C’est dimanche. Enfin pour moi une journée où je vais me la couler douce ! Pendant ce temps Claude poursuit la formation. Il souffre j’en suis sûre, mais se montre heureux d’être enfin utile, et de ne pas se contenter de me suivre dans toutes mes démarches officielles et administratives.

Nous dînons d’une salade hier soir tous les deux, sur la terrasse de la maison, car l’intérieur, le soir, est une véritable étuve. Aux environs de 20 heures nous sommes suffisamment fatigués pour aller dormir. Les soirées cotonoises ne sont pas des soirées vraiment festives ! Chaque occasion de repos est convoitée et soigneusement préservée. Si bien que, finalement, ni l’un ni l’autre ne sommes épuisés à la hauteur de l’effort fourni.

Cette pause me permet de revenir sur les 15 jours que je viens de vivre. Il me semble que je suis ici depuis des mois. Je n’ai pas eu le temps de penser à mes proches. Ma maison, dont l’aménagement n’est pas terminé, me semble terriblement loin. C’est pour moi une bonne chose. J’aime ces ruptures que produit le voyage. J’en ai besoin. C’est la seule façon pour moi de ne pas trouver la vie ennuyeuse, même s’il ne m’arrive jamais au quotidien de m’ennuyer.

J’aime partir comme j’aime revenir. Je suis une nomade au fond de moi…Mais les vrais nomades, je les envie, car ils partent en tribu, avec leurs amis et leur famille. Quant à moi, jamais je n’ai eu la chance d’avoir une famille ni des amis qui partagent mon goût pour le nomadisme !

Malgré les difficultés relationnelles avec l’organisation béninoise, les tensions qui existent entre les organisateurs, le climat reste pour nous agréable. Notre petite équipe est très sympa. Olivier s’est un peu retiré ces derniers jours, excédé par les reproches et la non-reconnaissance de son travail. Il viendra nous rejoindre bientôt. Modeste, responsable de la commission des règles et des litiges, est entièrement disponible pour nous. C’est un garçon adorable. Comme son ami Prince, qui nous conduit et qui, soudainement plongé dans le monde du Scrabble, s’intéresse de très près à ce que nous vivons. A nous 4, nous plaisantons volontiers et nous sommes bien. Tous les deux nous accompagnent partout, et le soir nous les convions souvent à dîner avec nous. Nous devons savoir que lorsqu’ils nous accompagneront en tournée les frais seront multipliés par deux, car ils n’auraient pas les moyens de suivre notre rythme de vie, et qu’il est hors de question de manger devant eux sans qu’ils partagent notre repas. De ce point de vue Claude et moi partageons les mêmes idées et j’apprécie beaucoup ce consensus entre nous.

Je n’étais pas certaine d’avoir besoin d’être accompagnée par qui que ce soit, et je craignais vraiment que cela complique la situation, compte tenu de mes habitudes de vie solitaires et de mon goût pour le voyage individuel. Mais dès aujourd’hui, je me rends bien compte que la présence de Claude est pour moi très utile, qu’elle me permet de ne pas paniquer dans les situations difficiles, qu’elle me permet aussi de nous expliquer le soir sur ce que nous venons de vivre et de le partager avec quelqu’un. Je ne sais pas comment j’aurais réagi dans les situations aussi difficiles que celle que nous vivons si j’étais livrée à moi-même. Par ailleurs, cette présence, donne du poids à notre parole. Spontanément les Béninois auraient tendance à s’adresser à lui plutôt qu’à moi comme responsable du projet. Ma parole de femme leur est probablement assez étrangère, surtout lorsqu’elle s’assortit d’autorité. Claude, même s’il ne dirige pas le projet, n’ayant pas la maîtrise que j’en ai, en arrière-plan, me crédibilise et crédibilise la FISF.

En théorie, après les 15 jours passés ici, nous avons complètement rempli notre contrat vis-à-vis des Béninois, bien que tous les rendez-vous prévus n’aient pas été effectués : rencontres avec le Ministère de l’Enseignement primaire et secondaire, avec celui de la Culture, avec les représentations des ambassades de Suisse, du Québec et de Belgique. Les semaines qu’ils nous ont rajoutées pour les tournées départementales ne sont pas dues. Ce devait être des semaines de tourisme au Togo et au Bénin. Nous acceptons l’un comme l’autre de les consacrer aussi au travail avec les ligues régionales, mais à la condition, que la fédération béninoise nous fournisse le véhicule nécessaire. Dans le cas contraire, nous partons avec Prince et sa voiture nous balader. Demain, lundi, nous sommes censés avoir un véhicule BMW, qui sort de je ne sais où. Nous verrons bien et en fonction de ce qui s’est passé lors de cette journée, nous déciderons le soir, Claude et moi, de la suite des évènements. En tous les cas, même si le véhicule nous est fourni, nous ne souhaitons ni l’un ni l’autre continuer à bosser à un tel rythme et passer à côté de la visite du pays. Il faudra trouver un compromis satisfaisant. Mais je sais, qu’avec Olivier et Modeste, les deux accompagnateurs que nous avons choisis, cela sera possible.

Quant à moi, avant de passer à la balade, pour le compte de la fédé béninoise ou pour mon propre compte, il faut que je règle la question épineuse du transport du matériel. Patrice Jeanneret et moi avons tenté de nous joindre par téléphone, mais la liaison est trop difficile. Il nous faut nous parler par mail, ce qui n’est pas plus mal pour s’expliquer. J’ai déjà adressé des éléments pour prendre une décision sur le choix du mode de transport du matériel aux autres pays. Je passerai la journée de demain à réunir tous les devis nécessaires.

Pendant que j’écris, ce dimanche matin, j’entends le prêche de l’Eglise du Christianisme Céleste qui fait face à notre maison. Les ouailles lui font réponse par de grands Alléluia ! Un piano accompagne les chants. Un coq fait entendre régulièrement le sien. C’est bien bon d’être un peu seule pour quelques heures.

L’après-midi, nous parvenons à dégager quelques heures pour une magnifique balade à Ganvié, village lacustre à proximité de Cotonou. Une belle traversée en barque sur un lac salé permet d’atteindre ce village, qui date du 17ème siècle et qui a été construit par des Béninois cherchant à échapper à des guerres tribales, ainsi qu’au marché aux esclaves que pratiquaient des rois de la région. Les masures sont en planches et en chaume sur pilotis. Les plus modernes d’entre elles utilisent de la tôle ondulée. Elles sont organisées en rues, la rue des pêcheurs, la rue du marché, la rue des amoureux, dans lesquelles on circule en pirogue. 30 000 personnes vivent là, sûrement dans une certaine misère, essentiellement de la pêche des poissons du lac. Les plus chanceux d’entre eux ont pu acquérir une parcelle d’eau privative. Là, ils plantent des branches de bois qui, en pourrissant, offrent aux poissons leurs lieux de reproduction. Un grand filet à la bonne saison suffit à les ramasser. L’atmosphère est très paisible ici et moins lourde qu’à Cotonou. Les clapotis de l’eau se font entendre partout. C’était un très bon dimanche après-midi.