Oui, ces derniers temps, j’écris ce blog avec du retard. Il faut dire que ce séjour à Ouaga est particulièrement éprouvant et qu’à la fin de mes journées de travail, je m’effondre et me couche vers 20 heures. C’est la seule manière pour moi de tenir, de supporter la chaleur infernale de la journée et toute la tension nerveuse que je subis chaque jour davantage. Je suis fatiguée. Moins physiquement que nerveusement, je crois. Et le moindre dysfonctionnement me fait désormais craquer.

Or, les dysfonctionnements sont légion ! La journée du 11 a été abominable de ce point de vue, une journée d’acrobaties totales, d’improvisations permanentes. Nous avons rendez-vous à 10 heures dans un lycée pour une animation scolaire. A 10 heures quinze le responsable burkinabé se préoccupe de savoir où je suis. Et bien, dans le hall de l’hôtel depuis 9 heures 30 comme il se doit ! Nous ne savons pas où nous nous rendons. Lorsque nous arrivons au lycée, le matériel nécessaire à l’animation n’est pas là. Je refuse de rencontrer dans ces conditions le chef d’établissement. Le matériel est à la direction des loisirs et personne n’a la clef pour y accéder ! Avec une heure trente de retard nous finissons par pouvoir réaliser la démonstration à une classe d’élèves, très intéressés. Leur attention soutenue, leur participation, me réconfortent et je débats avec moi-même pour être à la hauteur, pour me montrer motivée et passionnée par le Scrabble.


Au fond de moi pourtant, le Scrabble à ce moment là, je m’en fiche ! J’en ai marre. Je commence à être là à contrecœur. J’éprouve le sentiment de me battre contre des montagnes.

Le début de l’après-midi aura du mal à me réconforter. Nous avons prévu l’organisation d’un tournoi simultané à l’université. Arrivés à l’heure dite, la « salle » qui a été retenue par les organisateurs n’est autre qu’un patio donnant sur l’extérieur, sans tables, sans chaises et surtout sans prise électrique pour nos ordinateurs. Il fait toujours 40° à l’ombre. Impossible dans ces conditions. La première partie est prévue à 14 heures. J’envisage de  quitter les lieux, d’annuler purement et simplement l’épreuve. Mais Olivier fait preuve de persévérance, et me dissuade de partir. Dick un joueur ivoirien de très bon niveau veut absolument faire l’épreuve pour être sélectionné à Dakar. Ousséni et Abdoulaï, les deux burkinabés à qui on a délégué l’organisation, font ce qu’ils peuvent, courent à droite à gauche…

A 15 heures, on nous dirige vers le restaurant universitaire, encore inondé du nettoyage du repas de midi, les tables à peine essuyées et surtout grouillantes de mouches ! Il faut à la hâte aménager le lieu pour la douzaine de joueurs qui veulent participer. Transporter les tables, les bancs. Nettoyer. Certains s’affairent. D’autres sont là, passifs, attendant que tout soit mis en place. La fatigue qui s’abat sur moi est incommensurable ! Nous devons jouer sans tableau. Nous n’avons pas assez de grilles pour tout le monde. Devant un tel marasme, je ne vois qu’une seule solution : « laisser mesurer les autres ! » comme on dit dans ma région marseillaise, en référence à César, le père de Marius, qui déconseille à son fils d’en faire trop ! Je décide alors de faire le simultané. Seul le scrabble peut m’offrir cette bulle de paix qui me permet de tout oublier, de me détendre. Je vais laisser tomber mon rôle et faire comme n’importe quel joueur : attendre pour pouvoir jouer !

Ma première partie sera catastrophique avec deux zéros de débutante, qui me montrent bien que je ne suis pas là. La suivante me permet de me rattraper et d’arriver deuxième du tournoi. Ouf ! L’honneur est sauf ! Car avec toutes les « leçons de Scrabble » que je donne toute la journée, il faut tout de même que je démontre que je sais aussi un peu jouer !

En même temps que je joue tout en chassant inlassablement les mouches, je reprends le juge arbitre qui conduit la partie, pour améliorer l’annonce des tirages, et surtout celle du positionnement des mots, car sans tableau, il faut être encore plus précis. Pour un certain nombre de participants de ce simultané, c’est la première fois qu’ils jouent en duplicate. Ils sont à la fin des épreuves complètement enthousiastes ! Un burkinabé, qui n’est pas connu de toutes les personnes présentes, arrivera troisième avec un score digne d’une première série lors de la première partie. Le niveau des autres est plutôt bon pour des joueurs confrontés à leur premier duplicate. Je le sais. J’en suis convaincue ! Il y a un nombre considérable de scrabbleurs africains qui sont d’un excellent niveau, sans avoir jamais eu la possibilité de se mesurer à qui que ce soit en compétition.

La soirée s’achève par une cérémonie ! Encore une ! Cérémonie à laquelle personne n’a grand-chose à dire, mais qui existe pour le directeur des loisirs qui nous fait l’honneur de sa présence. C’est la clôture du lendemain de l’ouverture ! J’essaie à nouveau de faire passer un message motivant et suis déçue de n’être relayée par aucun burkinabé. J’aborde la question de la feuille de route qui a été élaborée pour guider le parcours du comité de pilotage vers la création d’une fédération, la question des candidatures aux 5 postes prévus pour ce comité : recensement des joueurs, organisation en clubs, districts et ligues, gestion du matériel remis, trésorerie et coordination. Les discussions qui s’engagent sont trop désordonnées pour qu’on puisse les poursuivre. Et puis, le Ministère s’en mêle. A-t-il son mot à dire dans notre organisation ? Nous sommes encore loin de la mise en place d’une véritable structure, qui supposerait qu’un leader motivant burkinabé prenne les choses en mains, ce qui n’est pas le cas.

C’est épuisée et à bout de nerfs que je fais semblant de prendre quelque chose au cocktail qui suit, avant de m’éclipser discrètement.

A la fin de cette journée, ma décision est prise. Je quitterai l’Afrique aussitôt que mon travail sera achevé à Bamako avec les maliens. Je n’ai plus aucune envie de faire du tourisme avec ce climat, surtout que je dois m’attendre à une chaleur encore plus forte au Mali. Je me réjouissais pourtant de ma balade au Mali, pays que j’avais réservé pour la fin, car c’est de tous les territoires traversés celui qui m’attire le plus. Tant pis ! Ce sera pour une autre fois. Je dois arrêter maintenant, c’est clair, si je veux garder de la motivation pour les prochaines éditions du Rallye des mots. Je crois que les Sénégalais, chez qui je ne me rendrai pas comme prévu les premiers jours de mai, me comprendront, d’autant plus que je serai à Dakar dans quelques mois, et que je pourrai alors, en pleine forme, leur consacrer du temps pour préparer le prochain Rallye qui passera par leur pays.

Car les prochaines éditions, nous y pensons tous les jours avec Modeste, Olivier et Prince. Nous envisageons l’achat d’un camion à bon marché au Bénin, les responsabilités que chacun d’entre eux pourrait prendre, la structure à mettre en place pour faire face aux contraintes que nous rencontrons sur le terrain, les itinéraires futurs. Nous nous entendons parfaitement et nous complétons bien. Olivier m’est indispensable car il me modère. En tant qu’africain, il sait temporiser, bien mieux que moi. Il a des aptitudes dans le domaine structurel qui sont évidentes. Il sait également arbitrer. C’est quelqu’un de calme qui sait se faire écouter. Sa fiabilité est à toute épreuve. Nous formons, je crois, un bon tandem. Modeste est utile à mille et une petites choses : gérer les photos qu’il envoie sur le blog, accomplir des tâches logistiques, surveiller, rassembler et transporter mes affaires, arbitrer, etc. Et puis, la vie sans Modeste en Afrique, maintenant, c’est inenvisageable pour moi ! Enfin, notre Prince, est bien plus qu’un chauffeur. Il prend part à toutes nos animations, donne son point de vue avec beaucoup de pertinence. Il conduit d’une façon très agréable et sécurisante. Et puis Prince et Modeste sont inséparables ! Impossible d’envisager l’un sans l’autre !