Ce matin à 8 heures arrive à la maison notre équipe d’accompagnateurs, et nous apprenons qu’il est à nouveau prévu de revenir ce soir sur Cotonou, bien que notre tournée commence à nous amener vers le Nord. Je dois apparaître comme quelqu’un de bien ennuyeux et compliqué, mais je refuse de revenir le soir. Il faut presque trois heures de voiture aller et autant au retour, tout cela pour venir dormir dans une maison qui ressemble plus à une étuve qu’autre chose. Le programme est ainsi fait que les frais de déplacement ne sont pas économisés, puisque c’est nous qui les prenons en charge, sans doute !

Nous prenons donc à la hâte quelques effets pour pouvoir dormir à Abomey deux nuits consécutives.

Beaucoup de route au cours de cette journée. Nous sommes 5 dans la voiture et j’ai la chance d’être assise à l’avant. Rocky, le chauffeur, roule vite, un peu trop à mon goût, et s’arme de son klaxon tout le temps pour prévenir les motos surchargées de son arrivée. Je  ne suis pas aussi rassurée qu’avec Prince.

Nous nous rendons d’abord dans l’école de Ségbé
, construite par l’ambassade de France en pleine campagne, et qui devrait prochainement être inaugurée par Bernard Kouchner. Jolis petits    bâtiments blancs, tout neufs, dont les murs à la chaux sont décorés de dessins naïfs : une carte du monde, un corps humain détaillé en diverses parties, etc.. Le Maire qui devait nous faire visiter le lieu n’est pas là. Nous commençons à avoir l’habitude de ce genre de choses, les maires n’ayant pas l’air d’être très présents auprès de leurs administrés. Nous nous contentons donc de son Directeur technique. Cette école devrait servir de cadre à un premier partenariat entre les services culturels de l’ambassade de France et la fédération béninoise. Affaire à suivre. Du matériel de Scrabble devrait être apporté à la bibliothèque et un club mis en place.

Nous visiterons deux autres écoles en chemin
. Nous devenons de vrais pros de ce type de petite cérémonie de remise du matériel. Il faut espérer que derrière cette action, bien accueillie par les directeurs d’établissement bien sûr, des animateurs prendront sérieusement le relais pour faire vivre le Scrabble auprès des enseignants et des élèves. Dans le deuxième collège visité, nous avons l’agréable surprise de voir sur le tableau noir des exercices de Scrabble que Claude avait introduits à la formation de formateurs de ce week-end. Ceci est de bon augure !

La route est relativement monotone jusqu’à Abomey du point de vue des paysages. La campagne est assez plate, parsemée de palmiers à huile, de manguiers, d’acacias et d’eucalyptus. Tout au long du trajet on observe des petits marchés dans une atmosphère poussiéreuse et brûlante, mais paisible. Les villages se succèdent, avec leurs échoppes bric à brac aux noms souvent religieux : « Dieu est roi », pour une épicerie par exemple ou un magasin de pièces détachées !

Les Béninoises sont belles. Je ne crois pas l’avoir déjà dit. Elles sont en général très minces, élancées, et marchent avec ce port de tête caractéristique des femmes habituées à porter des plateaux en équilibre. Elles sont vêtues de jupes colorées qui donnent à la foule un air joyeux.

Sur le chemin, nos hôtes nous permettent de visiter une petite bibliothèque de campagne, un peu dégarnie, mais bien ombragée et émouvante. Puis la résidence d’un ancien notable du début du siècle, avec ses divers bâtiments, qui sentent fortement l’urine et sont envahis de chauves-souris. Mais l’ensemble a un certain charme. Des cours intérieures abritent de beaux arbres. Ce genre de site n’est pas sur les guides et seuls des habitants de la région peuvent vous les faire découvrir.

Pour l’anecdote signalons que cet homme avait avec lui pas moins de 60 femmes ! On entend souvent des horreurs sur la condition des femmes dans l’ancien temps et dans la vie traditionnelle. Des épouses qui se faisaient enterrer vivantes avec leur roi par exemple ! La polygamie, si elle a tendance à ne pas résister à la vie moderne, et si elle est interdite par la loi, reste encore pratique courante ici.

Nous parvenons à Abomey en soirée dans un motel très confortable où Claude et moi trouvons des chambres assez peu onéreuses et climatisées. La route est très fatigante même si nous ne faisons pas d’activités physiques. La moindre petite balade sous le soleil est harassante. A 16 heures, nous nous sentons déjà terriblement sales et l’espoir d’une douche ne nous quitte plus jusqu’au soir.

Ici, enfin, à la tombée de la nuit dans le jardin du motel, on peut entendre les sonorités de l’Afrique, les grillons, les cris d’oiseaux inhabituels. Il y a de l’air, presque frais. C’est calme ! Après presque trois semaines de Cotonou, il était temps. Nos nuits s’annoncent royales dans nos chambres climatisées !

Seule ombre au tableau, la télévision annonce de graves troubles au Cameroun qui nous inquiètent puisque nous devons nous y rendre dans 15 jours. Les images de Douala et de Yaoundé, désertes, les rues jonchées de pneus que font brûler les manifestants, ne sont guère encourageantes. La situation scrabblesque n’est déjà pas très sereine et simple au Cameroun, mais le pays en état de siège, c’est un peu beaucoup pour nous ! On ne va tout de même pas mourir pour le Scrabble, non ? Le discours du Président en soirée n’est pas rassurant. Il préfère parler de « manipulateurs » qui agiteraient des jeunes et des délinquants, plutôt que d’évoquer les revendications du pays. Ce genre de discours, on en a l’habitude … Nous allons suivre l’évolution de la situation dans les prochains jours, et sommes tous deux d’accord pour annuler cette partie du voyage s’il le faut.