! Le ramasseur, que l’on appelle ici ramoneur, ne prend pas les bulletins non levés. Les épellations au tirage et leur répétition sont obligatoires. Les bulletins même en alphanumérique doivent être rédigés horizontalement ou verticalement. Des avertissements devraient être distribués. Les joueurs doivent se placer selon l’ordre de leur classement, et il est interdit de changer de table parce qu’à la table d’à côté la grille est plus belle. Etc. Etc. En fait ces règles ne sont vraiment connues que de ceux qui ont eu la chance de participer à un tournoi dans un pays occidental. Ici, beaucoup les découvrent.
Le gros problème du tournoi viendra du fait que personne ne maîtrise DupliTop 5 que je propose sur mon ordinateur. Jojo commence à vouloir tout faire. C’est ainsi qu’il est Jojo ! Tirage et arbitrage en simultané des 13 tables avec un seul ordinateur, ce sera mission impossible ! La partie est sans cesse interrompue entre les coups. Je me lève alors, raconte quelque chose, et essaie de faire patienter les joueurs. Malheureusement, je ne suis pas à même de l’aider vraiment. Je sais faire fonctionner vaguement DupliTop, mais ne sais pas par exemple revenir en arrière pour annuler un coup, etc. Claude aujourd’hui nous a vraiment manqué !
Il y a toutefois parmi les scrabbleurs des petits génies informatiques qui, par tâtonnements et en se mettant à plusieurs, parviennent à résoudre tous les problèmes au fur et à mesure. Il est fort à parier qu’avec une telle expérience où il s’est jeté à l’eau et où il a tant souffert, Jojo devienne dans le futur un excellent arbitre. En fait, je ne me fais aucun souci sur le fait qu’un logiciel comme celui-là puisse être maîtrisé dans la future fédération par un nombre satisfaisant d’arbitres. Mais aujourd’hui, découvrir en même temps l’arbitrage en duplicate et le logiciel, cela faisait beaucoup !
Personne ne paye de droits de participation. Ceci est général dans tous les pays d’Afrique francophone. Imposer de devoir payer un tournoi est difficile, quand on sait combien de gens ne pourront pas se l’offrir. J’explique tout de même que chez nous, beaucoup de scrabbleurs font aussi des sacrifices financiers pour participer aux compétitions, et que, dans la mesure de leur pouvoir d’achat, il faudrait tout de même demander une contribution ne serait-ce que symbolique. Dans ces conditions, la location des chaises par exemple pourrait au moins être couverte. Aujourd’hui, chacun finance les activités de sa poche, quand il est chevronné et généreux. Mais le moindre centime est très précieux. Il manque de l’argent tout le temps et pour tout.
Je suis la seule à fumer, comme dans les autres pays où je me suis rendue. Non pas sans doute parce que les africains craindraient davantage que nous pour leur santé, mais parce que les cigarettes sont trop chères : 1,50€ le paquet. Voyant que je suis à cours de cigarettes, quelqu’un me fait une surprise : un paquet de Marlboro light arrive sur ma table ! Je suis touchée. La gentillesse des Camerounais est très frappante et surtout, par rapport aux autres pays où je me suis rendue, leur spontanéité chaleureuse. Il y a ici moins de retenue je crois qu’au Togo ou au Bénin. J’éprouve l’impression que les gens sont plus détendus et qu’ils s’expriment plus librement. Peut-être est-ce une conséquence de la culture moins religieuse du pays.
Les joueurs qui sont venus de Yaoundé n’ont pas d’argent pour repartir chez eux. Je propose pour la semaine prochaine de financer un bus charter qui permettra aux joueurs de Douala de participer en nombre à l’assemblée générale. Dans le cas contraire, les élections risquent de se dérouler dans de très mauvaises conditions. Le voyage aller-retour coûte 8000 CFA, une petite fortune, quand on sait que c’est le tiers d’un salaire minimum d’un camerounais, le sixième du salaire moyen. L’équivalent de 200 euros pour un smicard occidental.
Les photos de groupe avec nos t-shirts Orange sont particulièrement réussies ! Je n’ai rien mangé de la journée, comme tout le monde. Je suis la seule à demander où je peux me procurer quelque chose à 13 heures. Personne apparemment ne songe à se ravitailler. Le sandwich au museau que l’on me procure va être partagé en 6 morceaux qui font le bonheur de beaucoup, car j’ai horreur du museau ! Je suis admirative devant la constance des joueurs, leur concentration, alors qu’ils n’ont rien dans le ventre, ni la moindre gorgée d’eau à boire pendant de longues heures sous 35° ! J’offre un pot aux organisateurs en fin de tournoi. Extrêmement mérité.
Moi, je survis aussi, mais ce soir à 18 heures à peine, je suis couchée pour une sieste dont je ne me relèverai que demain matin ! Même pas le courage de voir le résultat des élections municipales.
Yaoundé, le 19 mars
Sale journée !
Impossible de trouver de l’argent. Les banques ne délivrent rien avec mon carnet de chèques et ma carte. Les distributeurs ne donnent pas plus de 200 €. Même le Hilton, paradis des riches, n’offre pas la possibilité de retirer du liquide. Il faut croire que les hôtes viennent avec des valises pleines de billets ! Et puis, les banques, soit il est trop tôt et les employés sont en pause, soit il est trop tard et les guichets sont fermés !
Dès le matin, je m’enquiers auprès de Georges de mon planning. Je n’ai toujours pas réussi à avoir quoi que ce soit d’écrit, et dans ces conditions je me sens complètement baladée comme un paquet d’un lieu à l’autre. Nous sommes « attendus » par le conseiller d’action culturelle de l’Ambassade de France. Il a dit que nous passions lorsque je serai là, et qu’il nous recevrait. Informée d’une telle procédure aussi informelle, je doute bien qu’il nous reçoive et demande à Georges d’appeler pour confirmation. Impossible de joindre l’ambassade. Bien entendu, nous ne serons reçus qu’à la guérite par un sous-fifre qui accepte de nous passer une secrétaire invisible par téléphone. Le Monsieur n’est pas là. Normal ! Il faut remplir un document de demande d’audience que Georges a déjà rempli plusieurs fois ! Retour à la case départ à laquelle nous étions il y a déjà 6 mois !
La moutarde commence à me monter au nez.
Deuxième rendez-vous au forcing avec le correspondant national de l’OIF, qui n’a pas été calé non plus. Nous parvenons à voir une sous-direction, absolument pas au courant du dossier. Le correspondant est en pleine semaine de la Francophonie. Un de ses collaborateurs a reçu Georges et tous les documents nécessaires. Promesse avait même été faite que nous participions à cette journée, que je sois accueillie par l’OIF à mon arrivée, etc. Personne ne semble au courant et le « prometteur » n’est pas là. Pourquoi ? Nul ne le sait. Je parviens à défendre mon dossier devant nos interlocutrices non décisionnaires, et à obtenir un rendez-vous ferme pour le mardi, jour où en principe je ne suis plus à Yaoundé. Tant pis, on ira sans moi.
Là, j’éclate ! Les méthodes de travail ici sont aussi effrayantes qu’au Bénin. Les rendez-vous sont vagues. Rien n’est noté. On fait confiance au premier employé venu qui assure que… Le Comité d’Organisation de Yaoundé n’a rien organisé du tout. Tout s’improvise le jour même. Je me crois revenue à Cotonou !
Les rencontres avec les autres ministères ne sont pas prévues non plus. Je suis dans la ville administrative et politique du Cameroun, pour des rencontres que je demande depuis plus de 6 mois avec la Culture, la Jeunesse, l’Enseignement, et j’ai l’impression de débarquer en terrain complètement inconnu.
Le soir une « réunion », plus ou moins improvisée en tant que réunion de crise, réunit au fond d’un magasin de meubles tous les responsables de Yaoundé. Je donne un véritable coup de pied dans la fourmilière, exprime mon indignation et affirme que dans ces conditions de fonctionnement, jamais l’Afrique ne sortira du sous-développement et de la marginalisation qu’elle connaît sur la scène internationale. Les Indiens, les Chinois, les Indonésiens, tous ont compris qu’il fallait s’adapter aux méthodes du monde moderne pour y conquérir sa place. Ici, en Afrique, on argue sans cesse d’une spécificité culturelle, qui à elle seule justifierait que les choses se passent ainsi. Je refuse une telle explication.
Quand on s’adresse à haut niveau à des interlocuteurs qui vivent à l’international, comme les conseillers d’ambassade ou les correspondants de l’OIF, surtout lorsqu’on est demandeur vis-à-vis d’eux, on se doit de mettre entre parenthèses les modes de fonctionnement locaux, et de s’adapter. J’explique qu’un rendez-vous n’est fixé que lorsqu’il est écrit de part et d’autre dans un agenda. Personne ici n’en possède. Tout est dans les têtes. Déjà quelques heures après, qui se rappelle avec exactitude du rendez-vous fixé mardi avec le correspondant de l’OIF ? Qu’un rendez-vous se prépare et qu’on doit y arriver avec des documents. Qu’on doit avoir un objectif précis et écrit pour laisser une trace. Qu’il faut effectuer un suivi et demander confirmation. Etc… Autant de choses qui sont chez nous évidentes, et qui ici, apparaissent comme nouvelles.
La réunion est houleuse. Mon ton est celui de la colère. Bien que l’on me donne des tas de justifications, je crois que la plupart me comprennent. Il y a certaines justifications que je n’accepte pas. Je n’accepte pas que la faute revienne à celui qui s’est démené, le seul qui ait donné de son temps et de son énergie, par exemple. La mise en cause des bénévoles par ceux qui n’ont rien fait m’est insupportable. Je le dis.
Pour pallier le manque, on tente d’improviser un planning pour les jours qui suivent, puisque je suis là jusqu’à samedi, jour de l’assemblée générale, et que nous ne sommes que mercredi. On propose d’organiser des tournois puisque plusieurs jeunes sont venus de Yaoundé, de me faire visiter les clubs, etc. J’explique que si le Rallye se résume à ce type d’actions il n’a pas raison d’être, et que je pourrais me contenter d’envoyer du matériel par fret, qu’au bout d’un mois et demi je connais les conditions dans lesquelles les clubs fonctionnent et surtout que je ne suis pas venue ici pour jouer au Scrabble !
La réunion tourne à la foire d’empoigne. Je m’en fiche. Je commence à comprendre qu’ici il est parfois nécessaire de secouer les gens. J’arrive à imposer la formation pédagogique, malgré les réactions des anciens qui disent qu’ils savent comment faire car, il y a 20 ans, il y avait ici des clubs scolaires ! Même le concept de formation n’est pas compris de tous. Claude deviendrait fou de voir que l’on découvre ici que je suis en charge de faire une formation, que rien n’est prévu pour.
La réunion s’achève dans un désordre général, et il faudra de longs moments de discussion sur le trottoir pour que le climat s’apaise et que l’on parvienne à se séparer.
En petit comité, nous allons boire un pot pour discuter de la composition du nouveau bureau. Ne faut-il pas tenir compte des ethnies dans les critères d’éligibilité ? On risque de nous reprocher d’avoir favorisé l’une d’elles par rapport aux autres. Les membres du bureau ne doivent-ils pas être choisis parmi des gens qui possèdent de l’argent, et qui seront autonomes pour financer leurs dépenses ? Autant de doutes qui font ressurgir les vieilles méthodes, celles qui régissaient les fonctionnements traditionnels africains, qui révèlent combien tout le monde n’a pas encore compris qu’il fallait rompre avec cela si l’on voulait avancer. Là, nous parvenons à un accord et à faire disparaître les doutes.
Enfin, la soirée s’achève dans un incroyable restaurant de poisson. A l’entrée, des femmes présentent sur des étals des bars et des soles de toutes dimensions déjà grillés. On choisit son poisson. Il sera servi dans des grands plats sur la table, et tout le monde mange avec les doigts ! On se rince les mains dans de grands seaux d’eau avant et après. J’ai un peu de mal à m’adapter en tant qu’occidentale que je suis, habituée aux couverts à poisson, mais le bar est vraiment délicieux et je parviens sans problèmes à le décortiquer avec mes dix doigts !
Le règlement de l’addition de ces agapes de groupe est un moment toujours un peu délicat. On s’attable, on commande, on consomme, mais personne ne sait qui va payer. Certains font semblant au moment crucial d’être complètement dégagés de ce type de préoccupations. D’autres s’enquièrent de collecter plus ou moins de l’argent, et quelques bonnes volontés se manifestent, ceux qui sont censés être les plus riches ! Mais les choses se font dans une sorte d’accord tacite, qui d’ailleurs n’est pas toujours un accord, les payeurs râlant après coup de devoir toujours être mis à contribution. La situation est d’autant plus bizarre que parmi les convives autour de la table certains s’installent sans nécessairement y avoir été invités ! C’est ainsi partout et je commence à en avoir l’habitude. Souvent c’est moi qui régale, bien que j’explique que je ne suis pas comme on pourrait le croire, une riche héritière occidentale qui vit de ses rentes !
Le retour nocturne vers la maison de Mamounia est vraiment épique. Etienne qui nous a conduits toute la journée, nous quitte quand il arrive devant chez lui, et Mamounia et moi devons rentrer seules. Mamounia n’a jamais conduit cette voiture. La boîte de vitesse est complètement naze ! Nous hésitons beaucoup, calons, nous enfonçons dans un trou dont des hommes en pleine nuit nous sortent en hissant la voiture à la main ! Il faut sans cesse faire des démarrages en côte. Les routes ne sont absolument pas indiquées. De drôles de types rôdent un peu partout et nous regardent avec bizarrerie. Bref, à un moment donné, craignant la catastrophe, je prends le volant. Et cahin-caha, nous parvenons chez elles à travers le chemin de terre défoncé qui conduit en pente raide à sa maison. Au moment de la manœuvre en marche arrière pour rentrer dans la cour, j’égratigne la peinture de la carrosserie contre un mur crépi.
Je suis exténuée. La journée a été terrible ! Torride. Dangereuse. Tendue. Longue. Infructueuse. Je m’écroule dans mon lit sans même prendre mes médicaments.
Impossible de trouver de l’argent. Les banques ne délivrent rien avec mon carnet de chèques et ma carte. Les distributeurs ne donnent pas plus de 200 €. Même le Hilton, paradis des riches, n’offre pas la possibilité de retirer du liquide. Il faut croire que les hôtes viennent avec des valises pleines de billets ! Et puis, les banques, soit il est trop tôt et les employés sont en pause, soit il est trop tard et les guichets sont fermés !
Dès le matin, je m’enquiers auprès de Georges de mon planning. Je n’ai toujours pas réussi à avoir quoi que ce soit d’écrit, et dans ces conditions je me sens complètement baladée comme un paquet d’un lieu à l’autre. Nous sommes « attendus » par le conseiller d’action culturelle de l’Ambassade de France. Il a dit que nous passions lorsque je serai là, et qu’il nous recevrait. Informée d’une telle procédure aussi informelle, je doute bien qu’il nous reçoive et demande à Georges d’appeler pour confirmation. Impossible de joindre l’ambassade. Bien entendu, nous ne serons reçus qu’à la guérite par un sous-fifre qui accepte de nous passer une secrétaire invisible par téléphone. Le Monsieur n’est pas là. Normal ! Il faut remplir un document de demande d’audience que Georges a déjà rempli plusieurs fois ! Retour à la case départ à laquelle nous étions il y a déjà 6 mois !
La moutarde commence à me monter au nez.
Deuxième rendez-vous au forcing avec le correspondant national de l’OIF, qui n’a pas été calé non plus. Nous parvenons à voir une sous-direction, absolument pas au courant du dossier. Le correspondant est en pleine semaine de la Francophonie. Un de ses collaborateurs a reçu Georges et tous les documents nécessaires. Promesse avait même été faite que nous participions à cette journée, que je sois accueillie par l’OIF à mon arrivée, etc. Personne ne semble au courant et le « prometteur » n’est pas là. Pourquoi ? Nul ne le sait. Je parviens à défendre mon dossier devant nos interlocutrices non décisionnaires, et à obtenir un rendez-vous ferme pour le mardi, jour où en principe je ne suis plus à Yaoundé. Tant pis, on ira sans moi.
Là, j’éclate ! Les méthodes de travail ici sont aussi effrayantes qu’au Bénin. Les rendez-vous sont vagues. Rien n’est noté. On fait confiance au premier employé venu qui assure que… Le Comité d’Organisation de Yaoundé n’a rien organisé du tout. Tout s’improvise le jour même. Je me crois revenue à Cotonou !
Les rencontres avec les autres ministères ne sont pas prévues non plus. Je suis dans la ville administrative et politique du Cameroun, pour des rencontres que je demande depuis plus de 6 mois avec la Culture, la Jeunesse, l’Enseignement, et j’ai l’impression de débarquer en terrain complètement inconnu.
Le soir une « réunion », plus ou moins improvisée en tant que réunion de crise, réunit au fond d’un magasin de meubles tous les responsables de Yaoundé. Je donne un véritable coup de pied dans la fourmilière, exprime mon indignation et affirme que dans ces conditions de fonctionnement, jamais l’Afrique ne sortira du sous-développement et de la marginalisation qu’elle connaît sur la scène internationale. Les Indiens, les Chinois, les Indonésiens, tous ont compris qu’il fallait s’adapter aux méthodes du monde moderne pour y conquérir sa place. Ici, en Afrique, on argue sans cesse d’une spécificité culturelle, qui à elle seule justifierait que les choses se passent ainsi. Je refuse une telle explication.
Quand on s’adresse à haut niveau à des interlocuteurs qui vivent à l’international, comme les conseillers d’ambassade ou les correspondants de l’OIF, surtout lorsqu’on est demandeur vis-à-vis d’eux, on se doit de mettre entre parenthèses les modes de fonctionnement locaux, et de s’adapter. J’explique qu’un rendez-vous n’est fixé que lorsqu’il est écrit de part et d’autre dans un agenda. Personne ici n’en possède. Tout est dans les têtes. Déjà quelques heures après, qui se rappelle avec exactitude du rendez-vous fixé mardi avec le correspondant de l’OIF ? Qu’un rendez-vous se prépare et qu’on doit y arriver avec des documents. Qu’on doit avoir un objectif précis et écrit pour laisser une trace. Qu’il faut effectuer un suivi et demander confirmation. Etc… Autant de choses qui sont chez nous évidentes, et qui ici, apparaissent comme nouvelles.
La réunion est houleuse. Mon ton est celui de la colère. Bien que l’on me donne des tas de justifications, je crois que la plupart me comprennent. Il y a certaines justifications que je n’accepte pas. Je n’accepte pas que la faute revienne à celui qui s’est démené, le seul qui ait donné de son temps et de son énergie, par exemple. La mise en cause des bénévoles par ceux qui n’ont rien fait m’est insupportable. Je le dis.
Pour pallier le manque, on tente d’improviser un planning pour les jours qui suivent, puisque je suis là jusqu’à samedi, jour de l’assemblée générale, et que nous ne sommes que mercredi. On propose d’organiser des tournois puisque plusieurs jeunes sont venus de Yaoundé, de me faire visiter les clubs, etc. J’explique que si le Rallye se résume à ce type d’actions il n’a pas raison d’être, et que je pourrais me contenter d’envoyer du matériel par fret, qu’au bout d’un mois et demi je connais les conditions dans lesquelles les clubs fonctionnent et surtout que je ne suis pas venue ici pour jouer au Scrabble !
La réunion tourne à la foire d’empoigne. Je m’en fiche. Je commence à comprendre qu’ici il est parfois nécessaire de secouer les gens. J’arrive à imposer la formation pédagogique, malgré les réactions des anciens qui disent qu’ils savent comment faire car, il y a 20 ans, il y avait ici des clubs scolaires ! Même le concept de formation n’est pas compris de tous. Claude deviendrait fou de voir que l’on découvre ici que je suis en charge de faire une formation, que rien n’est prévu pour.
La réunion s’achève dans un désordre général, et il faudra de longs moments de discussion sur le trottoir pour que le climat s’apaise et que l’on parvienne à se séparer.
En petit comité, nous allons boire un pot pour discuter de la composition du nouveau bureau. Ne faut-il pas tenir compte des ethnies dans les critères d’éligibilité ? On risque de nous reprocher d’avoir favorisé l’une d’elles par rapport aux autres. Les membres du bureau ne doivent-ils pas être choisis parmi des gens qui possèdent de l’argent, et qui seront autonomes pour financer leurs dépenses ? Autant de doutes qui font ressurgir les vieilles méthodes, celles qui régissaient les fonctionnements traditionnels africains, qui révèlent combien tout le monde n’a pas encore compris qu’il fallait rompre avec cela si l’on voulait avancer. Là, nous parvenons à un accord et à faire disparaître les doutes.
Enfin, la soirée s’achève dans un incroyable restaurant de poisson. A l’entrée, des femmes présentent sur des étals des bars et des soles de toutes dimensions déjà grillés. On choisit son poisson. Il sera servi dans des grands plats sur la table, et tout le monde mange avec les doigts ! On se rince les mains dans de grands seaux d’eau avant et après. J’ai un peu de mal à m’adapter en tant qu’occidentale que je suis, habituée aux couverts à poisson, mais le bar est vraiment délicieux et je parviens sans problèmes à le décortiquer avec mes dix doigts !
Le règlement de l’addition de ces agapes de groupe est un moment toujours un peu délicat. On s’attable, on commande, on consomme, mais personne ne sait qui va payer. Certains font semblant au moment crucial d’être complètement dégagés de ce type de préoccupations. D’autres s’enquièrent de collecter plus ou moins de l’argent, et quelques bonnes volontés se manifestent, ceux qui sont censés être les plus riches ! Mais les choses se font dans une sorte d’accord tacite, qui d’ailleurs n’est pas toujours un accord, les payeurs râlant après coup de devoir toujours être mis à contribution. La situation est d’autant plus bizarre que parmi les convives autour de la table certains s’installent sans nécessairement y avoir été invités ! C’est ainsi partout et je commence à en avoir l’habitude. Souvent c’est moi qui régale, bien que j’explique que je ne suis pas comme on pourrait le croire, une riche héritière occidentale qui vit de ses rentes !
Le retour nocturne vers la maison de Mamounia est vraiment épique. Etienne qui nous a conduits toute la journée, nous quitte quand il arrive devant chez lui, et Mamounia et moi devons rentrer seules. Mamounia n’a jamais conduit cette voiture. La boîte de vitesse est complètement naze ! Nous hésitons beaucoup, calons, nous enfonçons dans un trou dont des hommes en pleine nuit nous sortent en hissant la voiture à la main ! Il faut sans cesse faire des démarrages en côte. Les routes ne sont absolument pas indiquées. De drôles de types rôdent un peu partout et nous regardent avec bizarrerie. Bref, à un moment donné, craignant la catastrophe, je prends le volant. Et cahin-caha, nous parvenons chez elles à travers le chemin de terre défoncé qui conduit en pente raide à sa maison. Au moment de la manœuvre en marche arrière pour rentrer dans la cour, j’égratigne la peinture de la carrosserie contre un mur crépi.
Je suis exténuée. La journée a été terrible ! Torride. Dangereuse. Tendue. Longue. Infructueuse. Je m’écroule dans mon lit sans même prendre mes médicaments.