Natitingou, le 4 avril

Le matin vers 6 heures, quelqu’un tambourine à notre porte. La nuit m’avait fait oublier mes ennuis, que me rappellent aussitôt Prince et Modeste : il faut sortir de là, nous et le véhicule. Le « sonneur », Hakim, est un chauffeur de 4X4 qui a appris notre mésaventure et nous conseille de ne rien attendre du gérant de l’hôtel. Il est déjà arrivé que des gens tombent en panne ici, et doivent poireauter plusieurs jours ainsi prisonniers avant de pouvoir repartir. Plus le dépannage est long, plus le gérant gagne de l’argent !

Il nous propose donc de nous emmener ce matin à bord de son véhicule, loué par 3 jeunes prêtres de Lomé, pour un safari et d’appeler dès qu’un réseau téléphonique sera disponible, un soudeur de sa connaissance. L’histoire me paraît un peu alambiquée, mais finalement pourquoi pas. L’essentiel est que nous puissions retourner sur nos pas et accéder à la civilisation, où nous serons à mêmes de trouver une solution de dépannage, si sa promesse de soudeur miraculeux qui pourrait venir aussitôt vers nous, n’est pas honorée.

Les trois prêtres s’occupent de la paroisse de l’université de Lomé. Ils ne sont pas particulièrement sympathiques mais devant notre désarroi acceptent finalement « par solidarité » de nous prendre à bord. Ce sera d’ailleurs quelques heures après pour nous demander de participer financièrement au retour du véhicule ! Solidarité payante donc. C’est ainsi que cela fonctionne dans la charité chrétienne ?

Le retour à bord du 4X4 nous permet tout de même de nous arrêter au bord d’une grande mare où les animaux viennent s’abreuver. Du haut d’un mirador, on peut voir s’approcher éléphants, bubales, singes patas, phacochères, buffles, antilopes et crocodiles. J’aurais vraiment regretté que Modeste et Prince ne puissent assister à ce spectacle que je leur avais promis. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de voir les plus grandes réserves nationales du monde en Afrique australe, et ne suis pas à mon premier éléphant ou crocodile rencontré. Mais il est vrai que c’est magique d’assister ainsi à la vraie vie des animaux en plein milieu sauvage.


Notre chauffeur, Hakim, se débrouille effectivement pour joindre un garage de Nati, alors que les prêtres se baignent dans la cascade où nous étions hier. Ils râlent du retard que produit ce coup de fil. Ils ne sont vraiment pas sympathiques !

Sur la route,  bien après que l’on a quitté la piste, nous croisons effectivement un 4X4 sans pare-brise (un éléphant l’a attaqué), qui vient à notre rencontre et dans lequel s’embarque Prince. Modeste reste avec moi. Les deux compères sont d’accord pour ne jamais me lâcher d’une semelle !

Modeste et moi attendons le retour de Prince jusqu’à 22 heures avec une certaine anxiété. En attendant je continue au bel hôtel de Nati mes leçons de natation ! Auront-ils pu réparer avant que la nuit ne tombe ? Prince reviendra t-il avec la voiture ? L’attente est longue, mais notre Prince, absolument épuisé, revient en effet dans la nuit ! La réparation est faite. Il a rencontré sur la piste un troupeau d’éléphants qui lui barrait la route, alors que la nuit était tombée. Mais ils ont passé leur chemin tranquillement. Ouf ! Nous sommes donc sauvés ! Il faut maintenant attendre que ma fille me fasse parvenir de l’argent, car le dépannage a coûté cher et il ne me reste même pas de quoi payer l’hôtel demain. Or, j’apprends que la Poste française connaît une panne informatique sur l’ensemble du réseau national. Il faut attendre demain matin, dernière possibilité d’ouverture des banques avant le week-end, et s’apprêter peut-être à rester ici jusqu’à lundi

Dès demain soir, nous sommes attendus à Ouagadougou, par Olivier qui est déjà arrivé, les amis burkinabés et les ivoiriens qui viennent nous rejoindre. J’espère que nous pourrons honorer le rendez-vous.
 
 

Pendjari, le 3 avril

Nous partons tôt le matin de ce bel hôtel pour l’extrême nord, où se trouve le parc national de La Pendjari, une grande réserve naturelle d’animaux sauvages. Les tatas somba se font plus nombreux. La route s’achève à une cinquantaine de kilomètres de Nati pour continuer par une piste de terre.

Sur la piste, je ne résiste pas à photographier un de ces baobabs centenaires qui trônent au milieu des villages. Des dizaines d’enfants, tous plus sales les uns que les autres, surgissent je ne sais d’où, si bien qu’ils seront à peu près une trentaine sur la photo qu’ils me réclament. Le plus jeune sait à peine marcher. Je distribue  dans un effroyable désordre de petites mains tendues vers moi un paquet de gâteaux au chocolat achetés le matin même. Je dois les partager en quatre pour satisfaire le plus d’enfants possibles. Avec mon appareil et mes gâteaux je suis une véritable attraction, probablement la seule de cette journée torride. Je suis aussi pour la grande majorité je crois la première occasion de goûter au chocolat. Ces gosses n’ont rien, pas le moindre jouet, pas la moindre friandise. Ils ne sont probablement pas scolarisés non plus, car ici l’école a repris hier et ils traînent dans le village. Que vont-ils faire de leur vie ? Nombre d’entre eux travaillent déjà pour la famille, et on les voit sur les routes transporter sur leurs petits corps fragiles de grosses bassines ou des bidons. Pauvres gamins, malchanceux d’être nés là.


La piste traverse une centaine de kilomètres à travers le parc avant d’atteindre l’hôtel qui est situé tout au fond. Prince ne peut guère cheminer qu’à 25 ou 30 à l’heure, tant la voiture bringuebale ! Il faut dire que l’on nous avait recommandé un 4X4 pour se rendre ici et que, vu le prix exorbitant de la location, nous avons tenté l’aventure dans notre Opel.

Arrêt magique sur la piste à quelques kilomètres de l’entrée du parc pour nous rendre dans une cascade. Là, des béninois nous accompagnent, dans l’escalade de rochers glissants qui permet de découvrir ce havre de verdure superbe. Nous nous baignons dans une eau verte, presque fraîche, au son ininterrompu de la chute d’eau qui dégringole d’une dizaine de mètres des rochers de la montagne. C’est solidement arrimée aux bras de deux jeunes costauds que j’effectue la descente, sautant d’un rocher moussu à l’autre, m’agrippant à eux pour ne pas glisser. Un moment délicieux dans cette fournaise qui, au fur à mesure que nous avançons sur la piste, devient de plus en plus épouvantable.


Il faut dire que dès l’entrée du parc nous sommes en pleine savane. La sécheresse de la terre est effrayante. Pas une goutte ne ruisselle dans les lits des cours d’eau. Les herbes sèches, blondes, immobiles sous le soleil écrasant, parsèment des kilomètres de brousse, où ne poussent plus que des épineux, des acacias en général. Nous ouvrons grand les yeux, scrutant la brousse à la recherche du moindre animal caché sous l’ombre d’un arbre. Mais, la plupart du temps, nous nous méprendrons sur des troncs d’arbre aux formes étranges, et ne verrons pas grand-chose. Les animaux sont moins fous que nous. A cette heure ils se cachent et dorment. Nous croisons cependant une famille de babouins sur notre route. Les babouins sont des animaux qui ne sont pas craintifs. Nous pouvons les photographier.


La piste s’éternise. Elle est totalement ravinée par le passage des 4X4, si bien que nous avons l’impression de rouler sur de la tôle ondulée. Tout bouge dans le véhicule, qui cliquette, cahote, malgré les infinies précautions de Prince. Jusqu’au moment où, à environ 13 kilomètres de l’arrivée, les cliquetis se transforment en un vrai bruit de casseroles qui s’effondrent ! Nous nous arrêtons illico. Tout le côté gauche de la voiture à l’arrière est en train de tomber, la roue avec ! Un truc, ne me demandez pas quoi, qui tient le châssis, s’est dessoudé. L’Opel est en train de s’effondrer comme un château de cartes !


Que faire ? Continuer à pied les 13 kilomètres restants au risque de se faire bouffer par les lions dont on nous a promis la présence ici ? Attaquer par les buffles cornus ? Charger par les éléphants sauvages ? Nous ne voyons guère d’autre solution cependant, et je commence à troquer mes tongs contre des baskets pour me préparer à la randonnée ! Il fait encore plus chaud que chaud sur la piste en plein soleil. Il est environ 14 heures, l’heure la plus terrible.

Un bruit lointain de 4X4 s’annonce ! C’est un véhicule de l’IGN, Institut géographique national, qui se rend à l’hôtel pour des travaux de cartographie. Sans aucun problème, les occupants nous prennent à bord, nous et nos bagages, y compris le gros carton de Mes Mots en Poche 5 que nous transportons avec nous, je ne sais pas trop pourquoi !

L’hôtel est perdu au fond de nulle part. La piscine est quasiment abandonnée aux fleurs d’acacias qui recouvrent l’eau. Au loin, s’étendent de grandes plaines de savane blonde, qui bordent la rivière Pendjari, frontière naturelle entre le Bénin et le Burkina Faso. Dire que nous ne sommes mêmes plus véhiculés pour aller voir les animaux, après tant de kilomètres parcourus !

Il faut surtout penser à trouver une solution. L’hôtel ne dispose que d’un groupe électrogène qui fonctionne à partir de 19 heures seulement. Aucun réseau téléphonique ne passe ici. Il est relié une fois par jour par une radio antique, à Natitingou. Le gérant se propose d’essayer d’informer la ville de notre situation, sans garantir aucunement de pouvoir le faire, et surtout de pouvoir nous trouver une solution de dépannage. Prince revient sur les lieux de la panne, 13 km plus loin, avec un mécanicien qui pourra confirmer le diagnostic : il faut faire venir un soudeur !

La chaleur du jour ne finit pas. La nuit n’apporte aucun soulagement et dans de telles conditions je ne peux toujours rien avaler sous la belle paillote au toit de bois qui forme le restaurant. La nuit porte conseil. Nous verrons demain matin.

Kribi, le 24 mars

Balthazar, mon guide vient me chercher à 9 heures tapantes.

Nous enfourchons une moto chacun pour nous rendre sur la Lobé, rivière qui chute dans la mer à une dizaine de kilomètres de là. La route prend fin assez vite pour devenir une piste qui serpente à travers la brousse, déjà écrasée de soleil à cette heure pourtant matinale. Après l’orage de cette nuit, la journée s’annonce très chaude.

Un piroguier nous attend à l’ombre des badamiers sauvages tout près du pont qui enjambe la rivière. Nous prenons place à bord, moi devant pour admirer au mieux le paysage. Et c’est une heure de pur bonheur que cette douce et lente glissade sur l’eau verte, au rythme du clapotis léger de l’eau sur la perche ! Un moment de pleine sérénité. Le spectacle de la brousse est époustouflant. Des cascades de verdure dégringolent des arbres, des talus, et viennent plonger dans l’eau. Des arbres géants élèvent leurs cimes vers un ciel pur. Ce sont des azobés, des kapokiers, des bambous, aux pieds desquels toute une végétation épiphyte prend naissance pour grimper le long de leur tronc.

Quelques hameaux de pêcheurs jalonnent la rive. On aperçoit parfois une femme qui lave son linge, battant vigoureusement des étoffes colorées, courbée en deux, le dos parfaitement perpendiculaire à son torse. Un enfant tourne en général autour d’elle. Quelques pirogues très fines au bois clair glissent silencieusement sur l’eau ou attendent près du rivage, qu’un de ces pêcheurs aille à la recherche de tilapias, de poissons-chats, silures, aloses, etc. Mais ce sont surtout des crevettes qui sont pêchées ici, spécialité de Kribi.

La pirogue accoste sur la rive glissante de boue et couverte de végétation sauvage. Un petit sentier conduit vers le hameau de pygmées. Ce sont une trentaine de personnes qui vivent là, provisoirement car elles sont nomades. Quelques huttes de palme pour tout habitat, ces gens sont une seule et même famille composée d’un homme et de ses deux femmes. Ces pygmées là ne sont pas effarouchés du tout de notre approche. Ils ont l’habitude des touristes et vivent, de la chasse de porcs-épics, de serpents dont ils se régalent, de la cueillette dans la brousse tropicale très généreuse en plantes et fruits de toutes sortes, ainsi que des subsides que leur versent les visiteurs. En général, d’ailleurs, cet argent leur sert à aller acheter de l’alcool en ville. C’est malheureux mais c’est ainsi. On trouve la même chose partout dans le monde, quand le tourisme occidental s’infiltre dans les peuplades primitives. Il distille en général plus du poison qu’autre chose. C’est le cas avec les indiens d’Amérique du sud, les Inuits des pôles, les maoris de Nouvelle-Zélande, les aborigènes d’Australie. A vouloir approcher par curiosité ou par volonté missionnaire les populations primitives résistantes à la civilisation, on finit par les détruire purement et simplement, comme si l’homme n’était capable que de transmettre le mal.

Ces pygmées ne sont pas très beaux. Ils ne sont pas non plus très petits. On pourrait dire que moi aussi, avec mes 1,56 mètre, je suis une pygmée ! Les adultes ont souvent des têtes disproportionnées par rapport à leur corps. Je serre la main du chef armé de sa lance, prend des photos, et verse mon subside avant de les quitter. Pendant ce temps, mon guide entame avec les gamins une partie de foot. Tiens, cela aussi, nous semblons l’avoir transmis !

Au retour nous nous approchons des chutes. La crique dans  laquelle la rivière dégringole d’une falaise est belle, paisible. Je n’ai malheureusement pas le temps de m’y attarder, ni de déguster les crevettes, car nous devons prendre le bus de retour pour Yaoundé en début d’après-midi.

Beaucoup de monde attend à la gare routière, qui tient plus du capharnaüm que d’une gare. Les gens n’ont pas de place pour s’asseoir et se débrouillent sur leurs ballots, accompagnés d’enfants incroyablement sages et patients. Il y a trois bus cet après-midi et les tickets que nous achetons ne nous permettent de prendre que le troisième, dont l’heure de départ n’est pas précisée. Nous attendons ainsi plusieurs heures, et Maï parvient à négocier un départ dans le deuxième bus.

Le voyage est une véritable épopée. Nous serons arrêtés sur la route à 6 reprises par des hommes en armes qui demandent ses papiers à toute cette foule de voyageurs entassés dans le bus. Le véhicule à la tombée de la nuit roule à tombeau ouvert pour rattraper son retard, et le chauffeur manque d’en perdre le contrôle. Des femmes alors se mettent à chanter des chants religieux, dans lesquels il est question que Dieu protège les voyageurs et fasse des miracles ! Elles chantent inlassablement le même refrain comme une litanie. Derrière nous un homme, sa femme et ses deux enfants, sont entassés sur une banquette prévue pour deux personnes, contre une montagne de bagages qui ne cessent de dégringoler sur lui. Hors de lui, il finit par jeter les sacs sur les passagers. Maï la battante le menace de lui « faire la peau » ! Tout le monde crie pour calmer les belligérants ! Je suis assise au dessus de la roue, dans la position du fœtus pendant trois heures et demie. Mes jambes sont complètement ankylosées quand nous parvenons enfin à bon port, Dieu ayant probablement accompli son miracle !

La gare routière de Yaoundé est un port, mais pas vraiment un bon ! On vient nous chercher car l’on m’explique qu’il est très dangereux d’y prendre un taxi quand la nuit est tombée. C’est la galère assurée dans le premier passage obscur qui conduit au centre-ville, même si les taxis portent des numéros et ont une licence. La licence est souvent fausse. Il faut se méfier de tout.

Je ne suis pas du tout certaine de disposer d’un véhicule pour la tournée que j’ai l’intention d’entreprendre dès demain vers l’ouest. Le véhicule proposé suppose que je paie le chauffeur et le carburant bien sûr, mais aussi l’hôtel et les repas d’un accompagnateur. J’aurais bien aimé que Maï ou Jojo m’accompagnent, et aurais été prête à ce moment là à en payer le prix. Mais ils ne sont disponibles ni l’un ni l’autre cette semaine, et dans ces conditions, je préfère voyager seule. Il est donc probable que cette expérience de voyage en bus ne soit pas la dernière de mon séjour au Cameroun !

Pendant le séjour Olivier, Modeste, et Eugène ne cessent de se débattre avec le matériel à Cotonou pour assurer son acheminement au Burkina et au Mali. Il faut des papiers pour toutes les frontières, il faut réinventorier et reconditionner les cartons. Une véritable galère que je connais bien maintenant, et je les plains beaucoup. Sans eux, à ce jour, je serais probablement encore à Cotonou. Modeste et Olivier méritent vraiment que nous leur offrions le voyage d’un mois qui est prévu avec eux à partir de lundi prochain. Je m’en réjouis. Prince, notre charmant chauffeur, nous accompagnera Modeste et moi, tandis qu’Olivier prendra le bus pour Ouaga avec la marchandise. Nous avons préféré cette solution à l’unanimité à celle du minibus de location (Junior bus qui prenait avec moi le risque de devenir Senior bus !). Elle est moins onéreuse, plus souple, plus confortable.

Limbé, le 25 mars

Ce matin,nous avons rendez-vous avec le Directeur de Cabinet du Ministre des Affaires extérieures, lui-même en charge de la Francophonie.

Les membres du nouveau bureau, Micky le président en tête, sont tous là, et à l’heure ! Chouette ! Le rendez-vous est bref, juste le temps de faire mon speech habituel car le Monsieur nous dit être pressé. Affaire à suivre car il n’est nul besoin de le convaincre de l’intérêt de notre discipline, mais rien de vraiment concret ne ressort de cet entretien, dont le contenu doit être soumis au Ministre. La Fecascrab espère pour le moins qu’il permettra de lui ouvrir les portes nécessaires à l’obtention de son agrément auprès d’un Ministère de tutelle.

Dès le matin, se pose à moi la question de savoir comment je vais poursuivre ma tournée. Nulle voiture ne se profile à l’horizon, malgré un certain nombre de promesses des yaoundéens. La seule proposition qui m’a été faite ne me convient pas. Il faudrait que j’assure les frais d’un accompagnateur en plus du chauffeur. Sans la présence de Jojo, j’en serais réduite à prendre les bus, et l’expérience du bus de Kribi d’hier me fait un peu peur. Tant d’inconfort, de risques aussi, seule avec mes bagages que j’ai énormément de mal à soulever, arrivée dans des gares routières peu sûres sans trop savoir où je me rends, etc. C’est un peu beaucoup, malgré le pittoresque que doit représenter une telle aventure !

Jojo me propose donc de le suivre à Douala après le rendez-vous, où Amédée, un scrabbleur qui se surnomme Lion Indomptable, a proposé hier un véhicule. Nous prenons un bus pour plus de 3 heures à nouveau, mais quel bus ! Une véritable cabine d’avion, avec sièges inclinables, repose-pieds, hôtesse et climatisation ! Il en coûte 3€ de plus, 3€ qui ne sont rien pour moi, mais qui représentent une fortune pour les Camerounais. Jojo s’endort profondément. Il souffre d’une crise de palu, comme c’était le cas pour Modeste un jour à Cotonou. Le palu, ici, tout le monde l’a plus ou moins. Ce sont des crises de quelques jours qui sont souvent fatales si elles ne sont pas traitées. Cette maladie, qui atteint tant de millions de gens dans le monde n’est pas prise au sérieux comme elle le mériterait par la recherche scientifique. Alors que l’on est capable de prouesses dans des domaines qui concernent les occidentaux, comment comprendre que l’on ne puisse éradiquer cette saloperie que transmet à l’homme le simple moustique ? C’est que le palu n’atteint que des gens très pauvres. Les gens très pauvres n’intéressent pas beaucoup l’industrie pharmaceutique. C’est dégueulasse !

Arrivée à Douala, Amédée est effectivement là, avec une Toyota Corolla et un chauffeur, Sylvain, qui, pour un prix correct se propose de m’accompagner six jours. Sylvain a l’habitude du véhicule qui appartient à un de ses amis, garde du corps très imposant que nous rencontrons, spécialiste d’arts martiaux ! Sylvain est spécialiste aussi de self défense me dit-il, je n’ai rien à craindre ! Nous devons au préalable assurer le véhicule et pouvons partir dans la soirée.

Rouler sur les routes camerounaises n’est pas une sinécure. Mais alors de nuit ! Un très grand nombre de motocyclistes n’a pas de feux du tout. Les voitures roulent souvent tous phares allumés. Des piétons invisibles longent la route. Des nids-de-poule obligent à slalomer. Bref, je n’aimerais pas conduire dans ces conditions et je vois mal un touriste occidental prendre le risque d’effectuer seul un tel périple.

Nous sommes arrêtés pour des contrôles à deux reprises. Sylvain salue les policiers très familièrement, demande des nouvelles du mariage de l’un d’entre eux, discute comme avec des copains. Sylvain connaît bien le monde de la police, et a des papiers parfaitement en règle. Tout va donc très bien se passer !

Nous atteignons Limbé à plus de 21 heures. L’hôtel que j’ai choisi, au grand étonnement de mes amis camerounais qui se demandent bien comment il est possible que je puisse ainsi anticiper mes destinations et mon hébergement dans un pays qui m’est étranger, (mais oui il existe des guides de voyage !), est situé en bord de mer et à l’intérieur d’un jardin botanique. La surprise des paysages sera pour demain car la nuit est ce soir sans lune. On ne voit rien.

Yaoundé, le 20 mars

Journée plus calme !

Le matin, Georges et moi rédigeons un dossier de demande de sponsoring adressé à Orange. La société pourrait être intéressée à prendre en charge les championnats du monde de Dakar pour une dizaine de joueurs camerounais. Ce serait une véritable aubaine !

Puis, galère habituelle désormais pour trouver de l’argent. J’ai recours à ma fille qui doit m’adresser en début d’après-midi un virement par Western Union. Georges et moi allons nous balader toute la journée avec une grosse somme en liquide. Nous devons être très prudents.

La sollicitude de Jojo à mon égard est formidable ! J’apprécie beaucoup sa gentillesse, la façon dont il prend soin de moi à chaque instant. Et puis en définitive, j’ai comme l’impression qu’il est le seul à vraiment prendre les choses à cœur et à donner beaucoup de lui-même. En aucun cas, je  ne voudrais que la responsabilité de certains échecs lui soit attribuée.

La formation devait commencer à 14 heures. Elle ne commencera par ma faute qu’à 16 heures, devant attendre le versement promis. Le principal responsable de l’animation scolaire dans le nouveau bureau n’est pas là. J’essaie de gagner du temps pour l’attendre, mais il n’arrivera qu’aux environs de 19 heures, une fois la formation terminée. Comment comprendre ce genre d’attitudes ? Je viens de loin, je donne de mon temps, de mon énergie, de mon argent, pour qui ? pour quoi ?

Toujours pour lui donner une chance d’arriver, je démarre la formation par la lecture à haute voix d’un document expliquant le cahier des charges pour qu’un tournoi soit homologué. Cette lecture sera très riche, car elle met en évidence la rigueur dont les occidentaux font preuve dans l’organisation d’une compétition, la nécessité de s’y prendre très à l’avance, les modes de fonctionnement financiers avec contribution des joueurs et redevances fédérales, les circuits d’information obligés pour la publicité comme pour la publication des résultats, les règles régissant les dotations, etc. Mon auditoire est très attentif et découvre, je crois, beaucoup de choses, tellement antagoniques avec la culture africaine ! Le chemin sera très long à parcourir pour atteindre un tel modèle, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il va falloir tenter de s’en approcher.

Le point d’achoppement le plus crucial réside dans le fait de demander aux joueurs de payer des droits d’engagement. Bien sûr, la grande majorité d’entre eux sont des jeunes gens étudiants, absolument sans ressources, à l’inverse de la situation que nous connaissons en Occident où la majorité des compétiteurs fait partie de la population active ou retraitée. Doit-on demander une contribution même symbolique ? Personnellement, je le crois. Il faut tendre vers cela de toutes façons, si l’on veut que le fonctionnement d’une fédération soit sain. Une association sportive est un organe auquel les membres doivent contribuer d’une manière ou d’une autre. Sinon son fonctionnement s’apparente à celui d’une association caritative. C’est un peu ce qui se passe ici, où les joueurs sont pris en charge pour leurs déplacements, leur nourriture pendant les tournois, et ne paient rien, ni licence ni tournoi. Mais le chemin, là encore, pour parvenir à cela sera très long.

Pour que ce chemin puisse être parcouru, il faut aussi impérativement une fédération structurée, et dans laquelle les membres ont une confiance absolue. Les nombreuses malversations qui sont en Afrique monnaie courante laissent toujours planer un doute sur l’honnêteté de la gestion des fonds publics ou communautaires.

Cet exposé me permet aussi d’expliquer les modes d’accès aux différentes séries, le système de classement, et l’attribution des points de performance après l’organisation d’un tournoi. Je dois dire qu’il est tout à fait paradoxal qu’ici, en Afrique, les joueurs ne bénéficient pas d’un tel système, avec ce qu’il comporte d’émulation, alors que leur état d’esprit de compétition est beaucoup plus fort que le nôtre. J’ai comme le sentiment que, si le classement existait, beaucoup de jeunes joueurs seraient prêts à contribuer financièrement à l’activité, tant ils sont motivés par l’évolution de leur performance.

Enfin, notre responsable de l’animation scolaire n’étant toujours pas arrivé, je commence à aborder ce thème. Il faut démontrer que le Scrabble est un outil pédagogique formidable à la disposition des enseignants de français et que, s’il était ainsi présent dans toutes les écoles, l’activité exploserait littéralement ! Un tel objectif est valable aussi dans nos pays occidentaux. Il ne s’agit pas seulement de créer des clubs scolaires, qui ne vont intéresser qu’une minorité d’enfants, ceux qui ont l’esprit ou la personnalité ou les aptitudes nécessaires à ce jeu, mais d’en faire un support pour apprendre le français de façon ludique, pour donner aux enfants, qui aujourd’hui ne lisent plus beaucoup, le goût des mots. Je reprends les exercices proposés par Claude dans sa formation au Togo, et m’attache à démontrer ce qu’un professeur peut en tirer comme enseignements pour ses élèves. La richesse de notre jeu est effectivement formidable pour enseigner du vocabulaire, et surtout toute la grammaire : conjugaisons, transformation d’un substantif en verbe, raisons d’invariabilité de certains mots, transitivité, etc. J’aime bien faire ce boulot.

Mon auditoire comprend qu’il ne faut surtout pas aborder le Scrabble comme discipline telle que nous la connaissons, avec ses exigences et ses bizarreries, au risque de dégoûter les gamins.

J’arrête à 19h30 après n’avoir abordé qu’une partie du cours. J’espère demain, après le tournoi en parties classiques organisé ici, avoir le temps d’aller plus loin.

J’ai accepté de revenir mardi pour la rencontre avec le correspondant national de l’OIF, ce qui suppose que je modifie mon programme de tourisme. Les Camerounais sont contents, je crois, de ce sacrifice. J’espère ainsi les encourager et terminer mon séjour à Yaoundé sur une double note positive : l’ouverture sur l’OIF et l’élection du nouveau bureau.

Je me rends compte de l’importance du partenariat avec l’OIF partout où je passe. Les interlocuteurs de cette organisation sont acquis par avance à l’intérêt que représente pour eux notre discipline. Il n’est pas nécessaire de les convaincre. Des budgets sont là, dans chaque pays, pour le même objectif que le nôtre : la Francophonie. L’OIF est en particulier très sensible au travail que nous effectuons avec l’ODS, et qu’ils méconnaissent en général, à savoir un travail de compilation de la façon dont le français est parlé dans le monde francophone. Notre internationalisme rejoint tout à fait le leur. Enfin, l’OIF est une organisation un peu abstraite, qui manque sur le terrain de force lui permettant de développer ses actions et ses projets. L’armée de bénévoles que nous représentons l’intéresse au plus haut point.

Quant à nous, notre intérêt est plus qu’évident. Outre les subventions que l’OIF peut nous apporter, sa caution est porteuse d’une grande légitimité. Avoir, comme nous l’avons obtenu au Bénin, une accréditation et un laisser-passer de cette organisation, vaut de l’or et ouvre toutes les portes. J’ai un peu de mal à comprendre comment il se fait que chez nous il ait fallu attendre si longtemps pour forcer les portes de l’OIF, au niveau international comme au niveau de chaque pays francophone où existe cette organisation ! Je crois vraiment qu’en termes de promotion, nous avons aussi beaucoup de choses à apprendre, et que nos modes de fonctionnement sont loin d’être aussi efficaces qu’ils devraient l’être.

A ce propos, je voudrais dire dans le même sens, que je suis désolée de voir que la question du jumelage, abordée déjà depuis un an et demi, soit si longue à se mettre en place. Pourquoi faut-il tant de temps alors que tout le monde est d’accord ? La rédaction d’une charte prend une demi-journée, pas davantage, et il suffit ensuite de la faire valider par mail aux membres du bureau. Je n’ai aucune information sur ce qui a pu être discuté à Cannes et donc dans l’incapacité de dire quoi que ce soit aux scrabbleurs africains qui attendent le jumelage avec impatience.