La piste d’Atar à Zerouate est une véritable merveille. Elle longe les montagnes et s’étend sur 300 kilomètres de pur bonheur, que je parcours dans le 4X4 d’Ely qui nous a rejoints hier soir, après avoir assisté à Nouakchott à la fameuse réunion de préparation de la semaine de la francophonie. Le scrabble sera présent en Mauritanie dans le cadre de cet évènement pour la première fois.

Comment décrire à nouveau ces paysages sans me répéter ? Je ne le peux pas. Je manque de talent. Mais je répète ma joie à voir ainsi défiler les sables, rougir les montagnes avec le soir, se voiler la piste sous les nuées poussées par le vent, pousser de façon inattendue un peu de verdure que paissent des troupeaux de chameaux, et même quelques petites fleurs jaunes odorantes, se dessiner au loin la forme d’un guelb (formation rocheuse au milieu des sables) dont on s’approche peu à peu, rencontrer quelques baraques de tôle ondulée peintes de façon multicolore, croiser un chamelier qui progresse lentement et tout seul dans l’immensité, sentir la voiture qui danse dans les sols mous, m’accrocher fort à la poignée pour amortir les cahots, voir loin, toujours plus loin, le désert, le néant, que sait se réserver notre planète dans ces contrées.

Nous nous arrêtons pour le déjeuner près d’une de ces huttes construites à proximité d’un petit chantier de forage. Il fait très chaud sous le soleil de 14 heures. Nous y rencontrons les passagers d’un autre véhicule qui nous confient une dame et un jeune garçon, sarahouis tous les deux. Nous sommes en effet à la frontière du Sahara Occidental, et devrons même en franchir un petit bout que traverse la piste. Ce drôle de pays, autrefois occupé par les espagnols, dont les habitants parlent toujours la langue, et qui, après leur départ, est convoité par les marocains et les mauritaniens qui s’en disputent l’appartenance. L’Algérie aussi aimerait bien un petit morceau de ce territoire totalement désert, pour avoir un accès à l’Atlantique. Quant au peuple sarahoui lui-même, auquel personne ne demande son avis, il a du entrer en lutte armée le Polisario à sa tête, pour défendre son identité et sa terre.

Il ne fait pas bon s’aventurer au Sahara Occidental à travers lequel passe maintenant une route goudronnée reliant le Maroc à la Mauritanie. La route est minée de part et d’autre, et il est absolument déconseillé de descendre de son véhicule, sous peine de sauter sur une mine. Généralement, les voitures circulent en convoi. Quant à ceux qui s’aventurent hors de cette route, qui tentent par exemple de rejoindre l’Atlantique depuis l’intérieur et le nord de la Mauritanie, ils se retrouvent dans un désert terrible où ils se perdent. Un mauritanien et ses deux enfants sont ainsi morts de soif il y a deux ans après s’être égarés sur une de ces pistes.

Aucune communication n’est vraiment possible avec Madame Sarahoui qui parle le hassanya, peut-être un peu d’arabe et d’espagnol. Tant pis !

Le véhicule file bon train à travers toutes sortes de terrain, dont quelques kilomètres de goudron récemment construits pour faciliter le passage sur une zone sableuse parsemée de petites buttes où poussent des bouquets d’oyats. A plusieurs reprises, nous croiserons ce train incroyable, le plus long et le plus lourd du monde, chargé de son minerai, image totalement surréaliste au milieu du désert. Des gens sont parfois assis au dessus du fer avec des bêtes. Ils peuvent ainsi voyager gratuitement, mais à leurs risques et périls et en respirant la terrible poussière du fer ! Il nous faudra 6 à 7 heures pour parcourir les 300 kilomètres nous reliant à Zouérate, la ville de l’extraction du minerai de fer par la SNIM, et qui représente 15% du PIB de la Mauritanie, un véritable pays dans le pays. C’est cette société qui a réservé pour moi une chambre dans un hôtel de Zouerate. Je suis invitée. Merci la SNIM !

Nous avons le temps d’une douche, d’un peu de repos et même d’un peu de maquillage, avant de rencontrer le soir les scrabbleurs du club de la SNIM. Une quinzaine d’hommes en boubous bleus ou blancs, assis sur les tapis d’une grande salle à manger qu’ils occupent totalement. Ce club comporte 35 personnes et fonctionne de façon assez structurée, avec un bureau et des contributions des joueurs aux frais. Présentations réciproques. Plaisanteries bon enfant. Présentation du rallye des mots et de la FISF. Etc. Je recommence mon couplet… Mais si, il paraît que c’est utile ! Mon passage génère un élan et une motivation suivis de développements. Ici aussi il faut créer une ligue régionale, et dépasser le cadre du club de la SNIM qui est cependant très structuré. On joue tous les soirs ! On est véritablement acharnés, sans que se pratique non plus le duplicate. Alors bien sûr, le niveau n’est pas excellent, puisque je parviens à gagner 4 parties de classique.

Je me vois parmi tous ces bonshommes aussi traditionnels que sont les mauritaniens. Ils ont beaucoup d’ouverture d’esprit pour m’accepter, moi femme française avec mes cheveux trop courts pour eux, ma robe qui laisse voir mes jambes ! J’essaie au sol de me tenir de la façon la plus pudique possible mais ce n’est pas facile !

Retour à notre hôtel, un monument de modernisme des années 60 non rénové, qui essaie tout de même de faire bonne figure d’hôtel  à l’occidentale. C’est encore la SNIM qui le possède et le gère. Elle y accueille tous les cadres qui sont de passage. Ely nous permet de visiter les mines d’extraction du fer. C’est un monde minéral absolument titanesque. Les Caterpillar géants sillonnent des pistes creusées à l’intérieur même de la montagne noire excavée. Cette excavation forme un cratère énorme creusé à coups de dynamite que l’on voit stockée à l’entrée dans de grands containers. Tout autour, de véritables montagnes de roches et de pierres : c’est le « stérile », c'est-à-dire le matériau restant après que le fer ait été séparé de la roche concassée dans d’énormes broyeurs puis séparé par d’énormes aimants. Ces montagnes artificielles sont presque aussi hautes que la montagne naturelle qui contient le précieux minerai ! Au sommet du cratère, après avoir gravi un petit monticule de pierres qui rend mes pieds tout gris, on découvre une mer de sable, à l’infini, absolument plate, vierge et à 360° !

Déjeuner de riz au poisson chez un oncle d’Ely où ont dormi cette nuit Moulaye et Salek. C’est bien bon. Puis il est l’heure de préparer le tournoi duplicate de ce soir. J’ai trouvé aux fins fonds de mon sac un pantalon noir tout poussiéreux mais qui me permettra d’éviter la robe trop courte d’hier !

Il y a très longtemps que je n’ai pas de nouvelles du monde. Et bien, le monde tourne parfaitement sans moi, et moi sans lui ! Même quand je tourne autour de lui !