Nous quittons Nouakchott en milieu d’après midi, le temps pour moi ce matin de m’acquitter de mon boulot : répondre à mes mails, et ils sont nombreux, mettre mon blog à jour, télécharger, trier et légender les photos. Il faut suivre tout cela de façon très régulière et rester à jour si l’on ne veut pas vite être débordée. L’hôtel de Nouakchott est parfaitement équipé, avec sa connexion wifi immédiate, et je fais tout cela en sirotant le thé que me prépare régulièrement Souleimane dans le restaurant.
Le départ demande pas mal de formalités, avec l’agence de location de véhicules et avec la Mairie qui finance. Mais tout cela se fait pour moi dans l’ombre. Je n’ai rien d’autre à faire que d’attendre que tout soit prêt, et quand le véhicule arrive tout est réglé. C’est le voyage le plus confortable que j’ai jamais fait. Je ne m’occupe de rien de ce qui est fastidieux et n’ai qu’à être patiente. L’Afrique me l’aura enseigné, moi qui suis d’une impatience notoire. Ici, en Afrique, je ne me stresse jamais. Je sais que les choses sont en train de se faire et qu’il suffit d’attendre. Des séjours multipliés vont peut-être me rendre fataliste, finalement.
Nous nous acquittons des quelques courses nécessaires au trajet Nouakchott-Atar, 500 kilomètres environ, sur une route goudronnée très bonne. Il nous faut de l’eau bien sûr que nous achetons par carton, du gaz oil stocké dans des réservoirs en plastique dans la partie arrière du 4X4, des gâteaux pour grignoter sur le chemin, des cigarettes bien sûr pour Salek et moi. Moulaye achète un couteau. « Il faut toujours avoir un couteau dans la brousse ».
A la station essence, plusieurs personnes nous sollicitent pour monter à bord. Les liaisons routières sont ici très chères. Moulaye hésite à prendre la responsabilité de transporter quelqu’un. A l’arrière le voyage est très inconfortable et dangereux en cas de pépin. Salek finit par accepter de prendre une femme qui doit se rendre à Atar pour voir un de ses enfants malades. Elle voyagera ainsi dans la nuit, le froid, assise à même la tôle pleine de gaz oil, alors que la voiture file à 120 à l’heure. Nous lui donnons couverture et coussins aussitôt que le jour tombe. Elle fera le voyage couchée sans broncher. Quel courage !
Nous sommes arrêtés par la police ou les gendarmes un nombre incalculable de fois. A chaque fois, il faut raconter qui nous sommes, sortir mon passeport. Je crois que j’aurais eu beaucoup d’ennuis si je voyageais seule, si Moulaye n’était pas là pour raconter son baratin, faire état de ses connaissances parmi les autorités, etc. Nous filons à grande vitesse sur le long ruban goudronné et effectuons la pause obligatoire aux environs de 19 heures, juste à la tombée de la nuit, pour la prière. Moulaye et Salek se penchent en avant, le dos à angle droit en invoquant Allah à plusieurs reprises, puis s’accroupissent et baisent le sol. Drôle de spectacle sur le bord de la route.
Dès que la voiture atteint les 120 à l’heure elle émet un bip assommant de sécurité que j’essaie d’oublier au risque de devenir folle ! La musique des voix de Moulaye et de Salek qui discutent beaucoup me berce. Parfois, Salek met un peu de musique, mais ni l’un ni l’autre ne semblent de véritables mélomanes. Ils m’ont toutefois fait découvrir une magnifique chanson, qui raconte la triste histoire d’amour entre Rachid et Leila, longue mélopée accompagnée d’ouds (luths mauritaniens) où alternent et se répondent deux très belles voix d’homme et de femme. Ce sera sûrement la bande son souvenir de mon voyage en Mauritanie !
Nous atteignons Atar aux environs de 21 heures. La nuit est bien noire. Moulaye nous dirige vers la maison de sa tante, située au bord de la route goudronnée. C’est une série de petits bâtiments cubiques en terre ou en parpaings couverts de terre, qui abritent toute une famille. Les pièces s’ouvrent sur une cour intérieure et les cours communiquent entre elles. Au centre de la cour où nous entrons se trouve une khaïma, la tente maure traditionnelle, en tissu imprimé à l’intérieur et en coton blanc à l’extérieur. Celle-ci doit bien faire 50 m2 et est magnifique. Des matelas couverts de gros coussins de velours rouge et jaune entourent les nattes et les tapis. C’est là que nous dormirons tous les trois après le thé et le couscous. Une nuit confortable et douce, aérée tout de même, mais pas trop, l’habitat parfait du nomade maure, qui l’abrite à la fois du vent, du soleil et du froid, selon que l’on déscende plus ou moins les toiles de tente accrochées aux deux piliers centraux en bois. Les nomades sont en effet encore très présents en Mauritanie, et leur style de vie continue de marquer la vie mauritanienne, même si l’on trouve maintenant sous la khaïma des prises électriques, un éclairage au néon.
Moulaye en profitera d’ailleurs pour lire le blog avec une grande attention. Il semble satisfait.
La tante a mon âge. Elle me semble plus abîmée que moi. Mais peut-être ne suis-je pas capable de me voir telle que je suis ! Non, je crois tout de même que la vie ici n’est pas douce avec le corps des femmes qui ont en général une dizaine d’enfants. Je demande à Jouwéira (le joli nom !) combien d’enfants elle a eu elle-même, mais elle refuse de me répondre. Cela porte malheur ! C’est que la mortalité infantile ici est très forte. Avoir un enfant est moins un problème que de le garder en vie.
Au matin, après la traditionnelle toilette-lingette-brosse à dents, nous nous rendons dans le centre ville d’Atar. Je ne verrai pas grand-chose d’autre que le carrefour d’entrée et visiterai la ville à notre retour. De nombreux mauritaniens m’accostent, guides ou vendeurs de produits pour les touristes, tandis que Salek fait des courses. Ce sont des gens qui travaillent avec le tourisme depuis longtemps, depuis le jour où le tour opérator français Point Afrique, a instauré une liaison charter directe Marseille-Atar. Mais cette année, les touristes ne sont plus au rendez-vous et les gens chôment. La Mauritanie semble m’appartenir. Les gens ont peur. Peur de tout. Peur des scorpions, des vipères, des mauritaniens, du désert, mais aussi maintenant d’Al Qaïda ! Et bien restez chez vous ! Moi j’en profite ! 7000 soldats sont postés sur les frontières avec le Mali et l’Algérie, pas très loin d’ici, pour s’assurer qu’aucune pénétration de ce maudit Al Qaïda ne se produise sur le territoire mauritanien. Je me sens parfaitement protégée !
D’ailleurs, je n’ai ici aucun sentiment d’insécurité, comme cela est le cas dans la plupart des pays arabes, et contrairement à bien des endroits en territoire d’Afrique noire. La gentillesse des mauritaniens vous met à l’aise tout de suite. Aucune animosité ne se ressent dans la façon dont les gens vous regarde ou vous accueille, tout au plus une certaine timidité vis-à-vis des occidentaux, dont les mauritaniens disent qu’ils n’aiment pas qu’on les aborde et qu’ils fuient le contact ! Des mendiants, bien sûr, nous abordent aussi. Vieillards sales et dépenaillés, enfant misérable… Nous leur donnons quelques gâteaux, de ces petites madeleines délicieuses que nous grignotons toute la journée. La pratique de la charité, pilier de la religion musulmane, est très courante ici.
Un mot du temps qu’il fait tout de même ! Environ 25° à 30° durant la journée avec un ciel d’un bleu absolument pur et un soleil étincelant. C’est la bonne saison pour se rendre dans le désert, jusqu’à fin mars. Plus tard, dans ces régions, la température peut atteindre les 50°. Mais rien à voir avec l’Afrique noire où le climat est toujours humide et le corps sans cesse en nage. L’air est très sec et très pur ; on ne transpire pas, si bien que malgré le caractère sommaire de la toilette on ne se sent jamais vraiment sale. La nuit en revanche la température descend fortement, et peut atteindre parfois les moins que 0. Ce n’est pas tout à fait le cas en ce moment, même si les différences de température entre jour et nuit sont très fortes. En tous les cas, sous le soleil d’Atar, j’imagine ce que doivent ressentir les touristes qui débarquent sur l’aéroport, en direct de France. Nous sommes ici dans un autre monde. Un monde de pierres, de sable, de lumière, de chaleur. Difficile de croire que nous vivons tous sur une même planète, quand j’entends dire qu’à Paris il neige de nouveau !
La ville d’Atar est ceinte de grandes montagnes. Ce sont les montagnes de l’Adrar, véritable chaos de pierres noires ou rouges selon les heures de la journée. Les regs s’étendent aux pieds de ces montagnes à perte de vue. Un ami de Moulaye (encore un !), rencontré sur le carrefour d’entrée de la ville, nous conseille sur l’itinéraire qui ne sera maintenant fait que de pistes rocheuses. Il ne faut pas se tromper car les pluies peuvent parfois détruire complètement les pistes et l’on doit s’enquérir de leur état avant de partir. Parfois l’erg est coupé d’une grande faille, au fond de laquelle coule ou coulait un pauvre oued, dont les traces sont visibles à une végétation maigrelette et épineuse qui doit encore trouver un peu d’eau dans la nappe phréatique.
Le 4X4 avance confortablement sur ce parcours accidenté et se moque des grosses pierres, des ravins, des dos d’âne. Il faut dire que Salek est un chauffeur très expérimenté et qu’il semble parfaitement à l’aise sur tous les terrains. La radio diffuse des poésies en hassanya. Les mauritaniens semblent très friands de poésie. Hier, un concours passait d’ailleurs à la télévision. Le 4X4 grimpe et grimpe encore sur la montagne noire au paysage dantesque. Jusqu’à atteindre le sommet. Nous sommes à 1200 mètres d’altitude environ. Des sommets où nous parvenons la vue est absolument grandiose sur le paysage du bas, les villages cubiques qui se fondent totalement dans la roche, les oueds d’un vert pâle, les palmiers d’un vert profond. Photos et re-photos. Que c’est beau ! Je suis aux anges !
Nous atteignons l’oasis de Terjitt. Un petit paradis au fond d’un oued, où l’eau suinte des parois rocheuses de la montagne qui se couvrent de mousses et de capillaires d’un vert léger, et forme une petite piscine de rêve. La grande majorité des lieux est malheureusement à sec. Mais un simple trou d’eau dont les reflets miroitent sur les quelques palmiers accrochés à la roche nous suffit. Nous nous baignons délicieusement dans cette eau tiède, venue d’on ne sait où, que les habitants de l’oasis recueillent ça et là à l’aide de bassines en plastique. Au cœur de la palmeraie qui entoure le point d’eau, la lumière peine à filtrer. C’est une ombre incroyablement fraîche après les paysages minéraux et infernaux que nous venons de traverser. Une auberge se trouve là. Je suis encore une fois la seule touriste. Sous la khaïma, au son merveilleux du clapotis de l’eau mêlé au gazouillement des oiseaux, nous sera servi un couscous à la marocaine digne des meilleurs restaurants français ! C’était une halte de rêve qui s’achève après une bonne demi heure de sieste parfaite ! Un moment de pur bonheur !
Puis, toujours à travers les mêmes montagnes noires, nous grimpons sur le sommet tabulaire de l’une d’elle pour retrouver le reg. Parfois au loin un sable doux et blond borde leurs pieds terribles. C’est une rencontre magique que celle du sable et de la roche, celle où m’apparaît à chaque fois l’impression d’une harmonie parfaite des contraires dont le spectacle ne me lasse pas. Le 4X4 va maintenant d’enfoncer dans une faille où s’étale un très grand oued regorgeant de palmeraies. C’est Méhreth, ville où le père de Moulaye possède une maison et des palmeraies. Au fond de l’oued, une auberge de tentes, nous dirions nous un campement, garde les clefs de sa maison. Mais les clefs n’étant pas disponibles nous nous établissons ici pour la nuit.
La maison du père de Moulaye est en retrait du village adossée à un contrefort de roches insensées, noirâtres et chaotiques, qui surplombent l’oued et ses palmiers. Pas question de dormir ici, me dit-on, car l’endroit grouille de vipères, dont on voit visiblement les trous dans le sable. C’est une maison de famille où tout le monde se réunit une fois l’an pour la Guetna, la fête des dattes. Le papa possède en effet dans le coin de nombreuses palmeraies. Nous nous contenterons donc de rester sur le seuil, et pour patienter jusqu’au coucher du soleil, Moulaye et Salek jouent aux dames dans le sable, sur un damier dessiné à même le sol et à l’aide de pierres pour l’un et de brindilles pour l’autre.
Retour au campement, où une natte est installée sur le sol, à la belle étoile, devant des tentes légères. Moulaye a demandé pour moi un plat de crudités. Je m’en réjouirais malgré le curieux goût de terre et l’absence d’assaisonnement. Au bout de quelques jours de féculents, riz, couscous, pain, je commence à saturer et le lapin que je suis demande sa dose ! Le régime alimentaire ici n’est pas très diététique et les femmes sont grosses en général. Mais elles ont probablement d’autres chats à fouetter que de s’occuper de leur ligne, non ?
Il n’y a pas d’électricité ici. Que la vie doit être pénible pour les habitants ! Donc pour moi en cette soirée du 3 février pas de blog à écrire, car mon ordinateur est en panne de batterie depuis quelques jours. Il est par ailleurs fort malade, se bloque, s’éteint de façon intempestive, et m’oblige à réécrire sans arrêt ce qui est perdu. J’espère que la machine va tout de même tenir ainsi jusqu’à la fin du voyage en Mauritanie. Sinon ce blog va se terminer…