Je quitte à regret cet hôtel de l’Indépendance, sympa, charmant, qui a permis une jolie halte. Et nous voilà repartis ! Objectif : Djenné, ville ancienne à visiter, puis Mopti. Le programme du Rallye prévu par les bamakois en prend un coup, car nous devions consacrer la journée à travailler avec la ligue de Mopti. Nous pouvons tout au plus espérer la rencontrer dans la soirée. Mais je ne culpabilise pas, et mes compagnons non plus. Personne de la fédération malienne ne s’est déplacé à Mopti et, comme à chaque fois que je me rends dans des villes de province, je me pose la question de savoir s’il s’agit vraiment de mon boulot. La plupart du temps, je dois y effectuer un travail qui incomberait à la fédération nationale et qui comble sa carence de dynamisation des ligues régionales, je rencontre des autorités locales que personne n’a jamais rencontrées avant moi, et j’éprouve le sentiment de ne pas faire vraiment le travail qui est le mien.

Route de Djenné encore longuette, car Prince ne dépasse pas les 60 km à l’heure. Il n’a pas confiance dans la réparation d’hier. Pour atteindre la ville, on doit prendre un bac qui traverse un affluent du Niger. C’est très chouette, très difficile aussi pour Prince, le pauvre, qui doit immerger la voiture pour accéder à l’embarcation à l’aller, et qui devrait être capable de la faire carrément sauter comme une grenouille, pour qu’elle franchisse la passerelle à l’arrivée ! Il s’en sort ! Une merveille ce Prince tout en sueur !

Sur l’affluent du Niger, la vie grouille, mais dans une atmosphère très paisible et heureuse, comme partout où il y a de l’eau. Les femmes lavent leur linge qu’elles font sécher à même la terre des berges, formant ainsi de grandes étendues de couleurs. Les enfants se baignent malgré l’eau peu ragoûtante. Les animaux s’abreuvent. Une radiocassette installée sous une paillote diffuse une musique traditionnelle malienne magnifique, une sorte de mélopée sur fond de balafons et de koras. Les pirogues très effilées se profilent dans le soleil. Belle balade.

Belle  balade aussi que les deux heures passées dans les ruelles de la ville elle-même, entièrement construite de maisons anciennes en banco rouge, au centre de laquelle trône une gigantesque mosquée d’architecture saoudienne. Mes compagnons n’ont pas l’air de voir l’intérêt de flâner dans ces rues et ont faim ! C’est que 4 gaillards comme eux, il faut les nourrir ! Je choisis de les laisser aller au restaurant sans moi, et me donne un moment de solitude à traîner tout autour de la mosquée et sur la place centrale. Chaque personne qui passe est un spectacle. On pourrait ainsi passer des heures à regarder passer les gens, si ce n’était toujours l’inconfort de cette chaleur qui ne fait que s’accentuer davantage au fur et à mesure que nous gagnons le nord. Assise sur une planche de bois, sous laquelle des chèvres bienheureuses se protègent du soleil en me léchant les jambes, je regarde et regarde encore, malheureusement sans pouvoir faire de photos au risque de blesser les gens. Deux bambins de 7 ou 8 ans, jumeaux dépenaillés au regard malin, m’abordent. Jamais en Afrique je n’aurais pu rester isolée plus de quelques minutes. Ils me racontent qu’ils sont premier et deuxième de leur classe, et qu’ils adorent le travail. D’ailleurs, disent-ils, s’ils travaillent bien ils pourront un jour avoir un ballon de foot, car, ils aimeraient comme tant de garçons de cet âge, devenir le prochain Zidane ! Il faut savoir que dans le monde, autrefois, la France c’était Napoléon. Maintenant, c’est Zidane ! Puisque je suis si riche que je roule dans la belle voiture de Prince qu’ils ne cessent d’admirer, ne pourrais-je pas leur offrir un ballon ? Que feriez-vous d’un ballon de foot alors que vous n’avez pas de chaussures ? Les enfants ont la répartie adéquate : Oui, c’est vrai ! Alors achetez nous plutôt des chaussures ! Ils sont si mignons que je les amène avec moi au stand de sandales en plastique, stand que l’on voit partout sur tous les marchés. Et chacun d’eux choisit ce qui lui plaît. L’un des sandales bleues, « de marque » soi-disant Puma, l’autre des roses, je ne sais pas pourquoi ! Pas nécessaire de discuter, ce sont celles-là qui lui plaisent !

Nouveau départ, pour Mopti cette fois-ci, enfin. Nous sommes en plein milieu de l’après-midi. Nous parcourons environ 100 kilomètres sans problème, quand le terrible cliquetis se fait à nouveau entendre. Resserrage de roues et re-pommade ! Nous sommes maintenant à nouveau à 40 à l’heure. Impensable d’atteindre Mopti dans ces conditions ! Il y a encore une bonne centaine de kilomètres à parcourir. Tous les deux ou trois kilomètres, nous renouvelons l’opération, jusqu’à ce qu’enfin, à 80 kilomètres de notre destination, le bruit s’amplifie, et que nous devions tous descendre du véhicule ! Nous venons de passer le village de Guruni, où nous pouvons peut-être espérer de l’aide. Prince en cahotant fait marche arrière tout seul. Nous, nous marchons sur la route ! Cette fois-ci nous semblons vraiment en détresse.

La nuit tombe tôt en Afrique, et nous n’en sommes pas très loin. Prince a réussi à garer la voiture près de la première paillote de Guruni. Il a expliqué notre situation au chef du village. Nous, tout en marchant, devons discuter de la décision à prendre. Partir en stop jusqu’à Mopti, avec ou sans Prince ? Pas satisfaisant. Appeler la gendarmerie pour faire envoyer une dépanneuse ? Cela n’existe pas vraiment ici. La société d’assurance du véhicule ? Non, elle ne couvre pas les pannes ! Une bonne idée me vient alors : puisque j’ai loué un 4X4 pour aller demain dans le pays dogon et que je me suis adressée à une agence de Bamako, ce véhicule peut peut-être venir à notre secours ce soir. Heureusement, comme disent mes copains africains, en ce lieu sans électricité, perdu au milieu de rien, « il y a du réseau », et nous pouvons appeler ! Cette histoire de présence de réseau est d’ailleurs incroyable ici ! Le téléphone portable est considéré comme un bien de première nécessité, avant l’électricité, l’eau courante et tout autre notion de confort basique. Les Africains sont d’ailleurs accrochés en permanence à leur portable et cela, quelle que soit leur situation sociale. Le commerce le plus florissant est celui des cartes de crédit téléphoniques, dont la vente s’effectue partout par des vendeurs ambulants qui harcèlent sans arrêt les passants ! Une publicité sur deux est pour un opérateur de téléphonie portable. Aujourd’hui quand on est très pauvre on ne vend plus des cartons ou  de la ferraille, on ne propose plus de cirer des chaussures, on vend des cartes de téléphone !

Cet aparté étant fait, revenons à notre aventure ! L’agence de voyage à qui j’indique bien que « je suis une vieille dame, en détresse, sur le bord de la route », est plus ou moins fermée. L’agent que j’ai au téléphone doit contacter le commercial qui a notre dossier sur son téléphone portable (encore lui !). Eh bien, malgré mes doutes, le commercial rappelle aussitôt, et nous promet de nous envoyer le 4X4 ! Ouf ! Au moins ne passerons-nous pas la nuit dans l’obscurité de Guruni, sous la paillote du bord de la route, où nous sommes réfugiés. Un peu de patience doit suffire. La nuit est vraiment tombée maintenant. Nous sommes assoiffés. Une pompe installée par une ONG un peu plus loin permet tout de même à mes compagnons de se désaltérer. Pour ma part, j’évite autant que possible de boire ce genre d’eau, et préfère patienter.

Au milieu de la nuit noire, le son d’une télévision se fait entendre dans une maison ! Elle est branchée sur la batterie d’une moto ! L’inévitable match de foot, Manchester Barcelone, je crois, passionne les habitants de Guruni et notre Dialo qui va les rejoindre pour y assister et qui, de temps en temps, vient nous donner les résultats ! Dans le noir total, je guette le passage des véhicules sur la route que l’on voit venir de très loin dans un bruit qu’amplifie l’obscurité. Jusqu’à l’arrivée du fameux 4X4, notre sauveur, que nous applaudissons. Il s’appelle Kissima et est peuhl. La clim marche super bien et les 80 derniers kilomètres sont enfin la possibilité de nous détendre. Des chansons maliennes passent sur le radiocassette. Aucun cliquetis ne se fait entendre sur la roue arrière ! Notre voiture est abandonnée au chef de village qui promet de veiller sur elle le temps que nous trouvions une solution.

Et, nous échouons dans un hôtel bien mal nommé, puisque c’est au « Y a pas de Problème », que nous passons la nuit ! Problème il y a vraiment, car je ne veux pas continuer à financer les réparations de ce véhicule. Je demande à Prince de téléphoner à son patron sans tarder, avant de faire réparer quoi que ce soit, et de lui dire qu’à partir de maintenant, il doit, s’il veut récupérer sa voiture, se charger des réparations. Cet homme loue un véhicule, à bas prix il est vrai, mais n’a contracté aucune assurance en cas de panne. Il doit donc prendre à sa charge la responsabilité d’assurer la maintenance. Je sais que je suis dure avec Prince en lui demandant de faire cela tout de suite. Dialo me le reproche. Mais il n’y a pas d’autre solution si nous voulons partir à l’aube avec lui demain matin, comme cela est prévu.

Prince s’acquitte de ma demande, et c’est tout ému, qu’il me dit que son patron paiera les réparations. Je ne suis pas tout à fait sûre qu’il l’ait vraiment eu au téléphone, mais ne vais pas chercher plus loin. J’ai sommeil, très sommeil, et nous nous levons tôt pour un démarrage à 6 heures.