Nous devons quitter Lomé en début de matinée pour nous rendre à Kpalimé, lieu de villégiature en montagne au nord-ouest de la capitale. Enfin, « montagne », si l’on veut, car le point culminant du Togo est à 900 mètres seulement.

Notre Prince, chauffeur si charmant que Claude et moi ne parvenons pas à nous séparer malgré sa très hypothétique guimbarde, n’est pas là ! Evidemment, c’est le jour où le véhicule choisit de ne pas démarrer. Il faut changer un certain nombre de pièces. Ne me demandez pas quoi ! Nous ne partirons qu’en début d’après-midi.

Le temps, grâce à Nathalie, notre hôte
, de visiter le jardin d’enfants attenant à la maison. Les enfants ont entre 2 et 6 ans. Rangés sous la paillote dans leurs petits uniformes à carreaux, ils semblent très intimidés. Les gosses m’appellent tata. C’est ainsi qu’ils désignent les adultes qui s’occupent d’eux. J’explique qui je suis. Ils écoutent attentivement mais très peu d’entre eux osent lever le doigt pour poser une question. Je parle du froid qu’il fait dans nos pays et qu’ils ne parviennent sûrement pas à imaginer. De mes petits-enfants. Des métiers qu’ils voudraient faire plus tard.  Les photos les dérident quand ils se voient à l’écran, et leurs toutes petites mains noires se tendent vers l’appareil pour désigner ce qu’ils voient avec étonnement !

Ce jardin d’enfants est privé. Il en coûte environ 30 000 CFA, 45€ par an aux parents. Certains d’entre eux mangent à midi chez Anastasia, et j’ai le loisir de les observer. Ils sont étonnamment sages ces bambins. Aucun chahut en attendant le repas. Ils jouent calmement assis sur leur natte, puis s’allongeront en rang d’oignon plus tard pour faire la sieste. Le repas, du maïs accompagné de saucisses, est pris en silence. Jamais chez nous nous ne pourrions avoir autant de calme avec 5 tout-petits affamés ! Il faut dire qu’on semble leur apprendre une discipline de fer, dès le plus jeune âge. « Je me lève » doivent-ils dire en se dressant, « je m’assieds » en regagnant leur siège, et cela tous en chœur. Et puis comment des enfants pourraient-ils être vindicatifs quand ils n’ont pas grand-chose sous les yeux à demander ?

Les malheurs de Prince nous permettent de faire un tour sur le marché de Lomé, extrêmement bien achalandé et animé, et sur la plage immense bordée de cocotiers à l’ombre desquels se repose toute une faune dont il faut paraît-il se méfier ! L’air de la mer est bienfaisant. Au loin, d’énormes cargos rappellent que Lomé est aussi un grand port.

Cette ville me plaît. Au centre du marché, l’énorme cathédrale un peu kitch est écrasée de soleil. Toutes les rues grouillent de monde. Le supermarché où nous nous rendons comporte un choix de produits tout à fait comparable à une bonne supérette chez nous. Je repense à Cotonou, dont les magasins sont vides. Il faut en faire 3 pour trouver à peu près ce que l’on cherche. Les arbres sont très présents dans la ville, et même si la chaleur est identique à celle de Cotonou, environ 35 ou 36° Celsius aujourd’hui, elle est plus supportable car l’on trouve toujours plus ou moins une petite zone d’ombre.

La ville est cependant assez délabrée. Il faut dire que le Togo sort de 15 années d’embargo, pendant lesquels le pays vivait en quasi-autarcie, et qui n’ont permis aucun développement. L’histoire de ce pays est très différente de celle du Bénin tout proche. Alors que le Bénin vit depuis de très nombreuses années sous un régime présidentiel démocratique, et n’a jamais connu de troubles sanglants, le Togo a une histoire beaucoup plus mouvementée, qui n’est d’ailleurs pas tout à fait apaisée aujourd’hui.

Sans prétendre faire un cours d’histoire, mais pour une brève information de mes lecteurs, disons que ce pays a connu la présence allemande et a fait la première guerre mondiale avec les Allemands. La présence française date de la fin de cette guerre, où la Société des Nations partage le pays entre la France et l’Angleterre. L’Angleterre a investi le Ghana, toujours anglophone aujourd’hui. Les français se sont installés au Togo et ont voulu le différencier du Dahomey, l’actuel Bénin. Jusqu’aux années 80, le Togo est indépendant, mais très influencé par la Chine. Le président Gnassingbé pratique un culte de la personnalité avec un parti unique, mais la situation est prospère. A la fin des années 80 la situation se gâte avec l’effondrement du Bloc de l’Est.  Le Togo privé d’une aide précieuse entre en crise comme bien d’autres pays africains. Le peuple togolais est opprimé, les tensions se multiplient et des émeutes très violentes éclatent en 1990. Puis, ce ne sont que des histoires de coups d’état, de manifestations réprimées dans un bain de sang, d’attentats qui conduisent de nombreux togolais à fuir le pays. La démocratie ne parvient pas à s’installer et les élections sont sans cesse remises en cause, les constitutions bafouées, avec leurs cohortes d’arrestations et d’exécutions. La situation est désormais apaisée, mais reste encore tendue. Le pouvoir est entre les mains du fils de l’ancien président qui a régné sur le Togo pendant 38 ans, Faure Gnassingbé. Il semble plus souple que son père. Mais l’opposition n’est pas encore vraiment libre de s’exprimer dans le Togo d’aujourd’hui et Reporters sans Frontières dénonce sans cesse les atteintes à la liberté de la presse dans le pays.

Revenons à notre matinée du 3 mars. Arrêt à la poste de Lomé, où Claude doit poster une carte pour l’anniversaire de sa belle-mère ( !), et à la banque.  Il est assez difficile de se procurer de l’argent, car les distributeurs automatiques sont limités à 200 000 CFA que l’on ne peut retirer qu’avec une carte Visa, et qu’il est impossible de payer quoique ce soit autrement qu’en liquide. Il va falloir composer avec cela, sachant que j’ai de grosses dépenses à effectuer pour sortir du port les marchandises qui arrivent bientôt à Cotonou dans le deuxième navire, pour acheminer le matériel par avion vers le Cameroun, par bus vers le Burkina et le Mali, pour payer Prince chaque jour, ainsi que pour nos dépenses personnelles.

Je me sens très heureuse lorsque nous quittons (enfin !) Lomé dans l’après-midi pour la campagne togolaise. Les routes deviennent charmantes au fur et à mesure que l’on s’éloigne, bordées de grands arbres. Des irokos aux troncs géants surgissent de la savane arborée et des manguiers très touffus forment des tunnels ombragés. Partout des gens marchent sur la route, car il semble ici aussi n’il y avoir que très peu de transports en commun. Ce sont le plus souvent des écoliers en uniforme bleu marine ou beige, qui portent leurs livres et leurs cahiers de classe sur le dos ou sur la tête, dans un équilibre incroyable, ou bien des femmes chargées de lourds fardeaux : du bois, des bassines superposées contenant je ne sais quoi, des fruits ou des légumes. Ici, comme ailleurs, les femmes servent malheureusement souvent d’animaux de bât ! Nul homme surchargé n’est observable sur la route !

La route est de plus en plus montagneuse au fur et à mesure que l’on approche de Kpalimé. La végétation des collines est luxuriante. Nous éprouvons enfin, pour la première fois depuis plus de trois semaines que nous sommes là, l’impression d’une Afrique authentique telle que nous l’imaginons en Europe. L’Afrique de la nature tropicale. Car au Bénin, je me rends compte, que le pays a été complètement dévasté par la déforestation. Nous ne sommes qu’à une centaine de kilomètres ici et la nature y est très différente, bien plus préservée.

Nous parvenons dans un hôtel charmant en soirée, avec une piscine, dont l’eau chlorée et chaude nous ravit jusqu’à la tombée de la nuit. A plus de 25°, elle paraît fraîche ! Le chlore et la fraîcheur font du bien à ma peau, moite depuis si longtemps que mes piqûres de moustique, que je gratte sans cesse sur les jambes, forment des croûtes qui ne guérissent pas.  Prince ne sait pas nager mais se baigne tout de même avec une grosse bouée noire ! Nous nous sentons détendus et heureux. Je suis propre et ça c’est un vrai bonheur ! Et pour cette nuit, luxe suprême, nos chambres d’un prix pourtant très abordables, sont climatisées !