Articles du blog du Rallye des Mots.

Atar, le 3 février 2009

Nous quittons Nouakchott en milieu d’après midi, le temps pour moi ce matin de m’acquitter de mon boulot : répondre à mes mails, et ils sont nombreux, mettre mon blog à jour, télécharger, trier et légender les photos. Il faut suivre tout cela de façon très régulière et rester à jour si l’on ne veut pas vite être débordée. L’hôtel de Nouakchott est parfaitement équipé, avec sa connexion wifi immédiate, et je fais tout cela en sirotant le thé que me prépare régulièrement Souleimane dans le restaurant.

Le départ demande pas mal de formalités, avec l’agence de location de véhicules et avec la Mairie qui finance. Mais tout cela se fait pour moi dans l’ombre. Je n’ai rien d’autre à faire que d’attendre que tout soit prêt, et quand le véhicule arrive tout est réglé. C’est le voyage le plus confortable que j’ai jamais fait. Je ne m’occupe de rien de ce qui est fastidieux et n’ai qu’à être patiente. L’Afrique me l’aura enseigné, moi qui suis d’une impatience notoire. Ici, en Afrique, je ne me stresse jamais. Je sais que les choses sont en train de se faire et qu’il suffit d’attendre. Des séjours multipliés vont peut-être me rendre fataliste, finalement.

Nous nous acquittons des quelques courses nécessaires au trajet Nouakchott-Atar, 500 kilomètres environ, sur une route goudronnée très bonne. Il nous faut de l’eau bien sûr que nous achetons par carton, du gaz oil stocké dans des réservoirs en plastique dans la partie arrière du 4X4, des gâteaux pour grignoter sur le chemin, des cigarettes bien sûr pour Salek et moi. Moulaye achète un couteau. « Il faut toujours avoir un couteau dans la brousse ».

A la station essence, plusieurs personnes nous sollicitent pour monter à bord. Les liaisons routières sont ici très chères. Moulaye hésite à prendre la responsabilité de transporter quelqu’un. A l’arrière le voyage est très inconfortable et dangereux en cas de pépin. Salek finit par accepter de prendre une femme qui doit se rendre à Atar pour voir un de ses enfants malades. Elle voyagera ainsi dans la nuit, le froid, assise à même la tôle pleine de gaz oil, alors que la voiture file à 120 à l’heure. Nous lui donnons couverture et coussins aussitôt que le jour tombe. Elle fera le voyage couchée sans broncher. Quel courage !

Nous sommes arrêtés par la police ou les gendarmes un nombre incalculable de fois. A chaque fois, il faut raconter qui nous sommes, sortir mon passeport. Je crois que j’aurais eu beaucoup d’ennuis si je voyageais seule, si Moulaye n’était pas là pour raconter son baratin, faire état de ses connaissances parmi les autorités, etc. Nous filons à grande vitesse sur le long ruban goudronné et effectuons la pause obligatoire aux environs de 19 heures, juste à la tombée de la nuit, pour la prière. Moulaye et Salek se penchent en avant, le dos à angle droit en invoquant Allah à plusieurs reprises, puis s’accroupissent et baisent le sol. Drôle de spectacle sur le bord de la route.

Dès que la voiture atteint les 120 à l’heure elle émet un bip assommant de sécurité que j’essaie d’oublier au risque de devenir folle ! La musique des voix de Moulaye et de Salek qui discutent beaucoup me berce. Parfois, Salek met un peu de musique, mais ni l’un ni l’autre ne semblent de véritables mélomanes. Ils m’ont toutefois fait découvrir une magnifique chanson, qui raconte la triste histoire d’amour entre Rachid et Leila, longue mélopée accompagnée d’ouds (luths mauritaniens) où alternent et se répondent deux très belles voix d’homme et de femme. Ce sera sûrement la bande son souvenir de mon voyage en Mauritanie !

Nous atteignons Atar aux environs de 21 heures. La nuit est bien noire. Moulaye nous dirige vers la maison de sa tante, située au bord de la route goudronnée. C’est une série de petits bâtiments cubiques en terre ou en parpaings couverts de terre, qui abritent toute une famille. Les pièces s’ouvrent sur une cour intérieure et les cours communiquent entre elles. Au centre de la cour où nous entrons se trouve une khaïma, la tente maure traditionnelle, en tissu imprimé à l’intérieur et en coton blanc à l’extérieur. Celle-ci doit bien faire 50 m2 et est magnifique. Des matelas couverts de gros coussins de velours rouge et jaune entourent les nattes et les tapis. C’est là que nous dormirons tous les trois après le thé et le couscous. Une nuit confortable et douce, aérée tout de même, mais pas trop, l’habitat parfait du nomade maure, qui l’abrite à la fois du vent, du soleil et du froid, selon que l’on déscende plus ou moins les toiles de tente accrochées aux deux piliers centraux en bois. Les nomades sont en effet encore très présents en Mauritanie, et leur style de vie continue de marquer la vie mauritanienne, même si l’on trouve maintenant sous la khaïma des prises électriques, un éclairage au néon.

Moulaye en profitera d’ailleurs pour lire le blog avec une grande attention. Il semble satisfait.

La tante a mon âge. Elle me semble plus abîmée que moi. Mais peut-être ne suis-je pas capable de me voir telle que je suis ! Non, je crois tout de même que la vie ici n’est pas douce avec le corps des femmes qui ont en général une dizaine d’enfants. Je demande à Jouwéira (le joli nom !) combien d’enfants elle a eu elle-même, mais elle refuse de me répondre. Cela porte malheur ! C’est que la mortalité infantile ici est très forte. Avoir un enfant est moins un problème que de le garder en vie.

Au matin, après la traditionnelle toilette-lingette-brosse à dents, nous nous rendons dans le centre ville d’Atar. Je ne verrai pas grand-chose d’autre que le carrefour d’entrée et visiterai la ville à notre retour. De nombreux mauritaniens m’accostent, guides ou vendeurs de produits pour les touristes, tandis que Salek fait des courses. Ce sont des gens qui travaillent avec le tourisme depuis longtemps, depuis le jour où le tour opérator français Point Afrique, a instauré une liaison charter directe Marseille-Atar. Mais cette année, les touristes ne sont plus au rendez-vous et les gens chôment. La Mauritanie semble m’appartenir. Les gens ont peur. Peur de tout. Peur des scorpions, des vipères, des mauritaniens, du désert, mais aussi maintenant d’Al Qaïda ! Et bien restez chez vous ! Moi j’en profite ! 7000 soldats sont postés sur les frontières avec le Mali et l’Algérie, pas très loin d’ici, pour s’assurer qu’aucune pénétration de ce maudit Al Qaïda ne se produise sur le territoire mauritanien. Je me sens parfaitement protégée !

D’ailleurs, je n’ai ici aucun sentiment d’insécurité, comme cela est le cas dans la plupart des pays arabes, et contrairement à bien des endroits en territoire d’Afrique noire. La gentillesse des mauritaniens vous met à l’aise tout de suite. Aucune animosité ne se ressent dans la façon dont les gens vous regarde ou vous accueille, tout au plus une certaine timidité vis-à-vis des occidentaux, dont les mauritaniens disent qu’ils n’aiment pas qu’on les aborde et qu’ils fuient le contact ! Des mendiants, bien sûr, nous abordent aussi. Vieillards sales et dépenaillés, enfant misérable… Nous leur donnons quelques gâteaux, de ces petites madeleines délicieuses que nous grignotons toute la journée. La pratique de la charité, pilier de la religion musulmane, est très courante ici.

Un mot du temps qu’il fait tout de même ! Environ 25° à 30° durant la journée avec un ciel d’un bleu absolument pur et un soleil étincelant. C’est la bonne saison pour se rendre dans le désert, jusqu’à fin mars. Plus tard, dans ces régions, la température peut atteindre les 50°. Mais rien à voir avec l’Afrique noire où le climat est toujours humide et le corps sans cesse en nage. L’air est très sec et très pur ; on ne transpire pas, si bien que malgré le caractère sommaire de la toilette on ne se sent jamais vraiment sale. La nuit en revanche la température descend fortement, et peut atteindre parfois les moins que 0. Ce n’est pas tout à fait le cas en ce moment, même si les différences de température entre jour et nuit sont très fortes. En tous les cas, sous le soleil d’Atar, j’imagine ce que doivent ressentir les touristes qui débarquent sur l’aéroport, en direct de France. Nous sommes ici dans un autre monde. Un monde de pierres, de sable, de lumière, de chaleur. Difficile de croire que nous vivons tous sur une même planète, quand j’entends dire qu’à Paris il neige de nouveau !

La ville d’Atar est ceinte de grandes montagnes. Ce sont les montagnes de l’Adrar, véritable chaos de pierres noires ou rouges selon les heures de la journée. Les regs s’étendent aux pieds de ces montagnes à perte de vue. Un ami de Moulaye (encore un !), rencontré sur le carrefour d’entrée de la ville, nous conseille sur l’itinéraire qui ne sera maintenant fait que de pistes rocheuses. Il ne faut pas se tromper car les pluies peuvent parfois détruire complètement les pistes et l’on doit s’enquérir de leur état avant de partir. Parfois l’erg est coupé d’une grande faille, au fond de laquelle coule ou coulait un pauvre oued, dont les traces sont visibles à une végétation maigrelette et épineuse qui doit encore trouver un peu d’eau dans la nappe phréatique.

Le 4X4 avance confortablement sur ce parcours accidenté et se moque des grosses pierres, des ravins, des dos d’âne. Il faut dire que Salek est un chauffeur très expérimenté et qu’il semble parfaitement à l’aise sur tous les terrains. La radio diffuse des poésies en hassanya. Les mauritaniens semblent très friands de poésie. Hier, un concours passait d’ailleurs à la télévision. Le 4X4 grimpe et grimpe encore sur la montagne noire au paysage dantesque. Jusqu’à atteindre le sommet. Nous sommes à 1200 mètres d’altitude environ. Des sommets où nous parvenons la vue est absolument grandiose sur le paysage du bas, les villages cubiques qui se fondent totalement dans la roche, les oueds d’un vert pâle, les palmiers d’un vert profond. Photos et re-photos. Que c’est beau ! Je suis aux anges !

Nous atteignons l’oasis de Terjitt. Un petit paradis au fond d’un oued, où l’eau suinte des parois rocheuses de la montagne qui se couvrent de mousses et de capillaires d’un vert léger, et forme une petite piscine de rêve. La grande majorité des lieux est malheureusement à sec. Mais un simple trou d’eau dont les reflets miroitent sur les quelques palmiers accrochés à la roche nous suffit. Nous nous baignons délicieusement dans cette eau tiède, venue d’on ne sait où, que les habitants de l’oasis recueillent ça et là à l’aide de bassines en plastique. Au cœur de la palmeraie qui entoure le point d’eau, la lumière peine à filtrer. C’est une ombre incroyablement fraîche après les paysages minéraux et infernaux que nous venons de traverser. Une auberge se trouve là. Je suis encore une fois la seule touriste. Sous la khaïma, au son merveilleux du clapotis de l’eau mêlé au gazouillement des oiseaux, nous sera servi un couscous à la marocaine digne des meilleurs restaurants français ! C’était une halte de rêve qui s’achève après une bonne demi heure de sieste parfaite ! Un moment de pur bonheur !

Puis, toujours à travers les mêmes montagnes noires, nous grimpons sur le sommet tabulaire de l’une d’elle pour retrouver le reg. Parfois au loin un sable doux et blond borde leurs pieds terribles. C’est une rencontre magique que celle du sable et de la roche, celle où m’apparaît à chaque fois l’impression d’une harmonie parfaite des contraires dont le spectacle ne me lasse pas. Le 4X4 va maintenant d’enfoncer dans une faille où s’étale un très grand oued regorgeant de palmeraies. C’est Méhreth, ville où le père de Moulaye possède une maison et des palmeraies. Au fond de l’oued, une auberge de tentes, nous dirions nous un campement, garde les clefs de sa maison. Mais les clefs n’étant pas disponibles nous nous établissons ici pour la nuit.

La maison du père de Moulaye est en retrait du village adossée à un contrefort de roches insensées, noirâtres et chaotiques, qui surplombent l’oued et ses palmiers. Pas question de dormir ici, me dit-on, car l’endroit grouille de vipères, dont on voit visiblement les trous dans le sable. C’est une maison de famille où tout le monde se réunit une fois l’an pour la Guetna, la fête des dattes. Le papa possède en effet dans le coin de nombreuses palmeraies.  Nous nous contenterons donc de rester sur le seuil, et pour patienter jusqu’au coucher du soleil, Moulaye et Salek jouent aux dames dans le sable, sur un damier dessiné à même le sol et à l’aide de pierres pour l’un et de brindilles pour l’autre.

Retour au campement, où une natte est installée sur le sol, à la belle étoile, devant des tentes légères. Moulaye a demandé pour moi un plat de crudités. Je m’en réjouirais malgré le curieux goût de terre et l’absence d’assaisonnement. Au bout de quelques jours de féculents, riz, couscous, pain, je commence à saturer et le lapin que je suis demande sa dose ! Le régime alimentaire ici n’est pas très diététique et les femmes sont grosses en général. Mais elles ont probablement d’autres chats à fouetter que de s’occuper de leur ligne, non ?

Il n’y a pas d’électricité ici. Que la vie doit être pénible pour les habitants ! Donc pour moi en cette soirée du 3 février pas de blog à écrire, car mon ordinateur est en panne de batterie depuis quelques jours. Il est par ailleurs fort malade, se bloque, s’éteint de façon intempestive, et m’oblige à réécrire sans arrêt ce qui est perdu. J’espère que la machine va tout de même tenir ainsi jusqu’à la fin du voyage en Mauritanie. Sinon ce blog va se terminer…

Nouakchott, le 1er février

Grosse journée de travail aujourd’hui.

Nous avons rendez-vous le matin avec la conseillère culturelle de l’ambassade de France. Elle ignorait l’existence d’une fédération mauritanienne de scrabble et se montre ravie de nous connaître. Elle propose d’associer la fédération aux activités de la semaine de la francophonie qui a lieu en mars, et nous convie à une réunion de préparation de cet évènement la semaine prochaine. J’espère que la fédération  va se montrer à la hauteur. Ici, comme ailleurs, il suffirait de se montrer actif et sérieux, pour avoir tout le soutien institutionnel voulu, et ce, malgré les baisses de budget que connaissent les services d’ambassade cette année.

Je consacre l’après midi à préparer l’assemblée générale de ce soir. Nous allons, du moins je l’espère, renouveler le bureau exécutif de la fédération mauritanienne. Je dois faire un exposé de présentation sur ce qu’est un organigramme, et peux me servir du travail fait l’an dernier avec les africains, en particulier avec le Cameroun. Il faudra aussi faire comprendre que derrière chaque poste, il y a des fonctions, des tâches concrètes à assumer, bénévolement, et que l’on ne se présente pas pour la gloire que représenterait un titre, quel qu’il soit. Car souvent, le titre est en Afrique très important, trop important.

L’assemblée commence avec le retard habituel, mais parvient tout de même à réunir 21 personnes, ce qui n’est pas mal compte tenu du fait qu’elle a été décidée il y a très peu de temps, et qu’il n’existe aucun organe de communication officiel entre les scrabbleurs. Tout se passe par connaissances et par téléphone portable, devenu le nouveau tam-tam africain !

A la très forte majorité, la nécessité de renouveler l’ancien bureau est approuvée. La réunion commence de façon agitée, le débat portant sur le bilan de l’ancienne équipe. J’essaie tout de même de l’éviter et de tourner les préoccupations vers l’avenir, mais ce n’est pas facile. Lorsque les assemblées sont houleuses en Afrique, il n’est pas aisé de maîtriser l’animation ! Nous finissons par y parvenir, mais il faut se montrer très ferme. Après l’exposé sur l’organigramme, c’est l’appel aux candidatures. Puis, poste par poste, le vote sur les candidats.

Au final, Ely, ancien premier vice président, est nommé président, contre Alyoun qui tenait ce poste jusqu’à présent, à la très grande majorité. Il est le seul à s’être montré très impliqué jusqu’à ce jour, et tout le monde attendait sa candidature. Alyoun devient à sa place vice- président, si bien qu’il ne se produit qu’un échange de poste. Ely sortira déçu du résultat du vote, la nouvelle équipe n’étant pas radicalement différente de la précédente, compte tenu du peu de candidats à chaque poste. Il n’est pas certain que les choix effectués l’aient été en fonction d’une analyse réelle des capacités de chacun.

Pour ma part, je suis néanmoins satisfaite, car cette Assemblée, doit générer un nouvel élan. Je crois en Ely comme un président sérieux et motivé. Il suffit d’animer cette équipe pour qu’elle fonctionne. Mais la tâche est immense car le niveau d’in-formalisme dépasse ici tout entendement. Les scrabbleurs souvent ne se connaissent même pas, alors qu’ils jouent simplement dans un quartier différent de la ville. La pratique du « musclé » existe toujours. Il s’agit d’une variante du scrabble dans laquelle on n’accepte pas les conjugaisons. Personne n’a de réelle notion des modes de fonctionnement de notre activité au plan officiel : licences, classement, règlement, arbitrage, homologation, etc. Il faudra très probablement revenir pour apporter ce savoir-faire qu’il est prématuré de transmettre maintenant.

De retour à mon hôtel, le réceptionniste va me chercher un sandwich dans le restau sénégalais tout proche. Je l’avale en vitesse et m’écroule vite ! Demain c’est le grand départ pour l’Adrar, plateau du nord de la Mauritanie, où se trouvent les plus beaux ergs, et la ville caravanière de Chinguetti où je rêve de me rendre depuis longtemps.

Nouakchott, le 31 janvier 2009

Déjà une semaine que je suis en Mauritanie !

 

Au retour de Nouadhibou nous devons aller visiter le banc d’Arguin, superbe réserve naturelle classée au Patrimoine Mondial de l’humanité, qui s’étend sur 12000 km2 sur le littoral entre Nouadhibou et Nouakchott. Nouvelle traversée du désert en sens inverse, à l’aube, avant de bifurquer vers le littoral. Des nuées de sable poussées par le vent traversent la route, si bien qu’elle semble flotter. C’est un paysage onirique en ce très début de matinée où le soleil qui vient à peine de se lever diffuse une lumière douce et encore rasante.
 
Après la bifurcation, il n’y a plus alors que de vagues pistes tracées par de rares véhicules précédents, et très vite effacées par le vent. C’est un lieu de bout du monde couvert de sable et d’une rare végétation très sèche que tente de traverser notre 4X4, Ely au volant. Après 14 km, le véhicule commence à dégager une mauvaise odeur et l’aiguille indicatrice de la température du moteur ne cesse de s’élever. Nous devons nous arrêter et refroidir le moteur à l’aide de toute l’eau minérale que nous avons achetée au départ. Nouvelle tentative, et après 500 mètres, nouvelle obligation de s’arrêter. Ely, Moulaye, têtes penchées dans le moteur discutent en hassanya, et je crains que le problème ne soit grave ! De toutes façons, je suis absolument impuissante dans ce genre de situation ! C’est une fuite d’eau, et toute l’eau que nous rajoutons ne sert à rien. Ayant entendu sur une interview du Paris-Dakar qu’un chauffeur avait résolu un problème semblable en mettant du tabac dans son réservoir, nous tentons l’expérience. Le « tabac qui tue » guérirait-il les moteurs ? Difficilement Ely cherche à se frayer un passage à travers les zones les plus dures du sable, celles qui demandent le moins d’effort au moteur. Il lance le véhicule à toute allure pour se donner de l’élan sur les passages les plus mous. Mais rien n’y fera. Nous devrons faire demi tour en nous arrêtons tous les 500 mètres et annuler notre projet. Dommage ! Le banc d’Arguin sera pour une autre fois.

 

De retour à Nouakchott, je retrouve mon hôtel où je commence à prendre mes petites habitudes ! Le personnel est absolument charmant et la chambre plutôt confortable. Une connexion wifi me permet de consulter mes mails qui me rappellent que Paris existe toujours, ainsi que le centre des impôts qui me réclame le premier tiers !

 

Mopti, le 23 avril

Je quitte à regret cet hôtel de l’Indépendance, sympa, charmant, qui a permis une jolie halte. Et nous voilà repartis ! Objectif : Djenné, ville ancienne à visiter, puis Mopti. Le programme du Rallye prévu par les bamakois en prend un coup, car nous devions consacrer la journée à travailler avec la ligue de Mopti. Nous pouvons tout au plus espérer la rencontrer dans la soirée. Mais je ne culpabilise pas, et mes compagnons non plus. Personne de la fédération malienne ne s’est déplacé à Mopti et, comme à chaque fois que je me rends dans des villes de province, je me pose la question de savoir s’il s’agit vraiment de mon boulot. La plupart du temps, je dois y effectuer un travail qui incomberait à la fédération nationale et qui comble sa carence de dynamisation des ligues régionales, je rencontre des autorités locales que personne n’a jamais rencontrées avant moi, et j’éprouve le sentiment de ne pas faire vraiment le travail qui est le mien.

Route de Djenné encore longuette, car Prince ne dépasse pas les 60 km à l’heure. Il n’a pas confiance dans la réparation d’hier. Pour atteindre la ville, on doit prendre un bac qui traverse un affluent du Niger. C’est très chouette, très difficile aussi pour Prince, le pauvre, qui doit immerger la voiture pour accéder à l’embarcation à l’aller, et qui devrait être capable de la faire carrément sauter comme une grenouille, pour qu’elle franchisse la passerelle à l’arrivée ! Il s’en sort ! Une merveille ce Prince tout en sueur !

Sur l’affluent du Niger, la vie grouille, mais dans une atmosphère très paisible et heureuse, comme partout où il y a de l’eau. Les femmes lavent leur linge qu’elles font sécher à même la terre des berges, formant ainsi de grandes étendues de couleurs. Les enfants se baignent malgré l’eau peu ragoûtante. Les animaux s’abreuvent. Une radiocassette installée sous une paillote diffuse une musique traditionnelle malienne magnifique, une sorte de mélopée sur fond de balafons et de koras. Les pirogues très effilées se profilent dans le soleil. Belle balade.

Belle  balade aussi que les deux heures passées dans les ruelles de la ville elle-même, entièrement construite de maisons anciennes en banco rouge, au centre de laquelle trône une gigantesque mosquée d’architecture saoudienne. Mes compagnons n’ont pas l’air de voir l’intérêt de flâner dans ces rues et ont faim ! C’est que 4 gaillards comme eux, il faut les nourrir ! Je choisis de les laisser aller au restaurant sans moi, et me donne un moment de solitude à traîner tout autour de la mosquée et sur la place centrale. Chaque personne qui passe est un spectacle. On pourrait ainsi passer des heures à regarder passer les gens, si ce n’était toujours l’inconfort de cette chaleur qui ne fait que s’accentuer davantage au fur et à mesure que nous gagnons le nord. Assise sur une planche de bois, sous laquelle des chèvres bienheureuses se protègent du soleil en me léchant les jambes, je regarde et regarde encore, malheureusement sans pouvoir faire de photos au risque de blesser les gens. Deux bambins de 7 ou 8 ans, jumeaux dépenaillés au regard malin, m’abordent. Jamais en Afrique je n’aurais pu rester isolée plus de quelques minutes. Ils me racontent qu’ils sont premier et deuxième de leur classe, et qu’ils adorent le travail. D’ailleurs, disent-ils, s’ils travaillent bien ils pourront un jour avoir un ballon de foot, car, ils aimeraient comme tant de garçons de cet âge, devenir le prochain Zidane ! Il faut savoir que dans le monde, autrefois, la France c’était Napoléon. Maintenant, c’est Zidane ! Puisque je suis si riche que je roule dans la belle voiture de Prince qu’ils ne cessent d’admirer, ne pourrais-je pas leur offrir un ballon ? Que feriez-vous d’un ballon de foot alors que vous n’avez pas de chaussures ? Les enfants ont la répartie adéquate : Oui, c’est vrai ! Alors achetez nous plutôt des chaussures ! Ils sont si mignons que je les amène avec moi au stand de sandales en plastique, stand que l’on voit partout sur tous les marchés. Et chacun d’eux choisit ce qui lui plaît. L’un des sandales bleues, « de marque » soi-disant Puma, l’autre des roses, je ne sais pas pourquoi ! Pas nécessaire de discuter, ce sont celles-là qui lui plaisent !

Nouveau départ, pour Mopti cette fois-ci, enfin. Nous sommes en plein milieu de l’après-midi. Nous parcourons environ 100 kilomètres sans problème, quand le terrible cliquetis se fait à nouveau entendre. Resserrage de roues et re-pommade ! Nous sommes maintenant à nouveau à 40 à l’heure. Impensable d’atteindre Mopti dans ces conditions ! Il y a encore une bonne centaine de kilomètres à parcourir. Tous les deux ou trois kilomètres, nous renouvelons l’opération, jusqu’à ce qu’enfin, à 80 kilomètres de notre destination, le bruit s’amplifie, et que nous devions tous descendre du véhicule ! Nous venons de passer le village de Guruni, où nous pouvons peut-être espérer de l’aide. Prince en cahotant fait marche arrière tout seul. Nous, nous marchons sur la route ! Cette fois-ci nous semblons vraiment en détresse.

La nuit tombe tôt en Afrique, et nous n’en sommes pas très loin. Prince a réussi à garer la voiture près de la première paillote de Guruni. Il a expliqué notre situation au chef du village. Nous, tout en marchant, devons discuter de la décision à prendre. Partir en stop jusqu’à Mopti, avec ou sans Prince ? Pas satisfaisant. Appeler la gendarmerie pour faire envoyer une dépanneuse ? Cela n’existe pas vraiment ici. La société d’assurance du véhicule ? Non, elle ne couvre pas les pannes ! Une bonne idée me vient alors : puisque j’ai loué un 4X4 pour aller demain dans le pays dogon et que je me suis adressée à une agence de Bamako, ce véhicule peut peut-être venir à notre secours ce soir. Heureusement, comme disent mes copains africains, en ce lieu sans électricité, perdu au milieu de rien, « il y a du réseau », et nous pouvons appeler ! Cette histoire de présence de réseau est d’ailleurs incroyable ici ! Le téléphone portable est considéré comme un bien de première nécessité, avant l’électricité, l’eau courante et tout autre notion de confort basique. Les Africains sont d’ailleurs accrochés en permanence à leur portable et cela, quelle que soit leur situation sociale. Le commerce le plus florissant est celui des cartes de crédit téléphoniques, dont la vente s’effectue partout par des vendeurs ambulants qui harcèlent sans arrêt les passants ! Une publicité sur deux est pour un opérateur de téléphonie portable. Aujourd’hui quand on est très pauvre on ne vend plus des cartons ou  de la ferraille, on ne propose plus de cirer des chaussures, on vend des cartes de téléphone !

Cet aparté étant fait, revenons à notre aventure ! L’agence de voyage à qui j’indique bien que « je suis une vieille dame, en détresse, sur le bord de la route », est plus ou moins fermée. L’agent que j’ai au téléphone doit contacter le commercial qui a notre dossier sur son téléphone portable (encore lui !). Eh bien, malgré mes doutes, le commercial rappelle aussitôt, et nous promet de nous envoyer le 4X4 ! Ouf ! Au moins ne passerons-nous pas la nuit dans l’obscurité de Guruni, sous la paillote du bord de la route, où nous sommes réfugiés. Un peu de patience doit suffire. La nuit est vraiment tombée maintenant. Nous sommes assoiffés. Une pompe installée par une ONG un peu plus loin permet tout de même à mes compagnons de se désaltérer. Pour ma part, j’évite autant que possible de boire ce genre d’eau, et préfère patienter.

Au milieu de la nuit noire, le son d’une télévision se fait entendre dans une maison ! Elle est branchée sur la batterie d’une moto ! L’inévitable match de foot, Manchester Barcelone, je crois, passionne les habitants de Guruni et notre Dialo qui va les rejoindre pour y assister et qui, de temps en temps, vient nous donner les résultats ! Dans le noir total, je guette le passage des véhicules sur la route que l’on voit venir de très loin dans un bruit qu’amplifie l’obscurité. Jusqu’à l’arrivée du fameux 4X4, notre sauveur, que nous applaudissons. Il s’appelle Kissima et est peuhl. La clim marche super bien et les 80 derniers kilomètres sont enfin la possibilité de nous détendre. Des chansons maliennes passent sur le radiocassette. Aucun cliquetis ne se fait entendre sur la roue arrière ! Notre voiture est abandonnée au chef de village qui promet de veiller sur elle le temps que nous trouvions une solution.

Et, nous échouons dans un hôtel bien mal nommé, puisque c’est au « Y a pas de Problème », que nous passons la nuit ! Problème il y a vraiment, car je ne veux pas continuer à financer les réparations de ce véhicule. Je demande à Prince de téléphoner à son patron sans tarder, avant de faire réparer quoi que ce soit, et de lui dire qu’à partir de maintenant, il doit, s’il veut récupérer sa voiture, se charger des réparations. Cet homme loue un véhicule, à bas prix il est vrai, mais n’a contracté aucune assurance en cas de panne. Il doit donc prendre à sa charge la responsabilité d’assurer la maintenance. Je sais que je suis dure avec Prince en lui demandant de faire cela tout de suite. Dialo me le reproche. Mais il n’y a pas d’autre solution si nous voulons partir à l’aube avec lui demain matin, comme cela est prévu.

Prince s’acquitte de ma demande, et c’est tout ému, qu’il me dit que son patron paiera les réparations. Je ne suis pas tout à fait sûre qu’il l’ait vraiment eu au téléphone, mais ne vais pas chercher plus loin. J’ai sommeil, très sommeil, et nous nous levons tôt pour un démarrage à 6 heures.

Seigou, le 22 avril

Départ de Bamako, de l’hôtel Olympe et de sa merveilleuse piscine dans laquelle on ne peut pas se baigner tant l’eau est trouble, mais qui est offerte gracieusement tous les jours à des ribambelles d’enfants des écoles dont les accompagnateurs se fichent bien pas mal de la qualité de l’eau. Les risques sont pourtant énormes quand on pense à la chaleur dans laquelle croupit cette eau qui n’est pas renouvelée et où, chaque jour, une cinquantaine d’enfants s’ébattent. Sont-ils plus immunisés que les nôtres, ou bien leurs éducateurs sont-ils inconscients des risques qui leur font encourir ? Je ne sais pas.

Nous sommes désormais 5 dans la voiture de Prince : Modeste, Olivier et Dialo nous accompagnent. Mes 4 grands gosses, tous plus jeunes que mes propres gosses d’ailleurs, qui s’endorment très vite dès que la voiture roule, qui ont du mal à démarrer le matin, qui boudent toute la matinée parce qu’ils sont mal réveillés ! Moi, pour ma part, je me réjouis de cette dernière escapade africaine que représentent les 640 kilomètres qui nous séparent de Mopti, et qui vont nous rapprocher du nord du Mali, avec tous les rêves qui sont les miens de désert saharien, de ville mythique de Tombouctou. Je suis heureuse aussi de cet instant de pause que m’offre la journée de voyage en voiture, et du plaisir à venir de contempler la route des heures durant. La route est mon milieu naturel. C’est là que je suis le plus heureuse. Peu importe où elle va pourvu que je ne sache pas grand-chose de la destination qui sera la mienne, que je ne l’ai pas déjà parcourue une fois dans ma vie, qu’elle s’offre comme une découverte. Je suis une nomade.

Quant aux pays sahariens, ils sont les seuls lieux du monde que j’ai parcourus à m’avoir produit cette sensation de douceur et de pureté absolue, après laquelle je ne cesserai jamais de courir, je crois. C’est donc radieuse, que je prends ce départ vers le nord du Mali, malgré l’humeur assez maussade de mes compagnons de voyage.  

Plus nous avançons vers le nord plus il fait chaud, plus les baobabs sont nombreux et impressionnants, plus la terre est sèche et mêlée de sable. Soudain, Prince se range sur le bas-côté. Aïe, aïe, aïe ! Il a pourtant ramené pour la 5ème ou 6ème fois la voiture à un mécano avant le départ de Bamako. Toujours cette histoire de roue arrière qui nous poursuit depuis le parc de la Pendjari. Il faut dire que par souci d’économie, Prince ne s’est adressé qu’à des mécanos d’opérette, ces artisans dont on vous donne la vague indication, et dont on vous promet que, grâce à eux et à leur génie, il n’y aura plus rien à craindre ! Ces mécanos là, n’ont en général pas de vrai garage pour réparer, et c’est accroupis sous la roue qu’ils diagnostiquent et réparent, avec des pièces généralement usagées qu’ils trouvent on ne sait où. Jamais cette voiture n’a été mise sur un pont pour être testée correctement. Je n’y connais pas grand-chose en bagnole et encore moins en réparation, mais il me semble qu’il serait tout de même intéressant que l’on aille voir en dessous ce qui se passe, non ?

Mes 4 compagnons descendent eux aussi. Olivier se charge de signaler la panne en mettant des bois sur la route. Modeste assiste Prince. Et Dialo, en bon chirurgien dentiste, assiste à l’opération que Prince fait plus ou moins avec des ciseaux !  Il faut resserrer la roue qui fait du bruit. Crick et re-crick, je commence à connaître, et eux aussi ! Le goudron exhale sa puanteur brûlante. Il doit faire plus de 50°. La vague ombre de l’acacia sous lequel nous sommes réfugiés ne fait pas grand-chose à l’affaire en cette fin de matinée. Puis la roue resserrée, on l’enduit ensuite de graisse dégueulasse, sans doute pour apaiser sa douleur, me dis-je en moi-même !

Nous repartons à 60 à l’heure, et l’opération est à nouveau à refaire ! Puis nous repartons à 40 à l’heure dans l’espoir d’une agglomération recelant le fameux mécano miracle ! Là, halte chaude, sous une paillote en compagnie de plusieurs personnes, femmes et enfants, jeunes et vieux, qui sont peut-être de la famille. Il faut attendre encore longtemps avant que le travail ne se termine. Encore un petit coup de l’autre côté, car on ne sait jamais, n’est ce pas ? Et au moment de finir le dernier tour de clef, voilà que le crick s’écroule brusquement, projetant sur mon visage et ma robe le coca-cola que je suis en train de boire à la bouteille, car je suis malheureusement adossée sur la carrosserie qui s’effondre ! Le crick est cassé ! Grand marchandage alors avec le mécanicien qui propose de vendre son propre crick. Prince trouve le prix proposé trop élevé et décide de repartir sans le fameux outil qui, s’il ne résout pas vraiment les problèmes, permet néanmoins de les poser ! Et comme on ne se pose que les problèmes qu’on peut résoudre…

Nous repartons plus ou moins confiants, en roulant toutefois prudemment. La journée est vraiment bien entamée, et il est impensable d’atteindre ce soir Mopti. Djenné, la prochaine ville après Seigou, qui n’est qu’à 200 kilomètres de Bamako, est encore très loin et ne peut être atteinte qu’au moment de la nuit. Je propose donc à 16 heures que nous nous arrêtions là pour la soirée, d’autant plus que le Routard a l’air de proposer une bonne adresse. Tout le monde est crevé. Nous sommes en sueur. Nous avons très faim et très soif. L’hôtel de l’Indépendance qui se trouve à la sortie de la ville va nous réconcilier avec la vie ! Le restaurant est dans un très joli jardin, et la piscine est belle et propre, le tout pour un prix plus que raisonnable.

Mes 4 grands garçons et moi-même resterons plusieurs heures dans l’eau tiède et délicieusement transparente. Prince nage le crawl sans savoir sortir la tête de l’eau. Dialo nage le crawl sans mettre la tête dans l’eau. Modeste rit à grosses gorgées en s’ébrouant. Et même Olivier, notre intello qui ne sait pas nager, vient barboter avec nous ! Le bonheur !

Avant le coucher du soleil nous avons le temps de nous offrir une promenade sur les berges du Niger toutes proches. Elles sont bordées de petits champs de cultures vivrières, d’arbres fruitiers et de légumes, dont s’occupent des femmes le dos courbé aux vêtements colorés. Les manguiers offrent leurs fruits désormais mûrs au moindre maraudeur. L’eau est calme. Les ânes tirent des charrettes de fourrage surchargées. C’est magnifique.

Notre hôtel est tenu par un libanais, et il se trouve que j’adore cette cuisine. Mes hôtes pour qui  j’ai commandé un repas ne semblent pas se régaler ! Il faut dire que les africains ne sont pas des aventuriers en matière de gastronomie, et qu’en dehors de leurs habitudes alimentaires ils ne mettent guère le bout de la fourchette ! Mes accompagnateurs ne sont d’ailleurs pas des aventuriers du tout. Ils ont peu voyagé surtout en dehors de l’Afrique. L’escapade en pays dogon à laquelle je les invite est pour eux plus exceptionnelle que pour moi.