Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, heureusement. Le coup de blues est passé. Je sors en forme ce matin de ce petit bungalow rond, que l’on appelle un boukarou, surmonté d’un toit pointu argenté, à l’intérieur d’un luxuriant jardin tropical.

Il ne faut cependant pas croire que je m’offre des palaces ! Certes, pour un camerounais, mes chambres à 20 ou 25 euros, seraient inaccessibles, et je choisis des hébergements haut de gamme quand je suis en province. Mais, ce haut de gamme là, reste pour nous basique. En fait, les décors sont en général très beaux, les architectures des bâtiments intéressantes et recherchées, les jardins et l’environnement souvent magnifiques, mais il ne faut pas se montrer plus exigeant. Les draps sont souvent douteux. Les lumières glauques. Les meubles très anciens. Les robinetteries tiennent rarement bien aux sanitaires. Les toilettes fuient ou sont très entartrées. Etc. Ce qui est surtout frappant, c’est qu’en général dans ces lieux, qui ont sûrement eu leur heure de prestige, je suis absolument seule. J’arrive dans des hôtels fantomatiques, gardés par un vieil homme souvent, qui semble plutôt étonné de voir arriver quelqu’un. Les pièces sentent le renfermé et pour moi, on branche le réfrigérateur, l’électricité, que l’on tient en sommeil pendant de longues semaines sans clients. L’homme me demande ce que je veux manger, et se rend pour moi au marché, souvent très loin, s’enquérir de mes œufs et des tomates de mon dîner. Tout cela me plaît et a un charme indéniable. Je m’arrange sans problème des inconvénients, car je dispose de tout un arsenal de défense contre l’inconfort, mon arsenal de routarde désormais bien rôdé : draps de soie, oreiller ergonomique compressible, serviette en nid-d’abeille, lingettes de toutes sortes, torche frontale, etc.

Ici à Foubam, d’où j’écris ce soir, ma chambre est particulièrement monacale et spartiate, mais l’hôtel est beau : une énorme bâtisse en pierre devancée d’une terrasse qui donne dans un jardin à la française bien dessiné, mais où ne pousse rien ! Les balcons en arc de cercle et les toits tarabiscotés revêtus de céramique donnent à l’ensemble un air un peu mauresque.

C’est qu’effectivement cette région commence à avoir un air arabisant. C’est une région à dominance musulmane, qui a subi une influence soudanienne pendant plusieurs siècles. Sur la route qui conduit à Foumbam, le paysage change. La végétation commence à être moins luxuriante, plus rare. On voit des pins et des cocotiers prendre le pas sur les bananiers. Des plaines d’herbe sèche s’étendent sous le soleil. Il y a comme un air de Méditerranée, quelque chose du Maghreb.

La visite du musée du Palais des sultans bamouns est passionnante. Les bamouns représentent une dynastie qui existe depuis le 14ème siècle et qui est toujours bien vivante, le roi actuel étant toujours un descendant de la lignée. Celui qui a le plus marqué l’histoire est le roi Njoya, qui a régné jusqu’en 1931. Barbare, certes il l’était : autoritaire, mégalomane et grand amateur de femmes, puisqu’il en eut 681, et qu’il ne trouva jamais la femme idéale à laquelle il a consacré un livre ! Mais ce roi était étonnamment intelligent, puisqu’il inventa une écriture, très belle d’ailleurs, ainsi qu’un calendrier et une religion où se mêlent l’islam, le christianisme, et l’animisme. Ce sont les français qui l’ont exilé en 1923, interdisant la pratique de cette écriture pour scolariser les enfants et imposer leur culture. L’écriture a désormais disparu. Quel gâchis !

Dans cette dynastie, on compte aussi deux femmes. L’une qui régna 43 ans, fut destituée de son trône parce qu’elle avait une liaison amoureuse avec un homme sans rang, pour lequel elle quittait son palais la nuit, et arrivait donc en retard aux rendez-vous du matin ! L’autre détient le record de la reine la plus rapide du monde, puisqu’elle ne fut à son poste que 30 minutes ! Plus question de faire confiance à une femme qui risque de tomber amoureuse de n’importe qui !

Enfin, il y eut aussi dans cette lignée de rois, un géant féroce dont la devise était lors de son intronisation : « il n’existe aucun territoire décidé par la parole ». C’était un géant : il mesurait 2,60 mètres, comme en attestent les objets lui appartenant conservés au musée : sa lance, sa cloche pour motiver les combattants, etc. Il fit passer le territoire bamoun de 500 km2 à 7500 km2.

Sylvain, très heureux que je l’invite à la visite, écoute toutes ces histoires avec une attention incroyable et pousse des cris d’exclamation à chaque explication du guide ! Sylvain n’a probablement jamais visité un musée. Il s’en souviendra longtemps m’a-t-il dit !

Le palais, que l’on ne peut pas visiter complètement, est une énorme bâtisse, mélange de demeure orientale et de château médiéval, dont Njoya avait conçu les plans. On entrevoit cependant lors de la visite la salle étonnante dans laquelle le roi actuel continue de donner ses audiences. D’énormes piliers, des arches semblables à celles des mosquées, et des escaliers de bois qui courent le long des murs. Cela ne ressemble à rien de connu et fait froid dans le dos !

Le musée est très bien commenté par un guide qui explique les symboles de la royauté, les objets étonnants comme les chasse-mouches, les cloches, les coiffes traditionnelles, les masques de danse, les cornes à boire, les calebasses ornées des mâchoires des ennemis. Ces objets sont vivants, puisqu’ils sont toujours utilisés lors des cérémonies royales. On les sort alors de leurs vitrines ! Le roi actuel, Ibrahim Mbombo Njoya, a été reçu par Jacques Chirac, et a passé une partie de sa vie au service de l’Etat comme diplomate et haut fonctionnaire. Son pouvoir et son influence y compris au plan international, sont toujours d’actualité.

Voilà, chers lecteurs, c’était le quart d’heure culturel de ce blog !

Je finirai par les images très belles du marché du samedi qui se tient entre le palais et la mosquée centrale. Les femmes ne sont pas souvent voilées mais ne portent pas les mêmes tenues que dans le reste du Cameroun. Les couleurs de leurs robes se mêlant à celles des bassines et des tongs en plastique, des tomates et du piment étalés sur des nattes, des régimes de bananes vertes, sont magnifiques. L’atmosphère est plus proche de celle des marchés arabes que camerounais. Le Tchad n’est qu’à quelques centaines de kilomètres d’ici.

La province de l’extrême nord camerounais s’étend vers le Tchad pour rejoindre presque N’Djamena. On dit cette province très belle, couverte de savane d’abord et devenant progressivement désertique. Malheureusement le temps m’est compté et je ne pourrai pas m’y rendre. Demain, nous amorçons notre retour sur Limbé, puis sur Douala, pour prendre lundi soir mon vol de retour sur Cotonou. Prince, Modeste et Olivier m’y attendent pour de nouvelles aventures !