C’est un bonheur que cet hôtel étrange en plein centre ville ! La piscine située dans un patio décoré comme un jardin tropical est bien bleue, et l’eau est douce et fraîche comparée à la température extérieure. D’ailleurs, Bobo est beaucoup moins étouffant que Ouaga. Il y a même de l’air et ce matin, le ciel étant voilé, la température est supportable. A peine 35° !

C’est donc  une longue matinée de farniente, de baignade et d’écriture que je m’offre, tandis que Modeste et Prince sont pour la troisième fois chez le mécanicien ! Décidemment, notre aventure sur les pistes de la Pendjari aura bien amoché la voiture. Il faut à nouveau démonter je ne sais quoi pour remonter je ne sais quoi. Je paierai les réparations car je suis complètement responsable de ne pas avoir voulu louer un 4X4 pour nous rendre dans le parc, et de n’avoir pas résisté aux dires de ceux qui nous assuraient que nous pouvions faire cette piste sans crainte avec la voiture.

Modeste, Prince et moi avons sagement dormi cette nuit dans la même chambre, eux enfouis sous les couvertures à cause de la clim, et moi sous le ventilateur à la recherche de vent frais. Nous vivons ensemble, mais pas tout à fait au même rythme, tant nos habitudes sont différentes. Le matin ils ne déjeunent pas alors que je me réjouis de mon café et de mon pain beurré. Le soir je dîne seule au restaurant de l’hôtel qui ne propose que de la cuisine européenne. Eux, préfèrent aller manger dans un « maquis » africain, là où ils sont assurés de trouver ce qui fait leur subsistance quotidienne : des féculents avec de la viande en sauce. Les magrets à la crème que propose la carte quasi normande de l’hôtel leur font faire une moue dégoûtée ! Les légumes et les salades que je recherche ne les intéressent pas vraiment. Ils se nourrissent essentiellement de ce qu’ils ont toujours connu : du riz, du maïs, du couscous, en sauce, épicée de préférence. Prince goûtera tout de même au verre de vin blanc que je m’offre le soir, et dira avec une grimace que c’est « délicieux » !

J’ai reçu ce matin un mail désagréable de quelqu’un qui déclare en avoir marre de lire ce blog, parce que je me plains sans cesse, mets en avant les insuffisances de mes interlocuteurs africains dans l’organisation du Rallye, et fais souvent des déclarations qui disent bien que je suis partie en Afrique pour prendre des vacances ! Je dois dire que c’est la première fois que je reçois un mail de cette teneur, mes lecteurs ayant au contraire la gentillesse de me dire qu’ils apprécient mes écrits parce qu’ils rendent compte d’une expérience vécue, avec ses hauts et ses bas, vivante donc, et qui m’encouragent à poursuivre. Il est vrai que ce blog n’est pas un compte rendu officiel de ma mission FISF en Afrique, et que je le conçois comme un journal de voyage personnel, outil dont j’ai besoin pour vivre cette expérience, et lieu où je me sens totalement libre d’exprimer mes états d’âme. Je rends compte par ailleurs, officiellement, et dans un autre lieu, de ma mission à la FISF. Mon compte rendu utilise alors d’autres termes. Alors que là je ne parle que de moi.

Même mes interlocuteurs africains, dont je signale les insuffisances, ne me reprochent pas de le faire, et comprennent le caractère personnel de ce journal. Ils savent que mon objectif, le seul, est que les choses avancent, et que cela passe par le constat des situations du moment. Ils savent aussi que je suis là pour apporter des ébauches de solutions aux problèmes qu’ils rencontrent : conseils, formation, aide concrète, et pas seulement en matériel. Enfin, ils apprécient, je crois, mon engagement à leurs côtés, mon implication quotidienne et ma persévérance. Les souffrances que j’exprime, les insatisfactions et les énervements qui sont les miens, le stress dans l’improvisation, ils les partagent au quotidien et les ressentent comme moi. Je l’ai dit : la situation est difficile pour tout le monde, et en priorité pour mes amis africains qui souffrent de ne pas parvenir à leurs objectifs alors que leur bonne volonté est totale.

Maintenant il est vrai que j’exprime souvent la souffrance que me procurent tous les dysfonctionnements que je rencontre. En ai-je le droit ? Ceux qui auront la bonne lecture de ces textes comprendront qu’il y a là un récit vivant de ce que produit le travail en commun avec des références culturelles différentes. Il faut vivre cela chaque jour pour réaliser à quel point nous appréhendons les réalités différemment, et ce que ces différences peuvent produire d’incompréhensions, de heurts, d’impossibilités.

Différemment, veut-il dire que l’un a raison et l’autre pas ? Je ne crois pas. Les modes de vie africains sont plus que respectables. L’Afrique a  beaucoup à nous apprendre : la patience, la gentillesse et la courtoisie entre les gens, la capacité à endurer, l’aptitude à se sortir des difficultés, le goût de la vie sociale, le respect envers les aînés, la soif d’apprendre, la virtuosité intellectuelle de beaucoup, etc. En revanche, si l’on veut réussir l’objectif qui est le nôtre, objectif partagé par la FISF et par mes interlocuteurs africains eux-mêmes, à savoir de structurer leurs fédérations à l’image des fédérations européennes, pour qu’elles aient la possibilité de se produire sur la scène internationale et de faire valoir leurs talents, il n’y a pas 36 modèles possibles. Il faut de la ponctualité, de l’anticipation, de la rigueur, de la transparence, etc. Mes amis africains, à travers ce que j’exige d’eux et ce que je leur reproche, me disent en général avoir beaucoup appris. C’est bien le but, non ? En tous les cas, c’est le but qu’ils reconnaissent au Rallye des Mots, et dont en général ils me remercient.

Alors, à ceux qui me lisent et en ont marre de me lire, à ceux qui n’ont de facile que la critique, à ceux qui sont persuadés que ma mission est vaine parce que l’Afrique ne changera jamais, à ceux qui considèrent que je perds mon temps, à ceux qui ne supportent pas que je me plaigne de souffrir dans les situations auxquelles je suis confrontée, je dis : venez donc à ma place, ou ne me lisez pas !

Bien. Demain nous quittons le Burkina pour le Mali, et je suis un peu inquiète ce matin de ne pas avoir de nouvelles de mes interlocuteurs maliens. Ils n’ont pas répondu à mon dernier mail qui date de plus d’une semaine, et je ne sais pas par qui nous sommes attendus ni où. Nous sommes loin, encore une fois, du modèle européen où nous avons l’habitude de réserver nos séjours des mois à l’avance ! Il n’est pas gênant pour moi d’arriver à Bamako sans savoir où je vais passer la nuit. J’improviserai. Mais en revanche, je crains qu’une fois encore, le Rallye ne soit pas vraiment préparé. Nous verrons bien.

Pas de nouvelles non plus de notre Olivier et de ses 50 cartons. Qui sera là à Bamako pour l’aider à décharger, et pour mettre le matériel quelque part et en lieu sûr ? Mais je commence à avoir appris à ne plus me stresser avec ce genre de choses. Il est probable que tout s’organisera tout de même sur le moment !

Cet après-midi, balade très chouette vers Banfora, à 80 km de Bobo. C’est ici que tout change. Il y a de l’eau partout et même de véritables lacs. Les vaches sont bien plus grasses. On cultive à grande échelle la canne à sucre à l’aide de techniques modernes d’irrigation. Les champs d’arbres fruitiers jalonnent la route, et des tas de femmes vendent sur les bas-côtés des mangues charnues, vertes ou orangées, qui font des montagnes magnifiques de couleurs. Cette région est l’oasis du Burkina Faso. Je suis heureuse de voir toute cette verdure après tant d’aridité dans la traversée de tout le pays que nous venons d’effectuer, d’est en ouest. J’essaie de photographier les vendeuses de mangues et me fait engueuler très fort. Si je veux photographier des mangues je n’ai qu’à photographier celles qui sont sur les arbres, me dit-on ! Il est très difficile de prendre les gens en photo en Afrique : ils ont l’impression qu’on risque de leur prendre leur âme ! Il faut le faire à la dérobée, ou en demandant une permission que l’on ne vous accorde que contre quelques sous que je me refuse de donner. Notre recherche occidentale de l’esthétique n’est absolument pas comprise.


De retour à l’hôtel, Prince appelle à nouveau le mécanicien. Il y a un truc qui cliquette quelque part. Très heureusement, il m’épargne les détails angoissants sur ce sujet technique, qu’il prend en charge absolument seul, et me rend toujours des comptes très rassurants : tout va bien ; ce n’était qu’une bricole !

Quant à Coulibaly, mon correspondant malien, il nous attend bien demain dans la soirée. Olivier pour sa part ne se rend pas sur Bobo ce soir, car il a trouvé un bus direct demain pour Bamako, ce qui est préférable. Donc demain soir mardi tout le monde à Bamako, y compris les guinéens qui devraient être arrivés. Pour ma part, je suis enthousiaste dès qu’une nouvelle étape démarre. Pourvu que je ne sois pas déçue !