Nous sommes dimanche. Les familles en beaux habits se rendent à la messe. Nos amis béninois et togolais aussi.

Nous avons rendez-vous d’abord individuellement avec Kekeli, président de la Togolaise, avant que les deux parties se rencontrent à midi dans un restaurant convenu. La réunion se déroule sous la paillote du jardin d’enfants attenant à la maison où nous logeons, et que tient Anastasia, la mère de Nathalie.

Il faut avancer prudemment dans la discussion si l’on veut parvenir à un consensus. La Togolaise reconnaît-elle que Carlos fédère autour de lui des scrabbleurs ? Est-il intéressant et nécessaire que tous les scrabbleurs se rassemblent autour d’une fédération unique ? En tous les cas la FISF l’exige. Ces deux points sont vite acquis et Nathalie résume bien les choses : les Africains sont déjà suffisamment divisés par leurs langues, leurs ethnies, leurs conflits ; le Scrabble doit les réunir.

J’explique le processus selon lequel nous allons devoir définir un nouveau bureau : établissement des postes clef, définition des fonctions et des  compétences afférentes, équilibrage des deux tendances, et validation par les scrabbleurs à raison de deux représentants par club. Il faut donc faire des concessions : prendre le risque de perdre la présidence, faire abstraction du gros travail fait pour préparer le Rallye alors que l’autre tendance n’a rien fait, considérer qu’il peut y avoir a priori autant de scrabbleurs dans l’un et l’autre camp, etc.. Il faut aussi, et cela est plus difficile, faire abstraction des conflits de personnes, de l’historique très houleux de leurs relations, dans lesquelles on trouve des histoires de menaces de procès, de sécurité menacée, de « brigade antigang » ! etc..

Kekeli est durement mis à l’épreuve dans ce processus. Il est entouré de Nathalie, de Kevin et de William, ce dernier étant le responsable du magnifique club scolaire visité hier. Ces collaborateurs vont dans notre sens et tentent de le convaincre.

Il est l’heure maintenant de faire se confronter le camp de Carlos et le camp de Kekeli. Ils sont trois représentants de part et d’autre, et Claude, Olivier, Modeste et moi-même sommes des observateurs médiateurs. Je prends la direction de la réunion et après avoir expliqué les enjeux, les discussions commencent, point par point, avec des objections évoquées au fur et à mesure et qu’il faut démonter. Carlos se montre ouvert et relativement conciliant. Les points d’accord s’obtiennent de façon progressive après discussion en commun et discussions en aparté de chaque camp.

Eh bien, oui ! Nous y arrivons ! Vers 16 heures, après 4 heures de négociation, nous parvenons à un accord. Olivier se comporte de façon formidable, avec un esprit de synthèse remarquable et des propositions intelligentes au plan méthodologique pour avancer.

L’accord concerne le nouveau bureau. Carlos est président, ce qui permettra au scrabble togolais de bénéficier de son portefeuille d’adresses et de ses introductions auprès des Ministères. Kekeli est vice-président, en charge du fonctionnement de la fédération, des clubs, des tournois. Reviennent à l’équipe de Kekeli : le secrétariat général, les relations internationales, la trésorerie générale. Reviennent à l’équipe de Carlos : le secrétariat général adjoint, la logistique et matériel et l’organisation. Des commissions seront prévues en complément : championnats, scolaire, promotion, formation, etc..

Le nombre de voix dans le bureau permet une répartition équitable entre les deux tendances. L’accord est validé par tous. Il reste à le soumettre en assemblée générale dimanche prochain aux scrabbleurs togolais.

Ouf ! C’est éprouvant le métier Kofi Annan ! Je ne ferais pas ça tous les jours.

Le soir nous réunit avec l’équipe de Kekeli autour d’un repas préparé par Nathalie. Un moment que j’apprécie parce qu’il n’y est plus uniquement question du Scrabble togolais. Nous évoquons de façon animée l’image de la France auprès des Togolais, la situation de dépendance des pays d’Afrique vis à vis d’elle, la question monétaire, etc.. Débat intéressant. Je retiendrai particulièrement la remarque de William, qui nous explique les vertus du Scrabble en Afrique : tout oublier, oublier jusqu’à la faim parfois, non pas en mangeant les pions comme le suggère Claude, mais en jouant sans interruption de façon si concentrée que plus rien ne compte vraiment !