Lomé, le 9 mars

La nuit a tenu ses promesses de fraîcheur et de lit confortable. Dès 8 heures, je suis sur la plage et la marée étant basse, il est possible de se baigner. C’est une occasion rare sur ce littoral du golfe de Guinée, où les vagues sont très fortes, la profondeur importante et les sables plutôt mous. Ici, une barrière rocheuse naturelle et pourtant totalement rectiligne, protège la plage. Une plage protégée, où ne peuvent pas sévir tous les dangers de la plage du centre ville où  il n’est pas du tout conseillé de s’aventurer.

C’est dimanche. Encore dimanche ? J’ai l’impression que les dimanches se succèdent à une allure folle ! Prés de notre hôtel, ce sont des hameaux de pêcheurs excessivement pauvres, plus proches du bidonville que du village. Des jeunes jouent au foot depuis des heures. Des gamins se baignent en chahutant. Quelques chiens courent sans but. Mais tout ce monde reste à l’écart de notre plage pour blancs que surveille un garde en uniforme. Nous sommes dans un îlot ou un ghetto pour riches. Nul grand-luxe pourtant sur ce Coco Beach, mais le confort de bains de soleil avec matelas, de paillottes qui fournissent de l’ombre, d’un restaurant en plein air, d’un joli décor de palmiers. Les infrastructures touristiques sont très rares ici, et Coco Beach un des seuls établissements de ce type à Lomé.

Je compte rester ici quelques jours, en attendant le départ pour le Cameroun. Claude s’en va mardi soir. Prince reste avec moi pour me ramener sur Cotonou jeudi, jour où je prends mon vol pour Douala. C’est génial ! A chaque pays ce sera une nouvelle aventure, des gens différents, des problématiques spécifiques à régler ! Je pourrais voyager ainsi durant des années sans lassitude, sans m’ennuyer de quoi que ce soit. Le seul point important pour moi est qu’il y ait de la diversité et que, jamais, je ne me retrouve dans une situation routinière. Ce voyage va me le permettre pendant trois mois.

Cet après-midi, grande cérémonie en l’honneur de la création de la nouvelle fédération togolaise, et du Rallye des mots.
Nos amis nous ont fabriqué des costumes africains qu’ils nous ont demandés d’essayer hier soir ! Claude et moi sommes donc dans des costumes assortis, lui chemise et pantalon, moi robe longue et turban sur la tête ! Je crains le pire ! Je promets d’envoyer les photos au plus vite ! Il y a environ 60 personnes, dont un certain nombre de journalistes locaux et deux télés. Un animateur conduit l’après midi, avec une certaine maladresse d’ailleurs. Je prends la parole la première pour expliquer le Rallye de la Fisf, et exprimer ma satisfaction à voir naître une fédération de Scrabble unifiée. Puis, les délégués des clubs procèdent au vote de validation du nouveau bureau. Adopté à 15 oui contre 1 non. C’est un succès !

Des djembes rythment le passage d’une séquence à l’autre : poème et rythmes très soutenus que les participants accompagnent de claquements de mains. Carlos fait son discours, en tant que président. Kekeli, vice président restera silencieux pendant toute la cérémonie. Je regrette un peu qu’on ne lui ai pas donné la parole ou qu’il ne l’ait pas prise. Nathalie, nommée Secrétaire Générale, explique les différentes fonctions des membres du bureau et présente les commissions.

Enfin remise du matériel et l’après midi se clôture par un tournoi amical en parties libres. Autour de chaque table, une dizaine de spectateurs observe la partie en silence. C’est sympa.

Combien de temps cette union va-t-elle durer ? Peut-on affirmer que désormais et définitivement il n’existe plus qu’une seule fédération togolaise de Scrabble ? Je voudrais pouvoir répondre par l’affirmative, mais il me paraît encore bien tôt. Je crains que les vieilles querelles ne ressurgissent un jour à l’occasion du premier différent venu. Que les frustrations engendrées dans le clan de Kekeli ne parviennent pas à s’apaiser tout à fait si Carlos ne sait pas lui laisser sa place. Affaire à suivre dans les mois et les années qui viennent…

En tous les cas, pour le Rallye, le Togo aura été une étape très agréable, riche de rencontres, touristiquement intéressante, et couronnée de succès au plan du résultat. Quand je vois le matériel livré, dans ces cartons qui commencent déjà à avoir bien souffert, j’éprouve une grande satisfaction qui, à elle seule, justifierait le Rallye. Il a été si difficile de collecter tout cela, de l’inventorier, de le répartir, de l’acheminer jusqu’ici ! Rétrospectivement, il me semble que cela est un premier exploit !

A l’avenir d’ailleurs, il faudra réfléchir sur cette expérience, si l’on veut que le Rallye se poursuive. Sans en avoir référé à la Fisf, il m’apparaît de plus en plus que les « métiers » qu’exige une telle opération, n’ont rien à voir avec les métiers d’une fédération sportive. Il faudrait un logisticien qui prenne en charge tout le matériel, son regroupement et son acheminement. Un responsable de la communication médias qui s’attache plusieurs mois à l’avance à faire parler de l’opération. Un comité qui regroupe au niveau international des bénévoles motivés, capables de démultiplier dans tous les pays dont ils sont issus, les informations et les opérations de soutien au projet, en Occident comme en Afrique. Un responsable du suivi sur le terrain des actions déjà effectuées, ce qui suppose une communication permanente et régulière avec les correspondants de chaque pays, responsable qui devrait assurer dans son pays le suivi du jumelage. Un responsable enfin de la recherche de sponsors permettant de financer les opérations annuelles.

Le statut d’une telle organisation devrait être celui d’une ONG, permettant d’obtenir sans problèmes l’exonération des taxes douanières et les laisser passer pour franchir les frontières. Nous avons perdu beaucoup de temps et d’argent à obtenir des documents que ce statut nous aurait permis d’avoir tout de suite. Par ailleurs, dans la recherche de partenariat un tel statut nous faciliterait grandement la vie, puisque les donations qui seraient sollicitées seraient exemptes elles aussi d’impôts et de taxes.

Enfin, je dirai qu’une telle organisation ne peut être managée avec efficacité que dans une structure dédiée, qui agit avec beaucoup de réactivité, et dont les membres connaissent parfaitement la situation sur le terrain, au point de vue administratif et logistique comme au point de vue scrabblesque.

Olivier, Claude et moi avons largement débattu de cette question et nous semblons d’accord. J’espère que dès le retour en France, elle pourra être abordée avec la Fisf et avec les fédérations fondatrices pour être mise en place dès la prochaine édition du Rallye. L’idéal serait de pouvoir l’annoncer à Dakar. « Tu vas trop vite », me dit on souvent ! Oui, peut-être, mais la vie est courte, non ? Et puis n’a-t-on déjà pas perdu assez de temps, quand on pense que les fédérations occidentales de Scrabble ont attendu 30 ans pour se préoccuper de la promotion du jeu en Afrique francophone, où le français est parlé par 80 millions de personnes, où le jeu est si populaire, et où se nichent tant de jeunes talents ?

Douala, le 15 mars

Ce matin il pleut à grande eau ! Mmm, c’est bon l’eau, dans tant de poussière et de chaleur brûlante ! Elle s’écrase à grands fracas sur les toits de tôle. C’est un vrai bonheur ! Pourtant, contre toute attente, elle ne rafraîchira pas l’atmosphère horriblement lourde de cette journée. Ce qui me fait plaisir, c’est que les Africains semblent souffrir autant que moi. Tout est donc normal.

Aujourd’hui, un tournoi est organisé en partie libre qui va me donner une idée de ce type de manifestation si prisée ici. Je ne jouerai pas, devant continuer l’animation du groupe restreint commencée hier. Le but est de parvenir ce soir à la proposition d’un bureau et à un appel à candidatures.

Depuis deux jours, je suis coupée de tout. Pas encore de téléphone. Pas eu le temps d’aller voir mes mails. J’espère pouvoir prendre aujourd’hui un peu de temps pour moi. En fait je suis dépendante des autres, qui me véhiculent dans la ville. Il est vrai que cela est extrêmement confortable : ne pas avoir à chercher ni un distributeur ni un cyber, ne pas avoir à marcher sous la chaleur, etc. Mais j’éprouve aussi le sentiment un peu frustrant de ne pas avoir le loisir de me confronter réellement à la ville, et de ne pas pouvoir consacrer du temps à mes besoins personnels : traîner, faire des courses, visiter Douala, etc.

La maison où je suis hébergée est tout à fait moderne et confortable, arrangée avec soin, décorée de très nombreuses fleurs artificielles. Le problème, car en Afrique il y a toujours un problème, c’est que les travaux sur la route alentour ont coupé toutes les canalisations d’eau, et que les habitants doivent se débrouiller, pour un temps tout à fait indéterminé, avec de l’eau puisée assez loin et récupérée dans des seaux. Là aussi, ils subissent. Inimaginable chez nous que l’on impose cela aux habitants d’une commune, surtout sans leur signifier combien de temps cela va durer. Car cela peut durer plusieurs mois. Les gens seraient carrément évacués !

Il y a chez ces africains une capacité à endurer qui est remarquable, et qui devrait nous apprendre beaucoup à nous occidentaux, toujours plaintifs, revendicatifs, insatisfaits de nos conditions de vie si extraordinaires quand on les compare aux conditions d’ici. Il devrait être obligatoire pour la jeunesse d’effectuer un séjour en Afrique, d’avoir à se débrouiller avec un seau d’eau pendant quelques temps ! Le service militaire, je n’aime pas beaucoup, mais la rééducation sociologique, oui, j’y crois. Mao Tse Dong s’y est essayé, en envoyant les intellectuels à la campagne. Moi j’y enverrai aussi volontiers les jeunes de toutes les catégories sociales de nos pays outrageusement favorisés ! Nos petits enfants verraient alors concrètement que l’électricité ce n’est pas comme la pluie, quelque chose qui ne coûte rien et qui tombe tout seul, que l’eau est une denrée rare et lourde pour laquelle tout être humain serait prêt à risquer sa vie. Ce n’est pas le courage au combat qu’il faut apprendre, ni l’usage des armes, c’est le courage de vivre tout simplement sans l’usage de notre arsenal de confort, de techniques, de luxe.

Je vous ennuie chers lecteurs ? Ok ! J’arrête !

Au tournoi en partie libre, qui se déroule dans le hall de l’Essec située au cœur de l’université de Douala, une trentaine de joueurs divisés en 5 poules. Le tournoi durera toute la journée. A chaque table un juge arbitre, et des spectateurs debout qui assistent à la partie. Les dotations fournies par Orange, nouveau sponsor, sont constituées de friandises diverses, dont certaines chocolatées ne résisteront pas à la chaleur de ma journée. Pour le tournoi un seul ODS 5 est disponible.

Notre réunion commence avec presque 2 heures de retard ! Je deviens fataliste ! Il le faut… J’en profite pour aller voir mes mails jusqu’à ce qu’une coupure d’électricité fasse tout sauter ! Les représentants des clubs ne sont pas tous présents et certains d’ailleurs, présents le matin, quitteront la réunion pour participer au tournoi l’après-midi ! Je suis outrée, et le dit à haute voix dans la salle quand la réunion est terminée. Lorsqu’on vous fait l’honneur de vous confier une responsabilité on ne la fuit pas pour aller jouer ! La vieille blanche « fée du Scrabble » va se transformer pour un moment en vieille sorcière !

C’est bien de responsabilité qu’il est question aujourd’hui. Nous parvenons sans peine à établir un regroupement des fonctions identifiées la veille, puis à dessiner un organigramme et enfin à le remplir avec des noms, acceptés à l’unanimité ! La tâche est facile aujourd’hui. La participation est excellente sans doute parce que l’ancien président n’est pas présent dans le groupe aujourd’hui. Il reste à valider à Yaoundé la semaine prochaine la proposition de bureau par un vote.

Les participants à la réunion sont satisfaits de l’animation qui au plan méthodologique leur a apporté beaucoup. Car les problèmes de carence de méthode semblent vraiment ici essentiels, aussi importants que les problèmes de non-respect des horaires. Ce serait toute une culture qu’il faudrait changer, et la tâche serait à mon avis immense. Ce n’est pas moi qui vais m’y risquer !

Personnellement, je sors très satisfaite et gratifiée de ce travail où je me suis sentie utile et qui débouche sur l’ébauche d’une fédération camerounaise de scrabble unifiée, active et pérenne. En sueur aussi !!!

Atakpamé, 5-6 mars

Le 5 mars, ce n’est pas encore la fête des femmes, mais c’est ma fête à moi, car je bulle toute la journée ! Pas la moindre balade, si ce n’est l’heure quotidienne d’Internet, indispensable. Piscine d’eau tiède, bain de soleil, Scrabble avec Claude … Que c’est bon !

Une famille de français est à l’hôtel avec nous à Kpalimé. Ils voyagent avec un minibus, marrant, tout rouge, sur lequel est inscrit « Junior bus ». Nous l’avions déjà croisé sur la route plusieurs fois. Le français me dit que le chauffeur, propriétaire de son camion (ce que n’est pas Prince), est très sérieux, et le véhicule en très bon état. Il en coûterait 250 000 CFA par jour pour aller de Cotonou à Bamako, soit environ 35€. Cette solution permettrait d’économiser 1000 € sur le plan prévu, qui oblige à louer le véhicule de Prince et à payer en sus le transport des marchandises par bus. Décision prise ! Junior bus va devenir Senior bus pour 18 jours !

Evidemment Prince est déçu, mais il comprend notre souci d’économie. Le seul inconvénient, et il est de taille, c’est que le bus n’est pas climatisé. Il paraît qu’en roulant toutes fenêtres ouvertes, avec une serviette mouillée autour du cou, je supporterai les 40° qui m’attendent sur la route ! On verra bien ! Si c’est insupportable, je louerai à Ouaga ma propre voiture climatisée à mes frais.

J’ai omis de dire que je suis au Togo dans le pays où l’on parle l’éwé. Les non scrabbleurs me diront qu’ils s’en fichent bien, mais les scrabbleurs me reprocheront de ne pas en avoir parlé plus tôt, eux pour qui ce mot est si utile !

Le matin du 6 mars nous quittons Kpalimé pour Atakpamé, où nous dormirons ce soir. La journée est consacrée à une très belle balade en voiture sur le plateau de Danyi.

Lomé, le 2 mars

Nous sommes dimanche. Les familles en beaux habits se rendent à la messe. Nos amis béninois et togolais aussi.

Nous avons rendez-vous d’abord individuellement avec Kekeli, président de la Togolaise, avant que les deux parties se rencontrent à midi dans un restaurant convenu. La réunion se déroule sous la paillote du jardin d’enfants attenant à la maison où nous logeons, et que tient Anastasia, la mère de Nathalie.

Il faut avancer prudemment dans la discussion si l’on veut parvenir à un consensus. La Togolaise reconnaît-elle que Carlos fédère autour de lui des scrabbleurs ? Est-il intéressant et nécessaire que tous les scrabbleurs se rassemblent autour d’une fédération unique ? En tous les cas la FISF l’exige. Ces deux points sont vite acquis et Nathalie résume bien les choses : les Africains sont déjà suffisamment divisés par leurs langues, leurs ethnies, leurs conflits ; le Scrabble doit les réunir.

J’explique le processus selon lequel nous allons devoir définir un nouveau bureau : établissement des postes clef, définition des fonctions et des  compétences afférentes, équilibrage des deux tendances, et validation par les scrabbleurs à raison de deux représentants par club. Il faut donc faire des concessions : prendre le risque de perdre la présidence, faire abstraction du gros travail fait pour préparer le Rallye alors que l’autre tendance n’a rien fait, considérer qu’il peut y avoir a priori autant de scrabbleurs dans l’un et l’autre camp, etc.. Il faut aussi, et cela est plus difficile, faire abstraction des conflits de personnes, de l’historique très houleux de leurs relations, dans lesquelles on trouve des histoires de menaces de procès, de sécurité menacée, de « brigade antigang » ! etc..

Kekeli est durement mis à l’épreuve dans ce processus. Il est entouré de Nathalie, de Kevin et de William, ce dernier étant le responsable du magnifique club scolaire visité hier. Ces collaborateurs vont dans notre sens et tentent de le convaincre.

Il est l’heure maintenant de faire se confronter le camp de Carlos et le camp de Kekeli. Ils sont trois représentants de part et d’autre, et Claude, Olivier, Modeste et moi-même sommes des observateurs médiateurs. Je prends la direction de la réunion et après avoir expliqué les enjeux, les discussions commencent, point par point, avec des objections évoquées au fur et à mesure et qu’il faut démonter. Carlos se montre ouvert et relativement conciliant. Les points d’accord s’obtiennent de façon progressive après discussion en commun et discussions en aparté de chaque camp.

Eh bien, oui ! Nous y arrivons ! Vers 16 heures, après 4 heures de négociation, nous parvenons à un accord. Olivier se comporte de façon formidable, avec un esprit de synthèse remarquable et des propositions intelligentes au plan méthodologique pour avancer.

L’accord concerne le nouveau bureau. Carlos est président, ce qui permettra au scrabble togolais de bénéficier de son portefeuille d’adresses et de ses introductions auprès des Ministères. Kekeli est vice-président, en charge du fonctionnement de la fédération, des clubs, des tournois. Reviennent à l’équipe de Kekeli : le secrétariat général, les relations internationales, la trésorerie générale. Reviennent à l’équipe de Carlos : le secrétariat général adjoint, la logistique et matériel et l’organisation. Des commissions seront prévues en complément : championnats, scolaire, promotion, formation, etc..

Le nombre de voix dans le bureau permet une répartition équitable entre les deux tendances. L’accord est validé par tous. Il reste à le soumettre en assemblée générale dimanche prochain aux scrabbleurs togolais.

Ouf ! C’est éprouvant le métier Kofi Annan ! Je ne ferais pas ça tous les jours.

Le soir nous réunit avec l’équipe de Kekeli autour d’un repas préparé par Nathalie. Un moment que j’apprécie parce qu’il n’y est plus uniquement question du Scrabble togolais. Nous évoquons de façon animée l’image de la France auprès des Togolais, la situation de dépendance des pays d’Afrique vis à vis d’elle, la question monétaire, etc.. Débat intéressant. Je retiendrai particulièrement la remarque de William, qui nous explique les vertus du Scrabble en Afrique : tout oublier, oublier jusqu’à la faim parfois, non pas en mangeant les pions comme le suggère Claude, mais en jouant sans interruption de façon si concentrée que plus rien ne compte vraiment !

Lomé, le 3 mars

Nous devons quitter Lomé en début de matinée pour nous rendre à Kpalimé, lieu de villégiature en montagne au nord-ouest de la capitale. Enfin, « montagne », si l’on veut, car le point culminant du Togo est à 900 mètres seulement.

Notre Prince, chauffeur si charmant que Claude et moi ne parvenons pas à nous séparer malgré sa très hypothétique guimbarde, n’est pas là ! Evidemment, c’est le jour où le véhicule choisit de ne pas démarrer. Il faut changer un certain nombre de pièces. Ne me demandez pas quoi ! Nous ne partirons qu’en début d’après-midi.

Le temps, grâce à Nathalie, notre hôte
, de visiter le jardin d’enfants attenant à la maison. Les enfants ont entre 2 et 6 ans. Rangés sous la paillote dans leurs petits uniformes à carreaux, ils semblent très intimidés. Les gosses m’appellent tata. C’est ainsi qu’ils désignent les adultes qui s’occupent d’eux. J’explique qui je suis. Ils écoutent attentivement mais très peu d’entre eux osent lever le doigt pour poser une question. Je parle du froid qu’il fait dans nos pays et qu’ils ne parviennent sûrement pas à imaginer. De mes petits-enfants. Des métiers qu’ils voudraient faire plus tard.  Les photos les dérident quand ils se voient à l’écran, et leurs toutes petites mains noires se tendent vers l’appareil pour désigner ce qu’ils voient avec étonnement !

Ce jardin d’enfants est privé. Il en coûte environ 30 000 CFA, 45€ par an aux parents. Certains d’entre eux mangent à midi chez Anastasia, et j’ai le loisir de les observer. Ils sont étonnamment sages ces bambins. Aucun chahut en attendant le repas. Ils jouent calmement assis sur leur natte, puis s’allongeront en rang d’oignon plus tard pour faire la sieste. Le repas, du maïs accompagné de saucisses, est pris en silence. Jamais chez nous nous ne pourrions avoir autant de calme avec 5 tout-petits affamés ! Il faut dire qu’on semble leur apprendre une discipline de fer, dès le plus jeune âge. « Je me lève » doivent-ils dire en se dressant, « je m’assieds » en regagnant leur siège, et cela tous en chœur. Et puis comment des enfants pourraient-ils être vindicatifs quand ils n’ont pas grand-chose sous les yeux à demander ?

Les malheurs de Prince nous permettent de faire un tour sur le marché de Lomé, extrêmement bien achalandé et animé, et sur la plage immense bordée de cocotiers à l’ombre desquels se repose toute une faune dont il faut paraît-il se méfier ! L’air de la mer est bienfaisant. Au loin, d’énormes cargos rappellent que Lomé est aussi un grand port.

Cette ville me plaît. Au centre du marché, l’énorme cathédrale un peu kitch est écrasée de soleil. Toutes les rues grouillent de monde. Le supermarché où nous nous rendons comporte un choix de produits tout à fait comparable à une bonne supérette chez nous. Je repense à Cotonou, dont les magasins sont vides. Il faut en faire 3 pour trouver à peu près ce que l’on cherche. Les arbres sont très présents dans la ville, et même si la chaleur est identique à celle de Cotonou, environ 35 ou 36° Celsius aujourd’hui, elle est plus supportable car l’on trouve toujours plus ou moins une petite zone d’ombre.

La ville est cependant assez délabrée. Il faut dire que le Togo sort de 15 années d’embargo, pendant lesquels le pays vivait en quasi-autarcie, et qui n’ont permis aucun développement. L’histoire de ce pays est très différente de celle du Bénin tout proche. Alors que le Bénin vit depuis de très nombreuses années sous un régime présidentiel démocratique, et n’a jamais connu de troubles sanglants, le Togo a une histoire beaucoup plus mouvementée, qui n’est d’ailleurs pas tout à fait apaisée aujourd’hui.

Sans prétendre faire un cours d’histoire, mais pour une brève information de mes lecteurs, disons que ce pays a connu la présence allemande et a fait la première guerre mondiale avec les Allemands. La présence française date de la fin de cette guerre, où la Société des Nations partage le pays entre la France et l’Angleterre. L’Angleterre a investi le Ghana, toujours anglophone aujourd’hui. Les français se sont installés au Togo et ont voulu le différencier du Dahomey, l’actuel Bénin. Jusqu’aux années 80, le Togo est indépendant, mais très influencé par la Chine. Le président Gnassingbé pratique un culte de la personnalité avec un parti unique, mais la situation est prospère. A la fin des années 80 la situation se gâte avec l’effondrement du Bloc de l’Est.  Le Togo privé d’une aide précieuse entre en crise comme bien d’autres pays africains. Le peuple togolais est opprimé, les tensions se multiplient et des émeutes très violentes éclatent en 1990. Puis, ce ne sont que des histoires de coups d’état, de manifestations réprimées dans un bain de sang, d’attentats qui conduisent de nombreux togolais à fuir le pays. La démocratie ne parvient pas à s’installer et les élections sont sans cesse remises en cause, les constitutions bafouées, avec leurs cohortes d’arrestations et d’exécutions. La situation est désormais apaisée, mais reste encore tendue. Le pouvoir est entre les mains du fils de l’ancien président qui a régné sur le Togo pendant 38 ans, Faure Gnassingbé. Il semble plus souple que son père. Mais l’opposition n’est pas encore vraiment libre de s’exprimer dans le Togo d’aujourd’hui et Reporters sans Frontières dénonce sans cesse les atteintes à la liberté de la presse dans le pays.

Revenons à notre matinée du 3 mars. Arrêt à la poste de Lomé, où Claude doit poster une carte pour l’anniversaire de sa belle-mère ( !), et à la banque.  Il est assez difficile de se procurer de l’argent, car les distributeurs automatiques sont limités à 200 000 CFA que l’on ne peut retirer qu’avec une carte Visa, et qu’il est impossible de payer quoique ce soit autrement qu’en liquide. Il va falloir composer avec cela, sachant que j’ai de grosses dépenses à effectuer pour sortir du port les marchandises qui arrivent bientôt à Cotonou dans le deuxième navire, pour acheminer le matériel par avion vers le Cameroun, par bus vers le Burkina et le Mali, pour payer Prince chaque jour, ainsi que pour nos dépenses personnelles.

Je me sens très heureuse lorsque nous quittons (enfin !) Lomé dans l’après-midi pour la campagne togolaise. Les routes deviennent charmantes au fur et à mesure que l’on s’éloigne, bordées de grands arbres. Des irokos aux troncs géants surgissent de la savane arborée et des manguiers très touffus forment des tunnels ombragés. Partout des gens marchent sur la route, car il semble ici aussi n’il y avoir que très peu de transports en commun. Ce sont le plus souvent des écoliers en uniforme bleu marine ou beige, qui portent leurs livres et leurs cahiers de classe sur le dos ou sur la tête, dans un équilibre incroyable, ou bien des femmes chargées de lourds fardeaux : du bois, des bassines superposées contenant je ne sais quoi, des fruits ou des légumes. Ici, comme ailleurs, les femmes servent malheureusement souvent d’animaux de bât ! Nul homme surchargé n’est observable sur la route !

La route est de plus en plus montagneuse au fur et à mesure que l’on approche de Kpalimé. La végétation des collines est luxuriante. Nous éprouvons enfin, pour la première fois depuis plus de trois semaines que nous sommes là, l’impression d’une Afrique authentique telle que nous l’imaginons en Europe. L’Afrique de la nature tropicale. Car au Bénin, je me rends compte, que le pays a été complètement dévasté par la déforestation. Nous ne sommes qu’à une centaine de kilomètres ici et la nature y est très différente, bien plus préservée.

Nous parvenons dans un hôtel charmant en soirée, avec une piscine, dont l’eau chlorée et chaude nous ravit jusqu’à la tombée de la nuit. A plus de 25°, elle paraît fraîche ! Le chlore et la fraîcheur font du bien à ma peau, moite depuis si longtemps que mes piqûres de moustique, que je gratte sans cesse sur les jambes, forment des croûtes qui ne guérissent pas.  Prince ne sait pas nager mais se baigne tout de même avec une grosse bouée noire ! Nous nous sentons détendus et heureux. Je suis propre et ça c’est un vrai bonheur ! Et pour cette nuit, luxe suprême, nos chambres d’un prix pourtant très abordables, sont climatisées !