La nuit porte conseil. Elle me révèle combien il y a méprise sur notre mission. Les Béninois, s’ils n’ont pas réservé la salle de formation, s’ils n’ont pas convié les médias, s’ils n’ont pas préparé la cérémonie de ce soir, s’attendaient sans doute à ce que tout cela soit payé rubis sur l’ongle par la FISF. L’ambition de leur programme, qu’ils ne sont pas en mesure de prendre en charge  eux-mêmes, tient au fait qu’ils devaient être certains que nous mettrions à chaque évènement la main au porte monnaie. Lorsque nous avons avant-hier visité la salle de formation, ils s’attendaient sans doute à ce que l’on passe la commande !

Je comprends mieux maintenant qu’ils se méprennent sur nos apports. Nous fournissons aux fédérations africaines environ 40 000 € de matériel, durement collectés, durement arrachés à nos différents partenaires. Nous leur apportons sur place un soutien institutionnel dans la recherche de subventions et de parrainage auprès de leurs autorités locales, une aide à la formation de formateurs en matériel pédagogique et en animation, une médiatisation en Europe du projet et de nos actions. En ce qui concerne les Béninois nous leur offrons la possibilité de nous accompagner dans les pays voisins, pour que le Bénin joue dans la région le rôle de leader qu’il veut tenir, nous prenons en charge une partie de leurs frais personnels.  En retour ils nous devaient notre hébergement, nos transports et celui du matériel, la prise de rendez-vous auprès des interlocuteurs institutionnels souhaités et l’organisation de la communication médiatique sur place. Il va sans doute falloir que je mette cela par écrit pour préparer ma venue dans les prochains pays.

Ce soir a lieu la fameuse cérémonie officielle de remise du matériel. J’accepte de prendre en charge la collation qui suivra, à hauteur de 50 000 CFA, soit environ 80 €. Je n’ai aucun budget de la FISF pour ce genre de choses, mais veux bien faire un effort. Quitte à payer de ma poche. Effort insuffisant aux yeux de mes amis béninois qui, là encore, avaient dans leur tête, imaginé les choses en grand, type réception cocktail ! J’aimerais bien savoir comment les scrabbleurs africains imaginent que nous vivons, nous scrabbleurs en Europe ! Sans doute croient-ils que nous avons pour habitude de faire bombance dans les grands hôtels après nos activités ! Non, chers amis. Le Scrabble dans nos pays occidentaux est moins pauvre que chez vous, peut-être, mais soyez sûrs que tout le monde se bat au jour le jour pour réduire les dépenses au mieux, pour tenir des budgets très serrés. Les subventions que nous recevons sont ridicules et nous vivons essentiellement de la participation des licenciés à l’activité : droits d’inscription aux tournois, qui ne permettent d’ailleurs pas à tout le monde d’y participer, prise en charge personnelle des frais de déplacements et d’hébergement, licences payantes, etc.  Et cela est bien difficile !

Ce matin, nous sommes reçus par la Ministre de l’Enseignement Supérieur en personne ! C’est la première fois que nous est accordé un rendez-vous à si haut niveau. Acquise comme tous à la cause du Scrabble dans ses vertus pédagogiques et éducatives, elle veut bien aider au développement des activités de la fédération béninoise en milieu universitaire. Il faut lui présenter un vrai projet, et je me rends  compte que c’est vraiment là que le bât blesse. Ces rendez-vous ne sont pas préparés. Les Béninois arrivent les mains dans les poches sans aucun document. Olivier et moi devons à la va-vite photocopier en noir et blanc le planning et le dossier de presse. Nous n’obtiendrons rien dans ces conditions, si nous ne présentons pas un plan d’action précis à nos interlocuteurs dans le domaine qui est le leur, si ce plan n’est pas assorti d’un budget, et si la demande de subvention n’est pas argumentée par la présentation claire des finances de la fédération et la démonstration de leur insuffisance pour faire face à tous les besoins. Là encore, c’est une bonne leçon pour les rendez-vous dans les prochains pays.

Mes mails du jour me remettent le nez dans l’imbroglio qui existe au niveau de la fédération togolaise que nous rencontrons dès le week-end prochain. Il y aurait eu des menaces à l’égard de nos interlocuteurs, émanant de quelqu’un qui se réclame d’une fédération officielle. Sommes-nous placés devant des luttes tribales, ou quoi ? Je crains que le climat au Togo et au Cameroun aussi d’ailleurs, ne soit pas plus serein qu’ici.

Claude se rend compte aujourd’hui que la formation prévue pour demain n’aura plus lieu à Porto Novo dans la belle salle que nous avons visitée auprès d’un public d’enseignants, mais à Cotonou, dans une salle pour 20 personnes, auprès essentiellement des scrabbleurs de la ligue Atlantique Littoral ! On change le lieu et la population des participants ! Pas grave, adaptons-nous ! Il fait preuve de beaucoup de souplesse, bien que je le sente inquiet.

Arrive l’heure de la cérémonie qui commence avec une heure trente de retard.

Claude et moi à la hâte scotchons sur les murs quelques documents faisant référence à la FISF. La fédération béninoise expose des échantillons du matériel qu’elle a reçu. Et nous attendons … Le genre de situation terriblement éprouvante pour ceux qui sont à l’heure, dont les représentants du Ministère de la Jeunesse et du Ministère de l’Enseignement supérieur, cette dernière ayant été « convoquée » le matin même pour 16 heures ! Elle est bien sympa d’honorer l’invitation ! Nous attendons que les médias soient là. C'est-à-dire essentiellement la télévision nationale béninoise que nous avons rencontrée hier, et qui s’est dite intéressée à couvrir l’évènement. Ils arrivent enfin, alors que l’attente devient insupportable, et nous rejoint M. Ahanzo, représentant du chef de l’Etat et responsable de la Francophonie au Bénin, un grand Monsieur d’un certain âge, influent, et au passé politique très riche. Finalement la cérémonie se déroule avec un petit discours de chacun sous les regards des caméras et d’un public composé presqu’exclusivement de scrabbleurs locaux.


Nous avons sauvé les meubles. Je ne sais pas comment, mais nous y sommes parvenus. Ouf ! L’occasion aussi pour moi de m’entretenir un peu plus avec M. Ahanzo qui nous invite à déjeuner la semaine prochaine, me convie lundi à venir le voir pour nous signer une lettre d’accréditation et un laisser-passer permettant de circuler entre les pays,  et envisage… (croisons les doigts) de pouvoir mettre à notre disposition un 4X4 tout neuf pour la tournée internationale ! Peut-être notre sauveur !

Nous sommes tous les deux fatigués. Les deux jours à Grand Popo sont déjà loin et le planning que l’on nous a concocté pour les prochaines semaines est infernal ! Aucun week-end ni jour de repos n’est prévu jusqu’au 10 mars où s’inscrivent quelques jours de tourisme au Togo. Notre activité dite « touristique » a été très largement squeezée par ce programme. Depuis 15 jours que je suis à Cotonou, je n’ai pas eu le temps de me rendre au marché, de visiter le village lacustre qui se trouve à peine à quelques kilomètres, d’aller à la recherche du moindre musée, de faire le moindre shopping librement quelques heures. Tout se fait à la va-vite. Sans cesse nous alternons des moments où nous sommes extrêmement pressés avec des moments perdus où nous attendons. Nous ne prenons que très peu le temps d’une sieste dont nous avons besoin. Très peu de temps pour manger aussi, et nous contentons presque toujours d’un seul vrai repas le soir. Tout cela est très fatigant. Ajoutons enfin que nous sommes tous les deux dérangés au plan intestinal et que nous venons enfin d’en comprendre la raison : notre dévoué Roméo nous met de l’eau au frais chaque jour dans des bouteilles d’eau minérale du réfrigérateur. Mais c’est de l’eau prise au robinet ! Il y a deux semaines que j’en bois !

Personnellement, la charge de travail, la chaleur et les soucis commencent à m’empêcher de dormir correctement et de trouver la nuit le repos compensateur.

Cette nuit mes soucis sont d’ordre financier. Nous avons rencontré une société de logistique recommandée par la Maison de la Francophonie, qui a l’habitude de travailler avec des associations et des ONG et dont le responsable, un homme très sérieux et qui inspire vraiment confiance, s’est démené toute la journée pour nous présenter des devis de transport du matériel en soirée. Le prix avoisine les 5000 € et grève notre budget. Mais il n’est pas envisageable que nous laissions le matériel à Cotonou, maintenant qu’il est sur le continent africain. Nous explorons toutes les possibilités : charger la marchandise sur des bus de ligne régulière, au risque de ne pas avoir le temps de faire les formalités de transit avant que le bus ne reparte ; envoyer tout en avion, ce qui serait le mieux mais le plus cher ; louer un véhicule utilitaire que nous conduirions nous-mêmes qui pourrait nous transporter et le matériel avec sur les 2500 km qui nous séparent de Bamako et avoir à payer au loueur le retour … Nous devons réfléchir encore. J’espère avoir dans le courant du week-end notre Président au téléphone.