Nouveau dimanche. En attendant de quitter la maison pour le tournoi duplicate en deux manches organisé aujourd’hui, Martial lave sa Mercedes dans la cour, comme tous les jours. Et même parfois deux fois par jour, me précise t-il !
Hier soir, le dîner que j’offre aux hôtes au restaurant nous permet de faire un peu connaissance. Il me permet aussi une balade dans la ville, la nuit, à travers les ruelles totalement défoncées et obscures, où grouille toute une foule colorée, bien habillée pour la soirée. Typiquement le genre d’endroits où je ne me serais jamais aventurée si j’étais seule ! Pour cela il est très chouette de visiter une ville avec ses habitants.
Douala est une ville festive. Il n’y a pas grand-chose à voir au point de vue touristique, mais l’animation diurne comme nocturne est très importante, et l’on pourrait je crois rester des heures à l’une des nombreuses petites terrasses aux chaises en plastique qui jalonnent les trottoirs. Enfin, trottoir est un grand mot, tant la voirie est dégradée partout. On semble dans ces multiples bars en plein air goûter volontiers à la bière ! Les multiples bouteilles vides sur les tables en témoignent.
Les habitants de la ville estiment que Douala, ville traditionnellement d’opposition a été abandonnée volontairement par le pouvoir politique, situé lui à Yaoundé. La rivalité entre les deux villes semble particulièrement forte. Le pays paraît vraiment scindé en deux. Yaoundé serait une ville très clean. C’est la capitale politique du pays. J’y serai mardi.
Le tournoi, prévu à 9 heures initialement, ne démarrera que vers 11 heures. Ce n’est pourtant pas faute d’énergie déployée, et Georges, que tout le monde appelle ici Jojo, s’active sans arrêt, s’occupant de tout. Et tout est toujours compliqué, car rien n’est vraiment anticipé. C’est que l’anticipation n’est pas toujours possible non plus dans un système de fonctionnement sociétal où tout se décide à la dernière minute, où rien n’est écrit, où un obstacle insurmontable peut arriver à tout moment. Jojo est crevé le pauvre avec cette préparation du Rallye des mots ! Ses copains pronostiquent même qu’il va tomber malade aussitôt que tout sera fini. Allez Jojo, il faut tenir le coup ! Le Rallye est bientôt terminé !
Ils sont 26 participants, regroupés en 13 paires, à jouer le tournoi duplicate. Je choisis de jouer tout en restant très attentive à ce qui va se passer, pour apporter à chaque instant les remarques qui permettent une amélioration du fonctionnement. Pour la première fois, grâce à l’évènement que crée le Rallye des mots, des sponsors soutiennent le tournoi : Orange qui fournit des t-shirts publicitaires que nous revêtons tous (malgré la chaleur !), et une marque de confiserie qui dote l’épreuve de chewing-gums et de pâte à tartiner au chocolat. Pour nous, ces dotations seraient ridicules. Ici, elles font extrêmement plaisir. Les résultats du tournoi de classique d’hier n’ont pas été diffusés, pour s’assurer que les participants reviendraient aujourd’hui pour le tournoi duplicate dont ils sont moins friands.
Moins friands peut-être, mais quel niveau ! La paire que je forme avec un jeune homme n’arrivera que 8ème au classement général après une deuxième partie à -23 ! La première partie est explosive, et RUBIETTE, MANTIQUE, ARMORIAI joker A, et DURATIVE, n’effraient pas grand monde ! On peut affirmer sans problèmes qu’il y a dans l’assemblée plus de 12 personnes qui pourraient être chez nous première ou deuxième série, dont au moins la moitié de la taille de vrais champions. Quand je pense que ces joueurs si motivés, si brillants, n’ont pas la possibilité de se présenter sur la scène internationale, je suis dégoûtée. Quelle injustice !
Il y a assez de jeux pour tous. Mais des jeux très souvent dans un sale état, avec des lettres absolument illisibles, des grilles sur lesquelles les couleurs ont disparu. S’il fallait jouer en individuel, donc avec un jeu chacun, ce ne serait pas possible. Il n’y a pas de tableau mural du tout. Sur du bois clair, quelqu’un note la partie à la craie blanche coup par coup, comme une feuille de route publique, et je suis bien incapable de pouvoir lire quoi que ce soit.
J’interviens à plusieurs reprises pour faire quelques remarques. Papier en l’air, c’est vraiment papier en l’air ! Le ramasseur, que l’on appelle ici ramoneur, ne prend pas les bulletins non levés. Les épellations au tirage et leur répétition sont obligatoires. Les bulletins même en alphanumérique doivent être rédigés horizontalement ou verticalement. Des avertissements devraient être distribués. Les joueurs doivent se placer selon l’ordre de leur classement, et il est interdit de changer de table parce qu’à la table d’à côté la grille est plus belle. Etc. Etc. En fait ces règles ne sont vraiment connues que de ceux qui ont eu la chance de participer à un tournoi dans un pays occidental. Ici, beaucoup les découvrent.
Le gros problème du tournoi viendra du fait que personne ne maîtrise DupliTop 5 que je propose sur mon ordinateur. Jojo commence à vouloir tout faire. C’est ainsi qu’il est Jojo ! Tirage et arbitrage en simultané des 13 tables avec un seul ordinateur, ce sera mission impossible ! La partie est sans cesse interrompue entre les coups. Je me lève alors, raconte quelque chose, et essaie de faire patienter les joueurs. Malheureusement, je ne suis pas à même de l’aider vraiment. Je sais faire fonctionner vaguement DupliTop, mais ne sais pas par exemple revenir en arrière pour annuler un coup, etc. Claude aujourd’hui nous a vraiment manqué !
Il y a toutefois parmi les scrabbleurs des petits génies informatiques qui, par tâtonnements et en se mettant à plusieurs, parviennent à résoudre tous les problèmes au fur et à mesure. Il est fort à parier qu’avec une telle expérience où il s’est jeté à l’eau et où il a tant souffert, Jojo devienne dans le futur un excellent arbitre. En fait, je ne me fais aucun souci sur le fait qu’un logiciel comme celui-là puisse être maîtrisé dans la future fédération par un nombre satisfaisant d’arbitres. Mais aujourd’hui, découvrir en même temps l’arbitrage en duplicate et le logiciel, cela faisait beaucoup !
Personne ne paye de droits de participation. Ceci est général dans tous les pays d’Afrique francophone. Imposer de devoir payer un tournoi est difficile, quand on sait combien de gens ne pourront pas se l’offrir. J’explique tout de même que chez nous, beaucoup de scrabbleurs font aussi des sacrifices financiers pour participer aux compétitions, et que, dans la mesure de leur pouvoir d’achat, il faudrait tout de même demander une contribution ne serait-ce que symbolique. Dans ces conditions, la location des chaises par exemple pourrait au moins être couverte. Aujourd’hui, chacun finance les activités de sa poche, quand il est chevronné et généreux. Mais le moindre centime est très précieux. Il manque de l’argent tout le temps et pour tout.
Je suis la seule à fumer, comme dans les autres pays où je me suis rendue. Non pas sans doute parce que les africains craindraient davantage que nous pour leur santé, mais parce que les cigarettes sont trop chères : 1,50€ le paquet. Voyant que je suis à cours de cigarettes, quelqu’un me fait une surprise : un paquet de Marlboro light arrive sur ma table ! Je suis touchée. La gentillesse des Camerounais est très frappante et surtout, par rapport aux autres pays où je me suis rendue, leur spontanéité chaleureuse. Il y a ici moins de retenue je crois qu’au Togo ou au Bénin. J’éprouve l’impression que les gens sont plus détendus et qu’ils s’expriment plus librement. Peut-être est-ce une conséquence de la culture moins religieuse du pays.
Les joueurs qui sont venus de Yaoundé n’ont pas d’argent pour repartir chez eux. Je propose pour la semaine prochaine de financer un bus charter qui permettra aux joueurs de Douala de participer en nombre à l’assemblée générale. Dans le cas contraire, les élections risquent de se dérouler dans de très mauvaises conditions. Le voyage aller-retour coûte 8000 CFA, une petite fortune, quand on sait que c’est le tiers d’un salaire minimum d’un camerounais, le sixième du salaire moyen. L’équivalent de 200 euros pour un smicard occidental.
Les photos de groupe avec nos t-shirts Orange sont particulièrement réussies ! Je n’ai rien mangé de la journée, comme tout le monde. Je suis la seule à demander où je peux me procurer quelque chose à 13 heures. Personne apparemment ne songe à se ravitailler. Le sandwich au museau que l’on me procure va être partagé en 6 morceaux qui font le bonheur de beaucoup, car j’ai horreur du museau ! Je suis admirative devant la constance des joueurs, leur concentration, alors qu’ils n’ont rien dans le ventre, ni la moindre gorgée d’eau à boire pendant de longues heures sous 35° ! J’offre un pot aux organisateurs en fin de tournoi. Extrêmement mérité.
Moi, je survis aussi, mais ce soir à 18 heures à peine, je suis couchée pour une sieste dont je ne me relèverai que demain matin ! Même pas le courage de voir le résultat des élections municipales.
Hier soir, le dîner que j’offre aux hôtes au restaurant nous permet de faire un peu connaissance. Il me permet aussi une balade dans la ville, la nuit, à travers les ruelles totalement défoncées et obscures, où grouille toute une foule colorée, bien habillée pour la soirée. Typiquement le genre d’endroits où je ne me serais jamais aventurée si j’étais seule ! Pour cela il est très chouette de visiter une ville avec ses habitants.
Douala est une ville festive. Il n’y a pas grand-chose à voir au point de vue touristique, mais l’animation diurne comme nocturne est très importante, et l’on pourrait je crois rester des heures à l’une des nombreuses petites terrasses aux chaises en plastique qui jalonnent les trottoirs. Enfin, trottoir est un grand mot, tant la voirie est dégradée partout. On semble dans ces multiples bars en plein air goûter volontiers à la bière ! Les multiples bouteilles vides sur les tables en témoignent.
Les habitants de la ville estiment que Douala, ville traditionnellement d’opposition a été abandonnée volontairement par le pouvoir politique, situé lui à Yaoundé. La rivalité entre les deux villes semble particulièrement forte. Le pays paraît vraiment scindé en deux. Yaoundé serait une ville très clean. C’est la capitale politique du pays. J’y serai mardi.
Le tournoi, prévu à 9 heures initialement, ne démarrera que vers 11 heures. Ce n’est pourtant pas faute d’énergie déployée, et Georges, que tout le monde appelle ici Jojo, s’active sans arrêt, s’occupant de tout. Et tout est toujours compliqué, car rien n’est vraiment anticipé. C’est que l’anticipation n’est pas toujours possible non plus dans un système de fonctionnement sociétal où tout se décide à la dernière minute, où rien n’est écrit, où un obstacle insurmontable peut arriver à tout moment. Jojo est crevé le pauvre avec cette préparation du Rallye des mots ! Ses copains pronostiquent même qu’il va tomber malade aussitôt que tout sera fini. Allez Jojo, il faut tenir le coup ! Le Rallye est bientôt terminé !
Ils sont 26 participants, regroupés en 13 paires, à jouer le tournoi duplicate. Je choisis de jouer tout en restant très attentive à ce qui va se passer, pour apporter à chaque instant les remarques qui permettent une amélioration du fonctionnement. Pour la première fois, grâce à l’évènement que crée le Rallye des mots, des sponsors soutiennent le tournoi : Orange qui fournit des t-shirts publicitaires que nous revêtons tous (malgré la chaleur !), et une marque de confiserie qui dote l’épreuve de chewing-gums et de pâte à tartiner au chocolat. Pour nous, ces dotations seraient ridicules. Ici, elles font extrêmement plaisir. Les résultats du tournoi de classique d’hier n’ont pas été diffusés, pour s’assurer que les participants reviendraient aujourd’hui pour le tournoi duplicate dont ils sont moins friands.
Moins friands peut-être, mais quel niveau ! La paire que je forme avec un jeune homme n’arrivera que 8ème au classement général après une deuxième partie à -23 ! La première partie est explosive, et RUBIETTE, MANTIQUE, ARMORIAI joker A, et DURATIVE, n’effraient pas grand monde ! On peut affirmer sans problèmes qu’il y a dans l’assemblée plus de 12 personnes qui pourraient être chez nous première ou deuxième série, dont au moins la moitié de la taille de vrais champions. Quand je pense que ces joueurs si motivés, si brillants, n’ont pas la possibilité de se présenter sur la scène internationale, je suis dégoûtée. Quelle injustice !
Il y a assez de jeux pour tous. Mais des jeux très souvent dans un sale état, avec des lettres absolument illisibles, des grilles sur lesquelles les couleurs ont disparu. S’il fallait jouer en individuel, donc avec un jeu chacun, ce ne serait pas possible. Il n’y a pas de tableau mural du tout. Sur du bois clair, quelqu’un note la partie à la craie blanche coup par coup, comme une feuille de route publique, et je suis bien incapable de pouvoir lire quoi que ce soit.
J’interviens à plusieurs reprises pour faire quelques remarques. Papier en l’air, c’est vraiment papier en l’air ! Le ramasseur, que l’on appelle ici ramoneur, ne prend pas les bulletins non levés. Les épellations au tirage et leur répétition sont obligatoires. Les bulletins même en alphanumérique doivent être rédigés horizontalement ou verticalement. Des avertissements devraient être distribués. Les joueurs doivent se placer selon l’ordre de leur classement, et il est interdit de changer de table parce qu’à la table d’à côté la grille est plus belle. Etc. Etc. En fait ces règles ne sont vraiment connues que de ceux qui ont eu la chance de participer à un tournoi dans un pays occidental. Ici, beaucoup les découvrent.
Le gros problème du tournoi viendra du fait que personne ne maîtrise DupliTop 5 que je propose sur mon ordinateur. Jojo commence à vouloir tout faire. C’est ainsi qu’il est Jojo ! Tirage et arbitrage en simultané des 13 tables avec un seul ordinateur, ce sera mission impossible ! La partie est sans cesse interrompue entre les coups. Je me lève alors, raconte quelque chose, et essaie de faire patienter les joueurs. Malheureusement, je ne suis pas à même de l’aider vraiment. Je sais faire fonctionner vaguement DupliTop, mais ne sais pas par exemple revenir en arrière pour annuler un coup, etc. Claude aujourd’hui nous a vraiment manqué !
Il y a toutefois parmi les scrabbleurs des petits génies informatiques qui, par tâtonnements et en se mettant à plusieurs, parviennent à résoudre tous les problèmes au fur et à mesure. Il est fort à parier qu’avec une telle expérience où il s’est jeté à l’eau et où il a tant souffert, Jojo devienne dans le futur un excellent arbitre. En fait, je ne me fais aucun souci sur le fait qu’un logiciel comme celui-là puisse être maîtrisé dans la future fédération par un nombre satisfaisant d’arbitres. Mais aujourd’hui, découvrir en même temps l’arbitrage en duplicate et le logiciel, cela faisait beaucoup !
Personne ne paye de droits de participation. Ceci est général dans tous les pays d’Afrique francophone. Imposer de devoir payer un tournoi est difficile, quand on sait combien de gens ne pourront pas se l’offrir. J’explique tout de même que chez nous, beaucoup de scrabbleurs font aussi des sacrifices financiers pour participer aux compétitions, et que, dans la mesure de leur pouvoir d’achat, il faudrait tout de même demander une contribution ne serait-ce que symbolique. Dans ces conditions, la location des chaises par exemple pourrait au moins être couverte. Aujourd’hui, chacun finance les activités de sa poche, quand il est chevronné et généreux. Mais le moindre centime est très précieux. Il manque de l’argent tout le temps et pour tout.
Je suis la seule à fumer, comme dans les autres pays où je me suis rendue. Non pas sans doute parce que les africains craindraient davantage que nous pour leur santé, mais parce que les cigarettes sont trop chères : 1,50€ le paquet. Voyant que je suis à cours de cigarettes, quelqu’un me fait une surprise : un paquet de Marlboro light arrive sur ma table ! Je suis touchée. La gentillesse des Camerounais est très frappante et surtout, par rapport aux autres pays où je me suis rendue, leur spontanéité chaleureuse. Il y a ici moins de retenue je crois qu’au Togo ou au Bénin. J’éprouve l’impression que les gens sont plus détendus et qu’ils s’expriment plus librement. Peut-être est-ce une conséquence de la culture moins religieuse du pays.
Les joueurs qui sont venus de Yaoundé n’ont pas d’argent pour repartir chez eux. Je propose pour la semaine prochaine de financer un bus charter qui permettra aux joueurs de Douala de participer en nombre à l’assemblée générale. Dans le cas contraire, les élections risquent de se dérouler dans de très mauvaises conditions. Le voyage aller-retour coûte 8000 CFA, une petite fortune, quand on sait que c’est le tiers d’un salaire minimum d’un camerounais, le sixième du salaire moyen. L’équivalent de 200 euros pour un smicard occidental.
Les photos de groupe avec nos t-shirts Orange sont particulièrement réussies ! Je n’ai rien mangé de la journée, comme tout le monde. Je suis la seule à demander où je peux me procurer quelque chose à 13 heures. Personne apparemment ne songe à se ravitailler. Le sandwich au museau que l’on me procure va être partagé en 6 morceaux qui font le bonheur de beaucoup, car j’ai horreur du museau ! Je suis admirative devant la constance des joueurs, leur concentration, alors qu’ils n’ont rien dans le ventre, ni la moindre gorgée d’eau à boire pendant de longues heures sous 35° ! J’offre un pot aux organisateurs en fin de tournoi. Extrêmement mérité.
Moi, je survis aussi, mais ce soir à 18 heures à peine, je suis couchée pour une sieste dont je ne me relèverai que demain matin ! Même pas le courage de voir le résultat des élections municipales.