Articles du blog du Rallye des Mots.

Atar, 8 février 2009

C’est très joli Azougui le matin au réveil. Les couleurs sont pastels. Bleu pâle du ciel sous un soleil bien franc, rose des montagnes, jaune paille des dunes qui les bordent et joli vert des palmiers. La vie ici doit être tranquille et agréable. L’habitat est en branchages et feuilles de palmiers la plupart du temps. Il y a quelques cultures maraîchères. L’endroit est vraiment paisible.

Nous quittons malheureusement Azougui sans avoir vraiment eu le temps d’en profiter beaucoup puisque, aujourd’hui, s’achève ma période touristique et reprend le boulot scrabblesque. Nous allons à la rencontre des scrabbleurs d’Atar, et demain de Zouérate, dans le but de préparer le terrain pour la construction de  ligues régionales. Le préfet de l’une des wilayas d’Atar est un scrabbleur.

Nous nous installons dans une auberge moderne où je vais occuper une chambre seule avec toilettes et salle de bains. Le grand luxe ! L’endroit est aussi un point de ralliement des guides touristiques de la région, et parmi eux il y a 17 scrabbleurs qui forment un club ! Serait-ce enfin là que je vais trouver l’homme de ma vie ? Celui qui serait aussi passionné que moi de mots et de déserts ? D’anagrammes et de méharée ? De longues heures à tripoter les caramels entre deux road movies ? Et bien peut-être ! C’est ce que cet oiseau là est d’une grande rareté, les scrabbleurs étant plus volontiers des rats de bibliothèque que des aventuriers, et les routards bien peu friands de vraie langue française et de jeux de société !

Dans l’après-midi, nous rencontrons à l’Alliance franco-mauritanienne les scrabbleurs d’Atar, du moins certains d’entre eux. A l’Alliance existe un club qui regroupe environ 25 personnes, auxquelles s’ajoutent les scrabbleurs guides. Mais il existe certainement d’autres joueurs sur la région, et il est bien difficile d’en évaluer le nombre. Toujours est-il qu’il paraît tout à fait possible de construire ici une ligue régionale. J’explique à la réunion ce qu’est le rallye des mots, la situation de la fédération mauritanienne toute nouvelle, et nos espoirs de voir les mauritaniens participer aux activités de la fédération internationale. Je suis écoutée de façon attentive jusqu’au moment où, bizarrement, je constate que la salle se vide peu à peu. Inquiète de cette baisse de fréquentation et d’attention, j’arrête mon exposé et sort de la salle. Pour découvrir alors tout mon club agenouillé, accroupi, en pleine prière ! Ils n’avaient pas osé sans doute me demander l’interruption.

J’aurais bien photographié ces hommes, tous en blanc clair et bleu, alignés sur trois rangs, enturbannés pour la plupart, qui précédaient deux rangées de femmes dans la même position, comme photo symbolique du scrabble en Mauritanie. Mais malheureusement en ce moment, c’est une véritable catastrophe technologique qui s’abat sur moi. La fermeture du duvet ne cesse de s’ouvrir, l’ordinateur s’arrête toujours de façon intempestive, et l’appareil photo est sans doute ensablé, si bien qu’il n’est plus possible de l’utiliser ! C’est un véritable séisme électronique ! Il faut dire que le matériel est mis à mal ici, avec le sable, le vent, la poussière et les nombreux déplacements.

Après la prière, ma tentative de faire jouer quelques coups duplicate, se solde par une interruption. L’ordi ne supporte pas le dongle ! Les scrabbleurs d’Atar auront cependant découvert cette forme de jeu avec intérêt. Ici, on joue ce que l’on appelle « l’international », c'est-à-dire que l’on joue avec mêmes règles que nous. On a abandonné le « musclé » depuis longtemps, ce qui est un signe d’évolution ! Les joueurs n’ont que le petit Larousse auquel se référer et j’explique ce qu’est un ODS. Le duplicate est inconnu à un point tel qu’il faut expliquer jusqu’aux références alpha numériques. Sur les 8 coups que nous auront joué, 6 d’entre eux sont des mots inconnus de nombreux scrabbleurs présents, jusqu’à des mots très simples comme jab ou éwe. La pratique du scrabble classique ne permet pas à ces joueurs, pourtant passionnés, de faire évoluer leurs performances. Ils ne se confrontent qu’entre eux. Ils manquent beaucoup de vocabulaire.

Hussein, le préfet scrabbleur nous invite à dîner chez lui. Apprenant que je ne mange pas de viande, ce qui est abondamment commenté ici et difficilement compris, il va s’enquérir d’une salade chez un restaurant du coin. Ces mauritaniens sont vraiment adorables ! Hussein est cultivé et ouvert. La discussion avec lui est intéressante, un peu plus politique qu’avec d’autres interlocuteurs. J’apprends que la mortalité infantile est d’environ 40%, ce qui est énorme ! Quant à l’espérance moyenne de vie elle est de 48 ans pour les hommes et de 53 ans pour les femmes, ce qui est légèrement mieux qu’en Afrique noire, mais tout de même bien faible. Je suis donc une vieillarde ici avec mes 60 balais !
J’apprends que le corps professoral, composé de femmes essentiellement, ne peut pas être muté en province, si bien que les zones rurales manquent de professeurs alors que les infrastructures existent. Contrairement aux pays d’Afrique noire en revanche, les mauritaniens même dans les zones les plus reculées n’hésitent pas à envoyer les enfants à l’école, garçons comme filles. On ne déplore pas le manque de scolarisation mais plutôt le niveau des élèves, en français surtout, depuis que l’enseignement est en arabe. Les enseignes des boutiques, les informations écrites dans les rues, témoignent de très grandes carences en orthographe, et sont de ce fait souvent très amusantes ! Même sur l’affiche officielle de la grande compagnie minière, appelant les ouvriers à produire davantage pour assurer la compétitivité de l’entreprise, et sa pérennité, ou plutôt perrenité !

Hussein ne peut pas personnellement assumer la responsabilité de la région d’Atar, car il est très pris et pas certain de rester sur la ville. Nous lui confions toutefois la mission de recenser le maximum de joueurs et de convoquer une assemblée générale pour élire le bureau de la Ligue d’Atar. Il accepte la mission. Dommage de ne pas pouvoir compter davantage sur lui.

Le soir, de retour à mon hôtel, le gérant me pose une question, ayant appris par la rumeur publique le contenu de mon exposé à l’Alliance. Les mots de l’ODS sont-ils reconnus par l’Académie française ? Je suis touchée de cette question que je ne me suis moi-même jamais posée ! Je lui répondrai, c’est sûr ! L’Académie peut être fière d’être célèbre jusque dans ce coin perdu du désert !

Azougui, 7 février 2009

Matinée du 7, le réveil à Chinguetti est maussade pour moi. Le temps est froid. Il ne fait pas plus de 10° ce matin, et les mauritaniens se plaignent d’un hiver particulièrement rigoureux. Ici rien n’est prévu pour le froid, et désert ne rime pas toujours avec grande chaleur, même si parfois la température atteint les 50° dans ces régions. Si je devais apporter quelques vêtements utiles aux gens de ce pays ce serait des laines polaires. Les enfants sont pieds nus, et rares sont ceux qui possèdent un vêtement chaud. Il n’y a bien sûr aucun moyen de chauffage prévu dans les maisons, si ce n’est la petite chaleur qu’apporte la préparation du thé.

Je sais bien qu’en voyage la bonne humeur, l’enthousiasme ne sont pas toujours au rendez-vous. Peut-être un peu de fatigue qui s’accumule au fil des jours, ou bien une forme de lassitude qui se produit. Toujours est-il que je connais bien ce sentiment qui surgit sans qu’on s’y attende, sans qu’aucune raison ne le motive, et qui, heureusement disparaît aussitôt. La lassitude du voyageur il ne faut pas trop s’y attarder et la considérer comme un phénomène passager et naturel. C’est ce que j’éprouve aujourd’hui. Sans doute aussi l’envie d’être un peu seule, car depuis notre départ de Nouakchott, nous vivons avec Salek et Moulaye, 24h sur 24 ensemble, jour et nuit. Mes habitudes de vieille solitaire me reviennent parfois en boomerang et je dois faire un effort pour les chasser.

Peut-être est-ce aussi l’incident d’hier soir qui m’a agacée. Salek et « le petit frère » qui avaient difficilement partagé avec nous le délicieux déjeuner français,  devaient dîner  de leur côté, à la mauritanienne. A partir du moment d’ailleurs où nous avons mis les pieds dans cette auberge, ils feront bande à part pour les repas comme pour la nuit. L’atmosphère occidentale du lieu leur déplait. Ils ne font pas l’effort ni l’un ni l’autre d’en profiter. Auront-ils au moins goûté à la douche chaude de la salle de bains carrelée ? Ce n’est pas sûr. Ils resteront tous les deux à l’entrée de l’auberge, là où se réunit le personnel.

Le petit frère se rend le soir chez un parent à lui pour le dîner. Salek refuse d’y aller aussi, et se retrouve donc seul. Moulaye, lui, dîne avec moi, à la française, d’une délicieuse lotte au curry précédée d’une soupe aux lentilles. Tout cela avec fourchettes, couteaux, assiettes, etc. Au moment d’aller se coucher sous notre khaïma, grande crise de Salek contre Moulaye. Il aurait fallu se préoccuper de son dîner, vérifier qu’il avait de l’argent pour aller s’acheter à manger. Salek se comporte comme une sorte d’esclave. Nous n’avons jamais fait la moindre différence entre lui et nous, et ce soir c’est lui-même qui a refusé de s’associer à notre repas. Mais nous aurions dû nous préoccuper de lui. Salek ne se comporte pas comme quelqu’un d’autonome. Sans doute est-il jaloux aussi de la facilité avec laquelle Moulaye se plie à d’autres coutumes, ce qu’il ne parvient pas à faire. Quant à l’argent, je découvre qu’il voyage sans un sou en poche et que les quelques ouguiyas qu’il avait lui ont servi à acheter des cartes de téléphone ! Je l’ai déjà constaté lors de mon précédent voyage : en Afrique on achète d’abord du crédit téléphonique avant du pain !

J’interprète cet incident en faisant référence à la situation d’esclavage qui a régnée en Mauritanie pendant longtemps et qui a probablement laissé des cicatrices dans les mentalités. Le serviteur appartenait, et ses enfants avec lui, à son maître. Il est probable (bien que Moulaye ne soit pas d’accord) que les Maures aient été servis le plus souvent par des négro africains. Ces négro africains, dont Salek, fait partie, sont en tous points semblables aux noirs d’Afrique, alors que les maures ressemblent fortement à des arabes. Les deux ethnies cohabitent aujourd’hui, apparemment sans trop de problèmes, mais il semble évident qu’une hiérarchie sous jacente existe entre eux, probablement héritée de l’époque esclavagiste. Notons que si la constitution actuelle punit de 10 ans de prison les esclavagistes, la situation continue d’exister. Tant que l’esclave ne se plaint pas…

Je dois donc faire la médiation entre Salek et Moulaye, engagés dans une discussion interminable et un dialogue de sourd qui de façon évidente pourrait durer toute la nuit ! Expliquer qu’il s’agit d’un malentendu. Et finir par les chasser de la khaïma pour y mettre fin et pouvoir dormir.

La française patronne de l’auberge nous conduit ce matin au milieu de la vieille ville, à la rencontre d’un guide qui nous fait visiter une des bibliothèques de Chinguetti, ville qui a été une des plus importantes universités arabo musulmanes, et dont le nom rayonnant sur tout le monde arabe est d’ailleurs synonyme de Mauritanie. Chinguetti, cœur de l’histoire mauritanienne, comptait un grand nombre de bibliothèques, et les érudits y écrivaient des livres de toutes sortes : histoire, astronomie, mathématiques, grammaire, etc. Le guide qui nous accueille est un vieil homme qui parle bien le français, et qui anime sa visite comme un acteur de théâtre. Il est d’ailleurs en train de construire des gradins dans sa cour intérieure pour faire ses conférences !

Les manuscrits dont il nous montre certains exemples, et qui sont archivés dans des boites en carton sur des étagères, sont superbes. L’écriture arabe est une calligraphie très esthétique que j’ai toujours admirée. Dans ces livres, elle est exemplaire, extrêmement soignée, et le guide nous montre les instruments qui permettaient de la réaliser : une écritoire en bois, des plumes, de l’encre faite avec de l’eau et de la gomme arabique, et un support permettant de tracer des lignes droites. Les enluminures sont admirables. Les paragraphes sont signalés avec de l’encre rouge. C’est très beau, mais sûrement en péril aussi. Il faudrait beaucoup d’argent pour restaurer tout cela, et surtout pour le protéger, la simple boite d’archives n’étant sûrement pas suffisante.

Nous déjeunons chez un vieil instituteur, ami d’un des nombreux oncles de Moulaye. Il a du mal à comprendre ce que je fais en Mauritanie avec le jeu de scrabble ! Je dois goûter au repas qui nous est servi : de la salade, de la viande et du lait, alors que je n’ai absolument pas faim.

A ce propos, je viens de découvrir une terrible tradition qui a sévi en Mauritanie jusqu’en 1988, et qui dans certaines régions ne s’est pas absolument éteinte. Les filles sont gavées par leurs parents au lait de chamelle, pour atteindre très vite un poids important (au-delà de 100 ou 150 kilos), poids qui les rend attractives pour un futur fiancé. Si elles ne veulent pas manger elles sont punies, et le guide de la bibliothèque nous montre une sorte de pince en bois qui servait à les torturer pour leur faire accepter la nourriture. Ainsi gavées, les filles atteignent probablement l’âge de la puberté très tôt, puisqu’elles sont bonnes à marier à partir de 9 ou 10 ans ! Des bébés, des petites filles, gavées, qui se retrouvent enceintes aussitôt qu’elles sont mariées, probablement sans que personne ne leur demande leur avis.

La condition des femmes dans le monde regorge toujours de surprises, chaque pays ayant sa propre façon de les aliéner. Mais cette tradition du gavage me choque terriblement, et je ne cesse d’y repenser. La femme n’est qu’un corps destiné au plaisir de l’homme. L’homme la préfère grosse pour qu’elle subisse son assaut sans dommages ! Son corps est ainsi réduit à devenir de la chair consommable et un réceptacle pour la reproduction. Qu’il y a-t-il dans le cœur et la tête de ces enfants torturées ? J’aimerais les entendre…

Après le déjeuner, nous quittons Chinguetti pour Atar. Atar est située dans l’oued qui précède les montagnes de l’Adrar dont la ville est entourée. Pour atteindre Atar nous devons donc descendre toutes les montagnes par une route en lacets à travers des falaises magnifiques. D’ici, les montagnes tabulaires de l’Adrar sont roses. Leurs formes sont douces, striées de façon concentrique par l’érosion des vents. Au pieds des montagnes ce sont des éboulis de roches, et parfois, des étendues de pierres bleues et lisses, utilisées avec la pierre rose pour la construction des maisons. Les murs de pierres des habitations sont à eux seuls une œuvre d’art.

Dès l’arrivée à Atar nous nous séparons du petit frère, qu ne se fend pas d’un merci à mon attention, alors que je l’ai trimballé, logé et nourri depuis hier ! Je m’en ouvre à Moulaye qui semble vexé. Tant pis ! Même si l’hospitalité est ici toute naturelle, ce naturel ne dispense pas de remercier, non ? Il me semble d’ailleurs dans ce pays qu’existe une grande différence de comportements entre les jeunes et les vieux. Les vieux semblent plus ouverts, plus éduqués, plus curieux. Les jeunes se montrent souvent renfermés et timides, fuyant le regard, ne disant pas un mot, ne posant aucune question. Peut-être est-ce un effet de la politique d’arabisation qu’ils ont toujours connue.

Je me rends dans un cybercafé, car il y a longtemps que je n’ai pas pu communiquer avec qui que ce soit. J’ai, comme je m’en doutais, 43 mails ! Il faut y répondre et envoyer aussi les textes et les photos de ce blog. Il me faudra deux heures et demi pour parvenir à bout de ce boulot.

Je découvre alors que le site de la fisf ne publie toujours pas ce blog, plus de quinze jours après mon départ, et cela me rend furieuse ! Je n’ai aucune explication de la part du webmestre… Toujours est-il que j’ai l’impression de faire ce travail pour rien. Je sais que de nombreux lecteurs sont en attente de ces textes que j’écris pour eux et pas pour moi. Je sais que pour la fisf il est important de rendre compte de cette mission et de communiquer. Alors à quoi ça sert que Ducros il se décarcasse ? Ce genre de ratée me rend malade. D’autant plus malade, que lorsque après avoir fumé une cigarette dehors, le temps d’un interminable téléchargement, je veux regagner mon poste de travail et m’asseoir. La chaise alors s’effondre sous mes fesses ! Je me suis faite un peu mal. En fait, j’ai surtout eu peur.

J’ai envie de quitter Atar, ville qui ne me plait pas beaucoup. En quelques heures au cyber on m’a proposé des bijoux, des gâteaux, des cartouches de cigarettes, de la confiture de dattes… Je n’aime pas être ainsi une proie, même si je comprends que les gens d’ici souffrent de l’absence de touristes.

A 7 kilomètres de là se trouve la belle oasis d’Azougui où je préfère dormir cette nuit. Moulaye qui a pourtant trouvé une auberge à Atar pendant que je travaillais, n’est pas contrariant ! Merci Moulaye ! Nous rencontrons son père, de passage à Atar, avant de quitter la ville. Un grand monsieur, qui a occupé des postes importants en Mauritanie, et a beaucoup voyagé.

Azougui tient ses promesses. C’est un grand oued couvert de palmeraies, entre deux chaînes de montagnes rouges superbes dont les pieds sont léchés par les dunes. Lorsque nous y arrivons, le soleil est en train de se coucher et les couleurs extraordinaires. Il sera difficile de trouver une auberge pour la nuit, tout étant fermé. Nous parviendrons tout de même à la tombée du jour par tomber sur une d’entre elles qui peut nous accueillir. Une khaïma fait office de salle à manger et nous louons le seul bâtiment en dur du lieu, un petit cube de béton bleu, dont l’intérieur est couvert d’une natte et de matelas de mauvaise qualité. C’est minimal, très nu. Fermé à l’aide d’une porte en fer. Mais au moins n’aurons nous pas froid pour la nuit, les « tikits », petites huttes de branchages et de feuilles de palmiers, ne me paraissant pas très bien isolées par un tel froid.

Le vieil aubergiste, qui a servi dans les paras français, nous présente les deux hôtes du lieu qui se sont établies dans une de ces jolies maisons aux pierres bleues et roses. Ce sont deux françaises retraitées qui travaillent bénévolement pour une association ; Enfants du désert, à la nutrition des jeunes enfants d’Atar. Elles sont venues par la route et assurent la totalité de leurs frais. Une belle façon de passer leur retraite pour cette ancienne infirmière et cette ancienne institutrice, qui quittent une fois par an famille, maris, enfants et petits enfants, pour s’acquitter à Atar de cette mission. Et quand je pense que tant de femmes retraitées s’ennuient ! Et les hommes d’ailleurs dans tout ça, où sont-ils ? J’ai un peu l’impression de ne rencontrer que des françaises depuis que je suis en Mauritanie.

 

 

 

 

 

 

Chinguetti, 6 février 2009

Nous quittons Ouadane en début de matinée avec un « petit frère » de Moulaye. Une vieille dame très âgée, aux bras tout fripés, nous demande de la conduire à Chinguetti, avec une jeune fille de sa famille, pour se rendre à l’hôpital. Il est vrai que dans des régions comme Ouadane, qui n’ont pas l’infrastructure touristique de Chinguetti, il n’existe presque rien pour se faire soigner. J’imagine ce que doit être un simple mal de dents dans ces conditions. Ce que doit représenter un simple cachet d’aspirine.

Après nos traditionnelles emplettes et errances du matin, nous voilà partis.  Photos au pied de Ouadane où, dans un petit jardin tout vert, pousse du blé ! Nous y achèterons de la menthe pour le thé. Une tâche de vraie vie dans ce désert de pierres, qui fait plaisir.

Nous ne pouvons pas prendre la piste par les dunes qui franchissent le grand erg Ouadane. Encore une fois, la route est bloquée par les militaires, du moins je crois. Nous prendrons donc la piste principale, large et quasiment droite, à travers un de ces regs interminables que l’on traverse ici. Dommage.

La vieille dame commence à être malade. Elle vomit une première fois et je lui cède ma place de reine à l’avant du 4X4. Elle couvre son visage de son voile et souffre en silence durant tout le voyage.

A mi-parcours, deux femmes nous font signe sur la piste, et nous nous arrêtons. Ce sont des nomades qui vivent dans la pierre au milieu de nulle part. Une de leur parente est blessée au dos, après être tombée dans un puits. Nous bifurquons donc avec le véhicule au milieu des pierres jusqu’à leur tente. Toute une tribu semble vivre là. Un seul homme, de nombreuses femmes et toute une ribambelle de marmots. La soit disant blessée est debout. Nous nous attendions à prendre à bord quelqu’un de complètement invalide. Pas vraiment. Elle nous rejoint donc dans la voiture avec une jeune fille de sa famille. Nous sommes maintenant 8 dans le 4X4.

A trois ou quatre reprises, la vieille dame de Ouadane nous demande de nous arrêter. On l’aide à descendre du véhicule et elle s’accroupit dans le sable pour vomir. Apparemment cette passagère est vraiment malade. Elle porte la souffrance sur le visage. Du coup, la jeune fille qui l’accompagne, s’y met à son tour ! C’est un véritable convoi sanitaire que notre 4X4 aujourd’hui !

Quant à notre grande blessée, arrivée à Chinguetti, elle s’empare elle-même de sa valise qu’elle réussit parfaitement à porter. Pas plus blessée que vous et moi ! Cette manière de faire du stop scandalise Moulaye. C’est ainsi, dit-il, que personne ne s’arrête vraiment plus quand il y a un accident grave.

Chinguetti est une des villes saintes de l’Islam. Elle niche au fond des sables à l’orée de l’erg Ouadane, fait de jolies dunes blondes sur plusieurs dizaines de kilomètres. J’ai envie d’un peu de confort aujourd’hui et surtout d’une douche chaude et d’un shampoing que je n’ai pas pu m’offrir depuis mon départ de Nouakchott. Le Routard donne une bonne adresse, et c’est effectivement dans une auberge superbe tenue par une française que nous débarquons. Nous y louerons une grande tente pour nous 4. Il y a un petit jardin avec des palmiers, des meubles de jardin pour s’asseoir dehors, des douches chaudes, et l’ensemble est d’une grande propreté.

Je parviens sans mal à tenir quelques jours sans une hygiène parfaite, en me débrouillant avec les moyens du bord, un peu d’eau froide, des lingettes. Mais il est vrai qu’assez vite me prend une grande envie de me laver correctement. Le vrai luxe est là pour moi. Dans cette auberge, la douche sera délicieuse dans une salle de bains carrelée parfaitement propre. La propreté du lieu est saisissante par rapport aux quelques jours que je viens de vivre. Pas une mouche ni un grain de sable dans le salon où j’écris. Pas un papier qui traîne dans le jardin. A table, nous serons servis avec des assiettes et des couverts, ce que Salek n’apprécie pas, lui qui ne comprend pas pour quelle raison on se servirait de tels instruments !

Je demande d’ailleurs un repas spécial pour mes amis mauritaniens, repas qu’on va leur chercher dans un restaurant du coin. Salek trouvera les portions ridiculement petites. Moi, je suis aux anges, car on me sert des calamars. Je ne mange pas de viande, si bien que ces derniers jours, où de la viande est servie aux deux repas, je n’ai pas mangé grand-chose. Et en entrée, un de mes hors d’œuvre préféré que je serai la seule à apprécier : du caviar d’aubergines !

Enfin, je le confie à ce blog, la patronne de l’hôtel, une française d’un certain âge, accepte de me servir une bière ! L’alcool est considéré ici comme un breuvage maudit. Il est interdit d’en importer, d’en faire commerce et de le consommer. Salek s’étonne qu’après avoir bu ma bière je ne sois pas complètement saoule, quant à Moualye il ne dit rien, mais n’en pense sûrement pas moins !

En fin d’après midi, nous partons sur les dunes avec le 4X4, et Moulaye et moi faisons une petite promenade en nous enfonçant dans l’erg. Je retrouve cette sensation que j’aime tant des formes douces et claires du sable, du vent qui souffle fort aujourd’hui sous un ciel couvert, des nuées qui caressent les crêtes des dunes, des jambes qui s’enfoncent jusqu’à mi genoux lorsqu’on descend, des pas qui se marquent un à un, de la rencontre improbable avec une plante, une fleur, du sable qui craque entre les dents, des différents consistances que rencontrent nos pieds, le sable dur sur lequel on reste en surface, le sable qui s’écroule sous le poids du corps lorsque l’on grimpe une côte, … Bref, j’arrête car je pourrais ainsi parler des heures, au risque d’ennuyer fortement ceux qui me lisent !

Nous nous rendons ensuite dans la vieille ville de Chinguetti, totalement fantomatique en cette triste période de désertion touristique, elle qui aujourd’hui ne vit plus que du tourisme. Difficile d’imaginer ce qu’a du être dans le temps l’animation de cette ville caravanière, carrefour de tout le commerce et de toute la culture arabo-islamique. La patronne de l’auberge nous explique elle aussi qu’elle a perdu cette année 90% de son activité, après l’annulation du Dakar et les évènements d’Aleg. La crise économique aussi n’aide pas. Le tourisme en souffre beaucoup.

Pourtant touristes, sachez qu’en Mauritanie, vous feriez des économies par rapport à la vie en France ! Une fois votre charter payé (600 euros environ), un repas vous coûtera autour de 2 euros, et une tente comme celle que nous louons ce soir, très luxueusement décorée, nous revient à 7 euros par personne, petit déjeuner compris, alors que l’endroit est certainement un des plus luxueux de la ville. Au final une semaine à Chinguetti vous reviendrait l’équivalent d’un chariot de supermarché à Paris !

Dans ce contexte, les mauritaniens de Chinguetti souffrent beaucoup. Dès mon arrivée, je suis happée par une nuée de petites vendeuses d’artisanat qui m’attendront toute la journée à la porte de l’auberge dans l’espoir que j’achète une babiole. Dans les rues de la ville, je craque. Elles sont 4 à me harceler. J’achète quelques bracelets, plus pour leur faire plaisir à elles qu’à moi. C’est en tous les cas une situation qui m’embarrasse beaucoup quand je suis dans un endroit touristique, celle de devoir sans cesse dire non à des gens dont je sais que le moindre ouguiya leur rendrait grand service, celle d’être considérée comme quelqu’un de riche qui se promène dans la misère. C’est ainsi. Je dois  l’accepter. Quoique je fasse, quel que soit le type de voyage que j’entreprends, même lorsque je prétends vivre comme les gens des pays où je me rends  et où que j’aille, je suis blanche et française, donc pleine d’argent aux yeux de la très grande majorité des habitants de notre planète. Savons nous toujours la chance que nous avons d’être nés du bon côté de la barrière ?


Ouadane, 5 février 2009

Cet ordinateur doit durer encore une semaine. Le faire fonctionner devient une véritable sinécure !

La journée d’aujourd’hui se déroule dans les environs de Ouadane que nous quittons ce matin vers 10 heures, alors que nous nous sommes levés avec le soleil ! Longues courses pour pas grand-chose : un peu de pain, de viande, quelques tomates et une boîte de thon. Mais le marché, apparemment assuré par la coopération espagnole dans un petit bâtiment, n’est pas facile à trouver et nous devrons demander à une dizaine de personnes dans les ruelles de la ville pour finir par le dénicher !

Nous voilà donc parés pour la journée, mais pas davantage. Nous n’avons que 5 petites bouteilles d’eau, et rien pour assurer la nuit. Nous devrons donc rentrer ce soir et surtout ne pas nous perdre. Car notre piste quitte maintenant toute zone urbaine et nous nous rendons en plein désert, là où nous ne pourrons rencontrer que très peu de monde, quelques bergers peut-être ou nomades, installés là.

Après 500 mètres des premiers sables du fond de l’oued que surplombe Ouadane, nous voilà déjà ensablés ! Salek n’a pas de rails pour désensabler le véhicule. Il devra le faire à la pelle. La journée commence bien ! Je commence à douter un peu de notre équipée…

Puis, ce sont des kilomètres et des kilomètres, parfois sur la piste, souvent au milieu de nulle part, pour nous rapprocher de notre destination : El Richat, curiosité géographique d’après le guide du Routard, que Théodore Monot a étudiée et dont il n’a pas élucidé l’origine : cratère naturel effondré ou créé par une météorite ? Le guide indique bien d’autres balades formidables au-delà de ce point, mais nous y renoncerons tout de suite avant le départ. La zone est occupée par des militaires qui risquent, s’ils voient un véhicule inconnu s’approcher d’eux, de nous tirer dessus !

Nous traversons des dunes de sable, d’autres recouvertes d’un léger gravier noir. Nous grimpons sur des sommets d’où l’on découvre des grandes dépressions entourées d’autres dunes, et d’autres dunes encore. On voit souvent à perte de vue à travers des espaces immenses. Le ciel est strié de stratus qui s’effilochent joliment. Les couleurs sont pastel. C’est magnifique encore une fois.

Mais nous continuons de rouler toujours plus loin à travers des paysages identiques qui, une fois atteints, nous redemandent de grimper à nouveau sur une montagne et d’en redescendre sans fin. Au bout de quelques heures, je deviens de plus en plus certaine que cela pourrait continuer indéfiniment, et que nous n’atteindrons jamais vraiment un point précis nommé El Richat. Par ailleurs, quand bien même nous pourrions l’atteindre, il n’est pas certain qu’il apparaisse comme un point précis à nos yeux. Un cratère de cette dimension est surtout visible par satellite. Nous sommes peut-être en plein dedans sans nous en rendre compte !

Je fais part à Moulaye et Salek de mes inquiétudes, et propose de revenir sur nos pas. Ils s’en amusent et se moquent un peu ! Jusqu’à la rencontre avec un vieil homme à dos de chameau qui nous confirme bien que El Richat est derrière nous, et qu’il faut rebrousser chemin !

Le « rebroussage » de chemin conduit notre 4X4 au sommet d’un col de sable, et il s’encastre à cheval sur la crête, à nouveau ensablé ! Moulaye et Salek commencent à se disputer plus ou moins, comme cela est le cas chaque fois que dans une aventure pareille survient un incident de parcours. Je connais bien cette situation et demande à tout le monde de rester zen. Re-pelle. Photo du 4X4 en équilibre sur le sommet de la dune ! Et Salek nous sort de la situation. Mais il est en nage, passablement énervé, et la tension est montée d’un cran pour la première fois de notre voyage.

Au retour à Ouadane, nous cherchons à visiter un petit musée dont parle mon guide. Nul musée n’est indiqué dans la ville, et la porte en bois fermée d’un simple cadenas qu’on nous désigne ressemble à tout sauf à un musée. Nous frappons. Personne. Un gamin sale et souriant qui cherche à fouiller dans la poubelle où je viens de jeter nos déchets de la journée se propose d’aller chercher le guide, un vieil homme. Après une bonne demi heure d’attente incertaine dans les rues délabrées de la ville, où des nuées de gamins horriblement sales viennent jouer autour de nous, le vieil homme arrive. Il parle un bon français, et nous ouvre la porte de sa caverne d’Ali Baba !

Dans une minuscule cour sont amoncelés des milliers d’objets hétéroclites, à même le sol la plupart du temps. Il s’agit pourtant de bifaces paléolithiques, d’objets néolithiques, de pièces d’une grande valeur qui avoisinent avec de vieilles batteries usagées, des collections de théières, tout un bric à brac incroyable ! Il nous fait entrer dans la pièce où il expose ses trésors. De vieux manuscrits, des objets ayant appartenu aux caravaniers de sel, selles de cheval, sacs de transports, mors, etc… C’est incroyablement poussiéreux et envahi de mouches.

Mais l’homme est merveilleux. Il conte avec beaucoup de pédagogie l’histoire de Ouadane, de cette ville qui fut à la fois capitale des érudits d’Afrique saharienne et carrefour obligé de toutes les caravanes qui traversaient le désert et se rendaient soit en Afrique noire, soit au Soudan, soit en Méditerranée. Il explique avec une grande conviction que Ouadane est bien la ville historique de la Mauritanie et que Chinguetti, sa rivale, en emprunte injustement le titre. A terre, des bouquins dont il sort certaines pages, complètement recouverts de poussière ! Aux murs, des cartes qu’il désigne à l’aide d’un bâton de conférencier ! Et partout un capharnaüm indescriptible !

Je l’écoute attentivement pendant une heure et me dit que l’on pourrait passer des semaines avec cet homme, intelligent, malicieux, intègre et passionné d’archéologie, d’histoire, d’ethnographie. Ici, à Ouadane, on le dit fou, nous explique t-il. C’est la raison pour laquelle il ne s’est marié qu’il y a deux ans, car aucune femme ne pouvait correspondre à son idéal ni accepter sa folie ! Son travail solitaire et totalement désintéressé sera relayé par une fondation qu’il a créée. Espérons le.  Car, malgré ce qu’il affirme, les chefs d’œuvre qu’il détient dans sa caverne sont en péril et risquent la casse, le pillage, les termites, les mouches, la poussière, l’humidité.

Très belle rencontre. Depuis le début de la saison je ne suis que la troisième touriste à venir le voir. Les touristes ont déserté, mais le vieux guide semble s’en ficher un peu. Il ne fait pas tout cela pour quelque commerce que ce soit, et se contentera de quelques ouguiyas.


Ouadane, le 4 février 2009

Nous décampons vers 8 heures. Toujours un peu plus tard que prévu, mais pourquoi se presser davantage ? Nous avons plusieurs jours devant nous, jusqu’à lundi matin où nous retrouvons Ely à Atar pour la poursuite de notre boulot scrabblesque.

Aujourd’hui nous attendent 120 km de piste à travers l’Adrar.

Il faut d’abord nous extraire de cet oued, et la piste démarre de façon épouvantable. Salek, faisant toujours preuve du même talent, arrive à se frayer un passage entre les rochers de la piste qui s’effondre, et grimpe très dur sur un autre versant de la montagne que celui par lequel nous sommes arrivés hier. Au sommet, c’est le même panorama époustouflant que celui de la veille sur l’oued baigné du soleil du matin, avec ses couleurs douces de sable et de terre mêlées, et ses nappes d’un vert profond que forment les palmeraies. Selon les moments, selon la position du soleil, les roches de la montagne sur l’autre versant apparaissent comme rouges ou noires. Nous sommes à 1200 mètres. L’air est d’une pureté absolu.

Au sommet du plateau tabulaire de la montagne la visibilité est à perte de vue. Ce ne sont que des pierres sur une étendue immense qui ne finit qu’à l’horizon. Plus ou moins grosses, disposées de façon plus ou moins chaotique, c’est un véritable paysage lunaire qui s’offre à nous ! Grandiose ! La piste est bonne sur les sommets et nous roulons à vive allure à travers cette immensité minérale.

Puis nous bifurquons sur la gauche en direction de Amoghjar. C’est un cirque fabuleux de montagnes circulaires juxtaposées les unes aux autres et qui dominent une plaine immense. Au milieu de ce cirque a été construit un ksar, le fort Sagane, pour le tournage du film d’Alain Corneau. Le scénario se déroule en Algérie dans le plateau des Adjers probablement, car ce paysage est en tout point semblable à celui que je connais là bas. Le vent en moins aujourd’hui, car le temps est toujours aussi beau et calme. Nous atteignons une auberge (en fait on parle d’auberge lorsque existe un simple campement) tenue par un vieillard qui fait visiter le site. La montagne est truffée de grottes préhistoriques et de peintures rupestres sur lesquelles on peut voir, comme dans les Adjers, des pieds, des mains, des formes simples de bonshommes, des girafes, des gazelles, des bœufs, tracées sur les parois par la main habile d’un de nos très très vieux ancêtres ! C’est toujours émouvant de voir ce type de représentation et d’imaginer comment pouvaient vivre ces quasi troglodytes dans un paysage qui, à l’époque, devait ressembler à une véritable jungle devenue aujourd’hui un tel désert. Le vieux guide a rencontré Théodore Monot qui est venu sur le site alors qu’il était tellement âgé qu’on devait le porter et qu’il n’entendait plus rien. C’est que les amoureux du désert sont de vrais amoureux ! Pour toujours, pour le meilleur et pour le pire…

Le reg interminable se poursuit à vive allure sur la piste maintenant très confortable où Salek aimerait bien atteindre les 120 km/heures, ce que je lui interdis compte tenu du bip maudit ! C’est plat à perte de vue, grisâtre ou noir, un univers où l’on se demande quelle créature peut bien vivre. Nous rencontrerons tout de même quelques chameaux qui paraissent seuls, et surtout des iguanes qui traversent maladroitement la route, et que Moulaye voudrait attraper. Il paraît que c’est bon à manger ! Salek, qui lui n’est pas de la région mais de l’ouest de la Mauritanie, fait une mine dégoûtée et se refuse à écraser un des malheureux iguanes. Moulaye est déçu !

Après une longue route, on aperçoit tout en long un premier cordon dunaire. Nous approchons d’Ouadane, dernière ville de Mauritanie avant le grand Sahara et les sables infinis. C’est une ville caravanière très ancienne, à demi en ruines, classée au Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco. Nous la voyons de loin, incroyablement encastrée dans la paroi d’une montagne dont elle épouse parfaitement les couleurs. Les ruines sont de plus en plus visibles au fur et à mesure que l’on approche. Encore un paysage magnifique ! C’est là que venaient autrefois faire halte les grandes caravanes qui amenaient du sel au Soudan, un long voyage de plusieurs mois à travers une nature absolument hostile, à dos de chameaux, à pied… Ce devait être une véritable épopée.

Moulaye a encore de la famille ici à Ouadane ! La notion de famille ici n’a rien à voir avec la nôtre. La « famille » ce sont tous les gens qui ont de près ou de loin du sang commun, sans limitation aucune. A Ouadane, Moualye a une ne tante de sa mère, un oncle, des cousins. Nous passerons donc la journée chez eux, dans une grande maison un peu à l’écart de la ville et dont un bâtiment surplombe l’oued de sa superbe terrasse carrelée de pierres naturelles. Un véritable petit château ! Repos, repas, comme à l’habitude ! Car maintenant je suis devenue une véritable mauritanienne. Je n’ai même pas de crampes quand je suis assise par terre, j’attends le thé comme tout le monde, et seule ma fourchette me distingue vraiment de mes hôtes.

Le soir tombant, nous allons visiter la vieille ville, une véritable merveille d’amoncellement de ruines roses. On peut voir le puits, fortement gardé comme une chose très précieuse, les anciens remparts, la mosquée, certaines maisons, les portes de la ville, tout cela dans un enchevêtrement de ruelles qui, sous les couleurs du soleil couchant, offrent des vues imprenables.  Jolie balade dans cette ville fantôme, située au bout du monde, là où s’arrête la civilisation sédentaire et où toutes les aventures commencent pour les nomades.

Moulaye rend visite à sa très vieille tante, une petite dame rabougrie, toute de noir vêtue, au visage parcheminé. Elle peine à le reconnaître mais aussitôt qu’elle l’identifie, ce sont des embrassades et des larmes. Assise près de lui pendant le thé que l’on nous sert, elle ne cesse de le toucher. Elle est déçue que nous ne dînions pas chez elle. Mais on ne peut pas dîner chez tout le monde à la fois ! L’hospitalité mauritanienne est absolument incroyable. Partout on nous sert à manger, on nous propose de dormir, comme si nous rencontrions les gens en plein désert et que nous n’avions pas d’autre solution. Tradition saharienne oblige, mais il existe aussi probablement là quelque chose de typiquement maure.

La nuit sur la terrasse est extrêmement douce si bien que je n’ai même pas besoin de fermer mon duvet. Au dessus de nous se produit un phénomène étrange. Le ciel s’embrume légèrement, mais le voile refuse de s’approcher de la lune, créant ainsi autour d’elle un grand cercle de ciel étoilé. C’est parfaitement rond et sur les bords du halo la lumière se difracte et fait apparaître les couleurs de l’arc en ciel ! Magique… Impossible à photographier. On doit me croire sur parole !