Nous partons tôt le matin de ce bel hôtel pour l’extrême nord, où se trouve le parc national de La Pendjari, une grande réserve naturelle d’animaux sauvages. Les tatas somba se font plus nombreux. La route s’achève à une cinquantaine de kilomètres de Nati pour continuer par une piste de terre.

Sur la piste, je ne résiste pas à photographier un de ces baobabs centenaires qui trônent au milieu des villages. Des dizaines d’enfants, tous plus sales les uns que les autres, surgissent je ne sais d’où, si bien qu’ils seront à peu près une trentaine sur la photo qu’ils me réclament. Le plus jeune sait à peine marcher. Je distribue  dans un effroyable désordre de petites mains tendues vers moi un paquet de gâteaux au chocolat achetés le matin même. Je dois les partager en quatre pour satisfaire le plus d’enfants possibles. Avec mon appareil et mes gâteaux je suis une véritable attraction, probablement la seule de cette journée torride. Je suis aussi pour la grande majorité je crois la première occasion de goûter au chocolat. Ces gosses n’ont rien, pas le moindre jouet, pas la moindre friandise. Ils ne sont probablement pas scolarisés non plus, car ici l’école a repris hier et ils traînent dans le village. Que vont-ils faire de leur vie ? Nombre d’entre eux travaillent déjà pour la famille, et on les voit sur les routes transporter sur leurs petits corps fragiles de grosses bassines ou des bidons. Pauvres gamins, malchanceux d’être nés là.


La piste traverse une centaine de kilomètres à travers le parc avant d’atteindre l’hôtel qui est situé tout au fond. Prince ne peut guère cheminer qu’à 25 ou 30 à l’heure, tant la voiture bringuebale ! Il faut dire que l’on nous avait recommandé un 4X4 pour se rendre ici et que, vu le prix exorbitant de la location, nous avons tenté l’aventure dans notre Opel.

Arrêt magique sur la piste à quelques kilomètres de l’entrée du parc pour nous rendre dans une cascade. Là, des béninois nous accompagnent, dans l’escalade de rochers glissants qui permet de découvrir ce havre de verdure superbe. Nous nous baignons dans une eau verte, presque fraîche, au son ininterrompu de la chute d’eau qui dégringole d’une dizaine de mètres des rochers de la montagne. C’est solidement arrimée aux bras de deux jeunes costauds que j’effectue la descente, sautant d’un rocher moussu à l’autre, m’agrippant à eux pour ne pas glisser. Un moment délicieux dans cette fournaise qui, au fur à mesure que nous avançons sur la piste, devient de plus en plus épouvantable.


Il faut dire que dès l’entrée du parc nous sommes en pleine savane. La sécheresse de la terre est effrayante. Pas une goutte ne ruisselle dans les lits des cours d’eau. Les herbes sèches, blondes, immobiles sous le soleil écrasant, parsèment des kilomètres de brousse, où ne poussent plus que des épineux, des acacias en général. Nous ouvrons grand les yeux, scrutant la brousse à la recherche du moindre animal caché sous l’ombre d’un arbre. Mais, la plupart du temps, nous nous méprendrons sur des troncs d’arbre aux formes étranges, et ne verrons pas grand-chose. Les animaux sont moins fous que nous. A cette heure ils se cachent et dorment. Nous croisons cependant une famille de babouins sur notre route. Les babouins sont des animaux qui ne sont pas craintifs. Nous pouvons les photographier.


La piste s’éternise. Elle est totalement ravinée par le passage des 4X4, si bien que nous avons l’impression de rouler sur de la tôle ondulée. Tout bouge dans le véhicule, qui cliquette, cahote, malgré les infinies précautions de Prince. Jusqu’au moment où, à environ 13 kilomètres de l’arrivée, les cliquetis se transforment en un vrai bruit de casseroles qui s’effondrent ! Nous nous arrêtons illico. Tout le côté gauche de la voiture à l’arrière est en train de tomber, la roue avec ! Un truc, ne me demandez pas quoi, qui tient le châssis, s’est dessoudé. L’Opel est en train de s’effondrer comme un château de cartes !


Que faire ? Continuer à pied les 13 kilomètres restants au risque de se faire bouffer par les lions dont on nous a promis la présence ici ? Attaquer par les buffles cornus ? Charger par les éléphants sauvages ? Nous ne voyons guère d’autre solution cependant, et je commence à troquer mes tongs contre des baskets pour me préparer à la randonnée ! Il fait encore plus chaud que chaud sur la piste en plein soleil. Il est environ 14 heures, l’heure la plus terrible.

Un bruit lointain de 4X4 s’annonce ! C’est un véhicule de l’IGN, Institut géographique national, qui se rend à l’hôtel pour des travaux de cartographie. Sans aucun problème, les occupants nous prennent à bord, nous et nos bagages, y compris le gros carton de Mes Mots en Poche 5 que nous transportons avec nous, je ne sais pas trop pourquoi !

L’hôtel est perdu au fond de nulle part. La piscine est quasiment abandonnée aux fleurs d’acacias qui recouvrent l’eau. Au loin, s’étendent de grandes plaines de savane blonde, qui bordent la rivière Pendjari, frontière naturelle entre le Bénin et le Burkina Faso. Dire que nous ne sommes mêmes plus véhiculés pour aller voir les animaux, après tant de kilomètres parcourus !

Il faut surtout penser à trouver une solution. L’hôtel ne dispose que d’un groupe électrogène qui fonctionne à partir de 19 heures seulement. Aucun réseau téléphonique ne passe ici. Il est relié une fois par jour par une radio antique, à Natitingou. Le gérant se propose d’essayer d’informer la ville de notre situation, sans garantir aucunement de pouvoir le faire, et surtout de pouvoir nous trouver une solution de dépannage. Prince revient sur les lieux de la panne, 13 km plus loin, avec un mécanicien qui pourra confirmer le diagnostic : il faut faire venir un soudeur !

La chaleur du jour ne finit pas. La nuit n’apporte aucun soulagement et dans de telles conditions je ne peux toujours rien avaler sous la belle paillote au toit de bois qui forme le restaurant. La nuit porte conseil. Nous verrons demain matin.